Sa Majesté des Mouches par Aimée de Jongh
Publié en 1954, le roman Sa Majesté des mouches de l’anglais William Golding (1911-1993), prix Nobel de littérature en 1983, a depuis acquis le statut de classique littéraire. Il est même l’un des rares écrits étrangers étudiés dans les collèges et lycées français. Ayant inspiré de nombreux médias, dont évidemment la série TV Lost, et adapté deux fois au cinéma *, le roman aura finalement attendu 2024 pour une première incursion dans le Neuvième Art, sous l’impulsion de Dupuis et de la talentueuse Aimée de Jongh, multi récompensée notamment pour son Jours de Sable.
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
Après un crash d’avion n’ayant épargné la vie d’aucun adulte, un groupe de jeunes garçons se retrouve sur une île déserte. Sous l’impulsion de Ralph et de son leadership naturel, ils décident de s’unir et de s’entraider afin d’attendre les secours en toute sécurité. Mais entre la peur des tout petits envers d’hypothétiques monstres et la négligence de certains grands quant aux tâches primordiales, les tensions et les divergences ne tardent pas à monter en intensité. Face à la sagesse de Ralph va naître une résistance menée par le fougueux Jack, dans la violence et le sang.
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
Sa majesté fait mouche
Dans les cinq superbes premières planches, le lecteur découvre un jeune garçon à l’uniforme d’écolier sale et déchiré. Comme le roman, dont il reprend même les phrases exactes, le one shot d’Aimée de Jongh nous plonge ensuite directement au cœur de ses enjeux : comment survivre dans un cadre hostile lorsqu’on est un enfant ? Ralph, le jeune garçon de l’introduction, va naturellement s’imposer en leader, son sens pratique et sa gentillesse faisant l’unanimité, ou presque. William Golding avait su, par ses mots, construire des personnages forts et passionnants, Aimée de Jongh leur rend parfaitement honneur malgré un récit évidemment raccourci.
La Hollandaise parvient, en effet, en 342 planches, à saisir l’essentiel du roman originel, ainsi qu’à parfaitement articuler la suite des scènes qui constituent son histoire, sans jamais tomber dans le piège de la suite d’anecdotes plus ou moins liées. Ici, au contraire, toute la logique du récit de William Golding, la montée de la tension, les causes et conséquences de chaque décision, ou encore les implications de chaque événement, sont maîtrisés par Aimée de Jongh qui livre un scénario exemplaire dans l’exercice difficile d’adaptation d’une œuvre littéraire culte.
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
L’enfer au paradis
Le dessin, toujours impeccable, d’Aimée de Jongh, fait littéralement partie de la narration de Sa majesté des mouches. La mise en scène de la Hollandaise vise toujours juste, alternant scènes contemplatives, moments de pure tension et phases d’action. Les personnages, malgré le peu de temps que le scénario peut leur accorder, sont parfaitement caractérisés grâce à leur graphisme, des visages aux expressions corporelles. Si on peut noter que l’antagoniste, Jack, est plus joli que dans la description de William Golding, cette petite entorse au récit originel trouve sa justification dans le besoin d’un charisme fort pour convaincre les autres enfants de le suivre. Ralph et Cochonnet sont parfaitement convaincants, mention spéciale pour ce dernier qui crée rapidement l’empathie du lecteur.
Si, dans le roman de William Golding, l’île était un personnage à part entière, Aimée de Jongh parvient là encore à totalement respecter son modèle. De l’inquiétant fort à la montagne presque mystique, en passant par la forêt luxuriante et la plage lumineuse, chaque décor rivalise de beauté et la palette de couleurs d’Aimée de Jongh y est pour beaucoup. Riche, variée, avec un travail d’ombres et de lumières poussé à son paroxysme, sa gamme est à l’opposé de celle, déjà parfaite, de Jours de Sable pour littéralement faire entrer le lecteur au cœur de chacune de ses cases, afin de lui faire ressentir ce que vivent les personnages.
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
Sa Majesté des mouches est un album qui se lit deux fois, au moins, dès sa découverte. Dans la première lecture, on est happé par le récit et son suspense dans un véritable ouragan d’émotions et de tension qui pousse à découvrir la suite, tout en réalisant qu’on passe à côté des superbes planches d’Aimée de Jongh. Une seconde lecture immédiate se révèle indispensable pour admirer les superbes cases de la Hollandaise, son travail de cadrage, les expressions de ses protagonistes, les détails cachés, les couleurs parfaitement maîtrisées et immersives. Avec son format assez réduit, qui lui donne, paradoxalement, un côté assez luxueux et sa forte pagination rendant hommage à la richesse du texte de William Golding, Sa Majesté des mouches est à l’évidence déjà un des titres indispensables de 2024 qui ravira les fans du roman comme ceux qui n’en ont jamais entendu parler.
* en 1963 dans le magnifique Sa Majesté des mouches de Peter Brook et en 1990 dans le très dispensable l’Île oubliée de Harry Hook
Chronique écrite par Cédric « Sedh » Sicard
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
Informations sur l’album :
- Scénario : Aimée de Jongh, d’après William Golding
- Dessin : Aimée de Jongh
- Couleurs : Aimée de Jongh
- Éditeur : Dargaud
- Date de sortie : 13 septembre 2024
- Pagination : 352 pages
© Aimée de Jongh – Dargaud Benelux (Dargaud Lombard s.a) 2024
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