Walk me to the corner

On ne peut pas aborder la bande dessinée suédoise sans se pencher sur l’œuvre d’Anneli Furmark, une figure éminente de ce genre en Suède. Anneli débuta sa carrière en 2002 avec Labyrinterna och andra serier (Labyrinthes et autres bandes dessinées) et a publié à ce jour dix romans graphiques. Le livre présenté dans cet article, Walk me to the corner, publié chez les éditions ça et là en 2021 est son livre le plus connu à l’international, celui-ci ayant été traduit en anglais, en espagnol, en français ainsi qu’en allemand.

Couverture de l'album Walk me to the corner
© Walk me to the corner – Anneli Furmark – Çà et là

Walk me to the corner raconte l’histoire d’Elise, la cinquantaine, bien ancrée dans une vie tranquille avec son mari Henrik et ses deux enfants qui ont désormais quitté le foyer familial. Elle voit cependant sa routine bousculée lorsqu’elle rencontre Dagmar lors d’une soirée, une femme du même âge qu’elle. L’attirance est immédiate et change la donne : Elise ne peut se passer de Dagmar et très vite une relation amoureuse et passionnelle se noue entre les deux femmes. Naïvement, peut-être, Elise pense que son couple peut s’adapter à cette nouvelle situation, et qu’Henrik a cette ouverture d’esprit pour accepter que sa femme ait des sentiments pour une autre. Qu’est-ce qu’il y a de mal à aimer deux personnes ? Ses sentiments pour Dagmar sont purs, et ceux pour son mari n’ont pas changé. Et pourtant malgré elle, tout se fragilise et Elise voit peu à peu son mariage de plus de vingt ans s’effriter et l’homme de sa vie s’effacer. Elle se retrouve sur un chemin qui changera à jamais la vie à laquelle elle s’était habituée.

Page de l'album Walk me to the corner
© Walk me to the corner – Anneli Furmark – Çà et là

De par sa densité en émotions, une voix-off souvent présente qui narre les pensées d’Elise, un rythme lent et un grand souci du détail,Walk me to the corner ralentit la lecture et donne cette sensation de plonger dans un roman qui offre une grande place à l’expression des sentiments, et dont le temps semble s’étirer au fil des pages : chaque mot, chaque case arrête le regard. Le thème, « un Broadback Moutain pour dames d’un certain âge » selon l’autrice, est traité avec beaucoup de douceur et d’empathie. Le nombre limité de protagonistes qui composent l’histoire, Elise, Dagmar et Henrik, fait que l’on s’attache très vite aux personnages et de façon intime. Parce que l’ouvrage donne cette sensation de suivre des individus en huis-clos, on se sent intimement lié à eux, tant leur parcours et leur ressenti touchent le lecteur, il est quasiment impossible de reposer le livre avant de l’avoir fini.

Page de l'album Walk me to the corner
© Walk me to the corner – Anneli Furmark – Çà et là

Le récit fait du lecteur le spectateur d’un drame qui se déroule en slow-motion : les saisons se succèdent et donnent de l’épaisseur temporelle au récit. Malgré la grande humanité des protagonistes, et leur honnêteté dans la communication, une distance se crée peu à peu entre ceux qui s’aiment. L’amour, de par sa complexité, se gâte, s’essaye à nouveau, se heurte à des obstacles, et l’on suit pas à pas chaque changement, chaque déception et chaque espoir.

Page 176 de l'album Walk me to the corner
© Walk me to the corner – Anneli Furmark – Çà et là

Anneli Furmark a été récompensée déjà à quatre reprises par le prix Urhunden (prix suédois décerné par Serieframjändet, l’Association de la Bande Dessinée Suédoise, qui récompense le meilleur album en langue originale suédoise de l’année) notamment pour Den rödavintern (Hiver rouge) et Walk me to the corner qui fut également dans la sélection officielle d’Angoulême lors de leur 49e édition.

L’art d’Anneli repose dans le choix des couleurs, des expressions, chaque détail est délicat mais intense. Chaque « case » est riche en éléments : la couleur aquarellée se teinte des sentiments d’Elise ; chaque trait du visage et chaque posture décrivent avec une grande précision l’état d’âme du personnage. Son dessin est vibrant, tantôt clair, et parfois brouillon pour mieux mettre l’accent sur la souffrance vécue. Si on pourrait avoir peur de tomber dans le cliché, dans la « BD à l’eau de rose », le grand réalisme et le rythme du livre empêchent de tomber dans cette fadeur et garde le récit toujours intense, beau et sensible. Ce roman graphique a des échos de Scènes de la vie conjugale, une mini-série du suédois Ingmar Bergman de 1973 : une thématique simple avec peu de protagonistes mais d’une grande densité en émotion, où chaque geste et chaque mot a un poids décisif pour la suite de l’histoire.

Une lecture vivement recommandée pour ceux qui recherchent un roman graphique sensible et poétique et qui veulent goûter à la subtilité des récits suédois.

Page par Anneli Furmark
© Walk me to the corner – Anneli Furmark – Çà et là

Chronique écrite par Oda Lajoy.

Informations sur l’album

  • Scénario : Anneli Furmark
  • Dessin : Anneli Furmark
  • Couleurs : Anneli Furmark
  • Éditeur : Çà et là
  • Date de sortie : 22 octobre 2021
  • Pagination : 232

Vous pouvez discuter de l’album Walk me to the corner sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

Nous avons fait le choix d’être gratuit et sans publicité, néanmoins nous avons quand même des frais qui nous obligent à débourser de l’argent, vous pouvez donc nous soutenir en adhérant à l’association des Amis de la bande dessinée. L’ensemble de l’équipe vous remercie d’avance pour votre aide.

Consultez la liste de nos librairies partenaires pour vous procurer l’album Walk me to the corner.