Une aventure de Lapinot dans une situation pas possible – le chapeau maudit

Sur la couverture, l’imprévisible Richard orné d’un couvre-chef ridicule mais relié à une main maléfique qui le manipule et, au-dessus, le titre : le Chapeau maudit. Pour cette première aventure dans une nouvelle collection, une Aventure de Lapinot dans une situation pas possible, et un retour chez Dargaud, Lewis Trondheim a, semble-t-il, préparé un cocktail détonnant d’absurde et de grand spectacle. Un jour normal dans la vie de Lapinot, en somme.

Lapinot, le chapeau maudit Dargaud couverture

Lapinot, Richard, leurs copines, mais pas leur couple d’amis Fabien et Tania qui sont en retard (alors que ce sont eux qui ramènent de quoi picoler…), crapahutent dans une forêt de montagne afin d’admirer une éclipse de lune. Enfin, ça c’était l’idée, avant de croiser des bikers sympas, des bikers pas sympas et bien fachos, des rôlistes au taquet, des juifs et des arabes qui se font un barbeuc avec les bikers (les sympas, hein, pas les fachos), quelques cadavres, des flics… et surtout un mec bizarre avec un chapeau ridicule, hélas plutôt du genre magicien démoniaque. Son couvre-chef lui permet, en effet, d’énoncer des événements aux personnes à proximité, qui se produiront inévitablement. Notamment, mourir dans d’improbables conditions. Alors, forcément, si l’irresponsable et immature Richard s’empare du chapeau maudit, les ennuis ne font que continuer.

Happy two friends

Impossible de résumer en un paragraphe, ni en une chronique complète, toute la diversité et la richesse de la carrière de Lewis Trondheim. Et Lapinot, alors? Le héros aux grandes oreilles était déjà le protagoniste principal du premier succès de son papa, dont la genèse ressemble plus au pari de mecs passablement alcoolisés qu’à un réel plan de carrière. En 1992, Lewis Trondheim se lance le défi de réaliser une BD de 500 pages sans plan, sans scénario, en improvisant au fur et à mesure, et « sans savoir dessiner » selon ses dires. L’improbable mais génial résultat se nomme Lapinot et les Carottes de Patagonie. Depuis, le multivers de Lapinot s’est vu décliner sous de multiples séries, spin off, sous-séries et autres bizarreries, chez divers éditeurs* et sous divers formats, mais toujours dans de folles aventures pleines d’absurdité.

Pour son retour chez Dargaud, on ne change pas une équipe qui ne gagne jamais rien : le duo Lapinot/Richard. Le premier, blasé et sarcastique, est toujours un régal à suivre mais c’est surtout son camarade qui occupe le devant de la scène de cette nouvelle aventure. Richard, c’est un peu le pote relou qu’on a tous, celui qui fait n’importe quoi, qui dit n’importe quoi, le type insupportable qu’on ne peut s’empêcher d’adorer. Et dans le Chapeau maudit, il est tout ça, puissance 10. Il réussit toujours l’exploit de se mettre dans des situations grotesques et/ou dangereuses et l’exploit encore plus grand se s’en sortir à moindre frais. Élément comique ultra efficace par ses dialogues à côté de la plaque ou immatures, il est l’élément déclencheur d’une intrigue aussi stupide que passionnante.

Touche pas (trop) à mon pote !

A leurs côtés, Lewis Trondheim démontre une nouvelle fois son talent pour inventer des personnages secondaires et simples figurants d’une implacable efficacité comique, ou tragicomique pour ceux qui finissent les tripes à l’air. Même s’ils ne font que traverser l’histoire dans quelques cases, les groupes d’individus sympas, pas sympas, ou juste bizarres, participent clairement à l’absurdité ambiante du récit, mais aussi à son intrigue relativement captivante. En effet, l’auteur ne se contente pas d’enchaîner les gags et les dialogues comiques : il place, au contraire, ses protagonistes dans un contexte menaçant et une narration haletante. Les morts se multipliant, on en arrive même à craindre pour nos héros, tant l’écriture de Lewis Trondheim est imprévisible. Nul doute que ça ne le dérangerait pas de tuer Lapinot pour le faire revenir, sans complexe ni explication, l’air de rien, dans l’aventure suivante.

La dualité humour absurde et ambiance horrifique se retrouve dans le graphisme des planches. L’habituel zoomorphisme de l’auteur fait, encore une fois, mouche, avec des protagonistes au graphisme épuré mais très expressif. Le lecteur attentif notera toutefois que l’apparente simplicité du trait de Trondheim tranche avec une mise en scène plus riche qu’il n’y paraît, notamment avec des plans d’ambiance parfaitement maîtrisés, comme des plongées écrasant les personnages. Brigitte Findakly assure une nouvelle fois les couleurs des aventures de Lapinot avec le même constat de sobriété au service de l’ambiance. Les couleurs vives et lumineuses des personnages n’ont pas de sens dans le contexte de nuit en pleine forêt mais apportent un réel plus, à la fois pour la lisibilité des cases mais aussi pour accentuer l’absurdité du récit.

Pour peu qu’on adhère à l’humour absurde de Lewis Trondheim, c’est toujours un immense plaisir de retrouver Lapinot, Richard et leurs aventures improbables ponctuées de dialogues savoureux, oscillant entre non-sens et décalage avec la situation. Cette nouvelle saga avec son prometteur « dans une situation pas possible » promet encore de bons moments de rigolade avec ces personnages si attachants. En tous cas, cette première histoire est une grande réussite qui en appellera certainement d’autres.

* Les Formidables aventures de Lapinot, 10 tomes entre 1995 et 2003 chez Dargaud ; les Formidables aventures sans Lapinot, 4 tomes entre 1997 et 2010 chez Dargaud ; les Nouvelles aventures de Lapinot, 8 tomes et 2 hors-série entre 2017 et 2023 chez l’Association ; Richard, 5 mini aventures en 2021 dans la collection Pattes de Mouche de l’Association ; mais aussi quelques one shots comme Slaloms (1993, l’Association), Mildiou (1994, le Seuil), Galopinot(1998, l’Association), et bien sûr Lapinot et les carottes de Patagonie (1992, l’association). A noter également, un escape game solo dans la collection Unlock!, Rendez-vous surprise.