Sombras y tango - T1 et T2 - Chronique des Amis de la BD

Mélanger roman noir et tango ? C’est bien la proposition de ce roman graphique en deux parties, Sombras y tango, écrit par Ben Eismann (qui signe aussi le roman original), mis en dessins par Etienne M. (Luce) et publié par Solo-Moon.

Couverture de l'album Sombras y tango — © Sombras y tango – Ben Eismann et Etienne M. – Solo-Moon

Quentin est dans une milonga (soirée où on danse le tango) à Buenos Aires. Assis devant lui, deux hommes qui vont le tuer. Quentin a pu exprimer sa dernière volonté : danser quatre tangos. Pendant que la musique résonne et que les couples enchaînent les pas de danse, Quentin repense aux événements qui l’ont mené jusque là.

Page 72 de l'album Sombras y tango — © Sombras y tango – Ben Eismann et Etienne M. – Solo-Moon

Un roman graphique noir

Le premier volume de Sombras y tango compte 130 pages, le second 120 pages. Le lecteur ne doit pas s’attendre à un thriller haletant au rythme effréné. Il s’agit bien d’un roman noir et ce qui compte dans ce genre de littérature c’est l’atmosphère. Créer et tenir un climat oppressant, un piège duquel les personnages ne pourront pas sortir indemnes. C’est sans doute la grande réussite de l’album : ce sentiment d’étau qui se resserre petit à petit autour de Quentin fonctionne parfaitement. Le lecteur accompagne, impuissant, la descente aux enfers du personnage principal.

Le souci c’est que la progression se fait lentement. Le procédé de « slow burn » consistant à faire monter la tension progressivement avant un grand final est poussé à son paroxysme. Il n’y a pas beaucoup d’action et pour y arriver, il faut passer par plusieurs scènes dans lesquelles l’abondance de dialogues ferait penser à E.P Jacobs. Ben Eismann est romancier à la base et il s’agit ici de sa première bande dessinée. Or, on n’écrit pas une BD comme un roman.

C’est un souci mais est-ce un défaut ? Non, parce qu’il s’agit bien d’un roman noir et pas d’un thriller. Le lecteur ne lira pas Sombras y tango d’une traite. L’album est divisé en quatre parties (représentant les quatre derniers tangos de Quentin) eux-mêmes divisés en plusieurs temps. Comme si l’album invitait le lecteur à faire des pauses avant de reprendre sa lecture.

Page 80 de l'album Sombras y tango — © Sombras y tango – Ben Eismann et Etienne M. – Solo-Moon

Un album en noir et blanc et gris et bleu…

Au niveau graphique, c’est Etienne M. qui s’est chargé des dessins et des couleurs. Si l’atmosphère de l’album est particulièrement réussie, c’est grâce à l’histoire mais aussi au travail du dessinateur. Doit-on parler de dessin semi-réaliste ? Peu importe, on n’a pas l’impression que les auteurs voulaient que l’album soit photo-réaliste mais plutôt de dégager la fameuse atmosphère décrite plus haut. Avec un style qui rappelle par moment Enki Bilal, Etienne M. s’applique à créer un sentiment onirique comme le cauchemar dans lequel Quentin se débat. Cependant, les scènes de bagarre, peu nombreuses, ne sont pas toujours bien gérées et le style de dessin fait que le lecteur ne comprend pas toujours clairement ce qu’il se passe.

Etienne M. a aussi mis en couleurs son album. Il propose un noir et blanc dans les premières et dernières planches (prologue et épilogue) alors que l’ensemble de l’album est fait de variations de gris et de bleus le plus souvent associées avec d’autres couleurs. Le mélange est des plus efficaces et contribue grandement à l’atmosphère du récit.

Page 100 par Ben Eismann et Etienne M. — © Sombras y tango – Ben Eismann et Etienne M. – Solo-Moon

Un roman graphique exigeant

Sombras y tango est un roman graphique exigeant. Il ne se lit pas comme la plupart des albums de bandes dessinées : il faut prendre son temps, le savourer petits bouts par petits bouts, se laisser imprégner par l’atmosphère, le dessin et les couleurs. L’histoire progresse lentement et les plus impatients seront tentés de balancer l’album tant il donne l’impression de se traîner. Mais cela permet de développer des personnages, de s’attacher à eux et de créer cette impression de descente aux enfers. Si vous êtes amateur de ce type de polar, l’album est fait pour vous.