L’Or de Saïgon – T14 de Wayne Shelton
L’aventure, la vraie ! Mi-barbouze, mi-mercenaire, Wayne Shelton la connaît bien et, alors qu’une retraite rangée des mécaniques en compagnie de la jolie Honesty le tente de plus en plus, le vétéran va devoir livrer un dernier combat avant de pouvoir – enfin ! – se reposer un peu. Action, exotisme, coups fourrés et tension dramatique, sans oublier les coups de théâtre, pour son baroud d’honneur, le héros vieillissant de Van Hamme et Denayer, va être bien servi !

Avril 1975. Les troupes américaines présentes au Vietnam évacuent Saïgon avant l’arrivée des Vietcongs. Dans le chaos provoqué par le départ des GI, symbolisant la fin d’une guerre éprouvante, quelques soldats US, dont Wayne Shelton, ne vont pas rejoindre leur pays pour assurer une dernière mission, conduite par un mystérieux colonel : s’emparer de l’or de la banque centrale du Sud-Vietnam. Mais cette mission, purement officieuse, n’aura pas de terme. Shelton est l’unique survivant de cette dramatique épopée où l’or est perdu. 45 ans plus tard, Wayne est contacté par un mystérieux correspondant au courant de l’histoire, et lui propose de s’associer pour retrouver le butin volatilisé. Accompagné de Honesty, Shelton va devoir plonger dans son passé pour terminer une mission commencée alors qu’il commençait sa carrière de baroudeur.

Comme un film du samedi soir
Avec son intrigue de vol de biens d’une banque centrale en temps de guerre, L’or de Saïgon ne brille pas par son originalité, c’est certain. Mais, alors que ce manque relatif de renouveau pourrait être négatif pour d’autres séries, c’est, pour Wayne Shelton, paradoxalement quelque chose d’appréciable. Cette collection, dont le personnage principal est un vieux mercenaire rempli de souvenirs, au cuir dur comme de l’acier et au cœur énorme pour les causes et les êtres qui lui sont chers, ne peut – par définition – vivre que des aventures aussi classiques que lui, sous peine de se dénaturer complètement. Romantique au sens traditionnel, et même littéraire, du terme, Wayne Shelton représente le héros « patrimoine » de la BD dans toute sa splendeur. En prenant cet argumentaire en considération, L’or de Saïgon est parfaitement réussi. Dans un récit mêlant passé et présent, mélangeant des périodes dramatiques – la guerre du Vietnam – à des intrigues parlant à la majorité des fans d’aventures pures et dures – la vol d’une cargaison d’or – le lecteur avance en terrain conquis avec une certaine jubilation, faite à la fois de nostalgie et d’une certaine joie de lire un scénario efficace, carré et sans fioritures. Il flotte un parfum de Siniac, d’Or des belges, de Morfalous ou de Kelly’sheroes sur cette BD. On la lit comme on regarde un film de C. Eastwood le soir à la télévision : en sachant parfaitement comment l’histoire va évoluer et se terminer, mais en parcourant l’ensemble avec plaisir, tant il est efficace et nous tient accroché. Il faut dire que le grand Van Hamme apporte sa patte à cette aventure classique, notamment au travers de dialogues acides et ironiques comme il sait si bien les écrire ou dans la maîtrise d’un certain suspens, avivé par l’alternance entre passé et présent.

Un chant du cygne réussi
Une telle histoire ne pouvait être servie que par un dessinateur maîtrisant aussi bien que son scénariste, les codes de la BD d’aventures classiques. A cet effet, Christian Denayer est, comme toujours, au rendez-vous. L’or de Saïgon a pourtant été bien difficile à réaliser pour celui qui est entré dans la légende de la BD d’action. Presque six ans ont été nécessaires à Denayer, souffrant du poignet, pour achever l’album. Cela n’a pas dû être facile pour l’artiste, habitué à se pencher sur les planches à dessins depuis plus de 60 ans. Rien de ces difficultés ne filtrent dans ce 14ème tome de Wayne Shelton. Le trait est là, reconnaissable, sûr de lui, et parfaitement dans son élément, même si le scénario de Van Hamme ne permet que peu à Denayer de développer son appétit de dessins de camions, voitures, accidents, collisions… L’or de Saïgon n’est pas le combat de trop pour le dessinateur qui a décidé de raccrocher les pinceaux après cet album. De son travail d’assistant de Graton à sa collaboration prolifique avec Duchateau en passant par Génération Collège ou Gord, Denayer a apporté une contribution particulière à la bande dessinée, et L’or de Saïgon est un très bel au revoir pour l’artiste. A noter qu’il finit sa carrière en livrant une couverture bien étonnante à l’album : celle-ci ne montre pas le héros, mais son antagoniste ainsi que – à l’instar de certains albums de Gaston ou de Marc Dacier – une bulle qui résume bien le ton de la série Wayne Shelton ! Denayer est bien accompagné par son coloriste Bertrand Denoulet, qui réussit, grâce à des tons chauds et envoûtants, à faire ressentir au lecteur toute la moiteur de l’Asie du sud-ouest et de l’Aventure avec un grand A !

L’or de Saïgon, en même temps qu’il permet à Wayne Shelton de mettre un peu d’ordre à son passé, est l’album qui marque les adieux du dessinateur Christian Denayer. Dans ce volume développant une aventure classique sans temps mort ni volonté de plaire à un nouveau public, le lecteur trouvera une nouvelle fois l’occasion de vivre un bon moment et de retrouver le goût des divertissements traditionnels. Il le peut grâce au dessin, mais aussi par le professionnalisme du scénariste, le légendaire Van Hamme, que Denayer salue, avec Mme Van Hamme, fan de Shelton, dans une dédicace en début d’album. Un beau duo, qui nous manquera !

Chronique écrite par Mathieu DEPIT.
Informations sur l’album
- Scénario : Jean Van Hamme
- Dessin : Christian Denayer
- Couleurs : Bertrand Denoulet
- Éditeur : Dargaud
- Date de sortie : 7 juin 2024
- Pagination : 46 en couleurs
Consultez la liste de nos librairies partenaires pour vous procurer le T14 de Wayne Shelton.