Rue de la Grande Truanderie tome 1 : Une enfance au Familistère

La petite histoire dans la Grande, c’est un des thèmes de prédilection du scénariste Jean-David Morvan. Ce premier tome de sa Rue de la Grande Truanderie en est une nouvelle illustration puisque l’auteur y retrace l’aventure du familistère de Guise. Fondé par l’industriel Jean-Baptiste André Godin ce grand projet social égalitaire a fonctionné pendant près d’un siècle à partir des années 1860 dans le but de loger, dans d’excellentes conditions pour l’époque, les ouvriers de son usine de poêles à charbon. L’intrigue est centrée sur l’histoire fictionnelle de Glannes, une jeune indigente recueillie par Godin. Celle-ci cherchera à s’inspirer du projet utopiste de son protecteur afin de créer une nouvelle Cour des Miracles égalitaire et solidaire.

Rue de la grande truanderie tome 1 Grand Angle couverture

© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Paris, 1864. Alors qu’elle lui faisait les poches, la petite Glannes est attrapée par le riche Godin qui, au lieu de la livrer à la maréchaussée, va la prendre sous son aile et la ramener à son familistère, dans la petite ville de Guise. Elle y grandit aux côtés de Marie, femme de confiance de Godin, qui devient comme une mère de substitution pour la fillette. Mais, les années passant, Glannes réalise que l’utopie du familistère ne tient que par la volonté de Godin et les bons résultats de son entreprise. Sans ces deux piliers, l’édifice s’effondrerait. Glannes est toutefois convaincue que l’idée est bonne. Elle va donc la reproduire à Paris, avec ses anciens camarades, criminels, prostituées et autres rebuts de la société bien-pensante.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

L’Histoire écrase l’histoire

Le plus gros défaut de ce premier tome est une conséquence directe de sa plus grande qualité : avec sa grande précision historique, le récit de Jean-David Morvan ne laisse que peu de place aux personnages pour exister et évoluer, et donc pour créer l’attachement et l’empathie des lecteurs ou, au contraire, leur mépris. De fait, l’album montre un rythme paradoxal, prenant son temps pour poser le contexte, tout simplement passionnant, mais enchaînant les péripéties de façon parfois trop précipitée, cantonnant certains événements à de simples évocations en capsules.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Toutefois, le talent de raconteur d’histoires du scénariste parvient encore à faire mouche, grâce notamment à son amour des personnages forts. On prend un grand plaisir à suivre Glannes, de sa gouaille jouissive à ses valeurs à géométrie variable. A côté d’elle, les autres personnages font, pour le moment pâle figure, notamment le grand méchant, Emile Godin, fils presque indigne du grand industriel, en qui la colère et la rancœur grondent jusqu’à tonner pour de bon. 

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Cet antagoniste, pour l’instant, un peu trop caricatural et monolithique, apporte le véritable élément déroutant de ce premier tome : l’utilisation de l’hypnose pour enfermer les victimes dans une prison mentale. Si la pratique de l’hypnose était assez populaire à cette époque, le scénariste décide de lui donner une légitimité mystique, et même fantastique, assez étonnante au regard du respect historique de son récit.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

La jolie belle époque

Pour sa première bande dessinée complète, après sa participation à l’œuvre collective Reims (Petit à Petit, 2018), Romain Rousseaux Perrin montre une précision impressionnante dans la réalisation de ses décors. Il faut dire que l’illustrateur est jeune diplômé d’architecture et cela se ressent tant les bâtiments sont précis, tant les intérieurs sont détaillés, tant l’immersion dans les cases est totale. Certaines planches sont sublimes et le dessinateur parvient à trouver des angles intensifiant encore le grandiose des immeubles haussmanniens : la double page « vue du ciel » de la rue de la Grande Truanderie est tout simplement somptueuse.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Le travail graphique des personnages est moins impressionnant, très classique et sans grande prise de risque, mais le rendu est très agréable. Les expressions sont très bien rendues et certains protagonistes ont une caractérisation des plus efficaces : de la colère à peine maîtrisée d’Emile Godin au charisme serein de son père, sans oublier, bien sûr, Glannes. La jeune femme dégage une force de caractère indéniable, et la gestion visuelle de son vieillissement, à l’image de celui des autres figures est une grande réussite. 

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Les couleurs de l’album sont signées Hiroyuki Ooshima, mangaka japonais installé en France depuis une vingtaine d’années, à qui on doit également celles du huitième tome de Conan le Cimmérien (Glénat, 2019) ou encore Spirou et Fantasio à Tokyo (Dupuis, 2006). On retrouve avec plaisir ses ambiances tantôt chaleureuses, tantôt glaçantes, mais, dans tous les cas, toujours justes et faisant honneur aux dessins de Romain Rousseaux Perrin.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Avec un premier tome autant prometteur que déroutant, Rue de la Grande Truanderie ne peut que susciter l’envie d’en savoir plus sur le destin de ses protagonistes. Documenté presque à l’excès tant la Grande Histoire à tendance à étouffer les enjeux de la petite, l’aspect fantastique que laisse présager l’utilisation très sérieuse de l’hypnose pourra aussi bien laisser des lecteurs sur le bas-côté qu’en intriguer d’autres. Que nous réserve Jean-David Morvan pour la suite de son récit ? Difficile de le deviner à la fin de ce premier épisode. Une chose est certaine en tous cas : la qualité de dessin de Romain Rousseaux Perrin nous promet encore de grands moments d’émerveillement.

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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

Informations sur l’album :

  • Scénario : Jean-David Morvan
  • Dessin : Romain Rousseaux Perin
  • Couleurs : Hiroyuki Ooshima
  • Éditeur : Grand Angle (Bamboo)
  • Date de sortie : Le 2 avril 2025
  • Pagination : 64 pages en couleurs
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© Rue de la Grande Truanderie, tome 1 – Morvan, Rousseaux Perrin, Ooshima – Grand Angle, 2025

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