L'Ogre Lion, tome 3 : Le Dernier Lion

Preuve que la fantasy anthropomorphique a le vent en poupe, après notamment la saga Les 5 Terres (Delcourt), ou encore Sa Majesté des Ours (Comix Buro), la trilogie de Bruno Bessadi, éditée par Drakoo, l’Ogre Lion tire sa révérence. Dans les deux premiers tomes, le roi lion déchu Kgosi, accompagné du petit cerf Wilt et de l’encore plus petite guerrière souris Othila, tentait de rejoindre ses terres au gré des péripéties, des trahisons et des apparitions du mortel Bakham, le puissant et terrifiant démon herbivore bloqué dans le corps du félin.

L'Ogre Lion Le dernier lion couverture Drakoo

Kgosi a enfin réussi à rejoindre son royaume. Hélas, ce retour, il le fait enchaîné au fond de la cale d’un navire. Heureusement, l’ancien roi lion peut compter sur ses amis Wilt et Othila qui, malgré leur petite taille, se sont révélés de précieux alliés. Alors que Kgosi parvient à s’évader, son traître de frère, roi lion autoproclamé, se rapproche des impitoyables hyènes, anciens ennemis des félins, afin de réprimer la révolte naissante des herbivores. Pour récupérer son trône mais surtout rétablir la paix dans son royaume, autour de la cohabitation et la fraternité entre herbivores et carnivores, Kgosi prend le chemin de la rédemption, le pardon et la vengeance, en maîtrisant de plus en plus les interventions de Bakham.

L'Ogre Lion le dernier lion Drakoo planche

Hakuna pas du tout matata

Difficile de créer un univers riche et cohérent en seulement trois tomes, mais Bruno Bessadi y parvient intelligemment en choisissant un contexte des plus classiques. Le lecteur est en terrain connu dans cette fantasy aux paysages relativement proches de notre monde et aux enjeux universels vus maintes fois dans ce genre de récit : la quête de vengeance et de rédemption d’un roi injustement déchu, aidé par des alliés improbables, face à un ennemi en apparence beaucoup plus puissant. Ce choix, qui aurait pu être un défaut de la série, en est finalement une grande force, puisqu’il permet à l’auteur de se focaliser sur l’action et sur la personnalité de ses protagonistes et antagonistes. Bruno Bessadi ajoute au parcours personnel de Kgosi un aspect social et politique, là aussi classique, mais qui fonctionne à merveille : la tolérance entre communautés, représentée ici par l’opposition herbivores/carnivores.

Tous les personnages sont très attachants tout au long de la série, ce qui avait notamment rendu la trahison, pourtant prévisible, de Hind aussi marquante et dramatique dans le deuxième tome. Kgosi tient parfaitement son rôle d’anti-héros devant se remettre en question afin d’achever son destin. L’évolution de sa cohabitation avec Bakham est passionnante, celui-ci gagnant en profondeur et en « humanité » à chacune de ses apparitions. Les antagonistes sont efficaces à défaut d’être originaux et offrent au protagoniste une opposition qui fonctionne, à part peut-être Ngomzi, trop en retrait dans cette conclusion alors qu’elle avait l’honneur de la couverture du deuxième tome. Une petite déception que l’on retrouve avec le traitement assez faible du nouveau personnage qui orne la couverture de ce troisième épisode.

Et, bien sûr, il y a l’improbable duo Othila-Wilt, toujours aussi émouvant et drôle, qui apporte une dose de fraîcheur bienvenue au récit tout en jouant un rôle primordial dans la quête de Kgosi. Ne rechignant pas ainsi à quelques scènes d’humour, le ton général de la série est toutefois tragique. La montée en puissance des enjeux au fil des tomes va mener à une conclusion épique largement à la hauteur.

La Bête et… les autres bêtes

A la hauteur du récit, le dessin, toujours impeccable, de Bruno Bessadi fait à nouveau merveille dans cette conclusion. L’illustrateur sudiste nous avait déjà régalés, notamment sur Zorn & Dirna (Soleil) ou le superbe Amazing Grace (Glénat), et sa première incursion dans l’anthropomorphisme est une indéniable réussite. Les personnages sont si bien caractérisés qu’il est impossible de les confondre, notamment grâce à des accessoires ou caractéristiques judicieux. Le graphisme des protagonistes est également en totale adéquation avec leur rôle dans l’intrigue : Kgosi est charismatique, Bakham hyper impressionnant, Wilt adorable… Seule exception, la mini Othila, qu’il était assez difficile de prendre au sérieux lors de ses premières apparitions, se révèle aussi dangereuse que son apparence est mignonne.

Un même soin est accordé aux décors, eux-mêmes mis en valeur par le sens du cadrage de Bruno Bessadi. Avec des plans variés, riches en plongées et contre-plongées, les paysages urbains ou naturels sont d’une grande richesse tout en gardant une parfaite lisibilité, notamment dans les scènes d’action qui, bien que parfois un peu courtes, sont relativement impressionnantes et jouissives grâce au dynamisme du trait de Bruno Bessadi. La mise en couleurs de Joo, dont la trilogie l’Ogre Lion est la première expérience, est à l’image de l’album, traditionnel et efficace. Si on peut regretter certaines cases un peu pauvres en nuances, notamment dans les décors, la majorité de l’album est un plaisir à regarder et une invitation à plonger dans des scènes de plus en plus iconiques à mesure que le récit progresse.

Avec son univers et ses enjeux relativement classiques mais passionnants, l’Ogre Lion est une trilogie qui ne révolutionnera pas la fantasy dans le neuvième art mais apportera une pierre des plus agréables à son édifice. D’un humour subtilement distillé dans un récit tragique et violent, la série de Bruno Bessadi est captivante de son introduction à son final épique et tragique, grâce à ses personnages attachants. En « seulement » 144 planches l’auteur illustrateur aura réussi à construire un univers captivant menant à une conclusion convaincante dont on ne pourra finalement regretter que l’absence de cahier graphique en fin d’album comme on pouvait en admirer dans les deux premiers tomes.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

Informations sur l’album :