Reines et dragons – La Petite Reine

La couverture de l’album a de quoi interpeler : un nom d’auteur, le prolifique Joann Sfar, un titre dont la typo n’est pas sans rappeler la série Stranger Things, un décor de forêt nocturne avec un dragon, un grand chien et une guerrière armée d’une épée et… d’un vélo. Pas de doute, c’est du Sfar! De la série philosophique le Chat du Rabbin à ses carnets de croquis sur le vif en passant par son célèbre univers vampirique, ses récits intimes ou humoristiques, l’auteur niçois n’a également jamais caché son amour pour la fantasy rigolote et décalée. Ce premier album de Reines et dragons nous promet une virée dans cette dernière catégorie.

Couverture de l'album Reines et dragons
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Une princesse au sommeil lourd se fait réveiller soudainement. Son château est attaqué ! En quelques minutes, elle perd tout ce qu’elle possède : son quotidien, ses parents, son statut, son confort… « Si je m’en sors, je vais devenir une sacrée terreur, ouais ! Et personne viendra plus me courir sur le haricot », décide-t-elle. Et elle s’en sort, avec l’aide d’un vieux magicien et de ses notions de capoeira, emmenant avec elle son seul héritage, l’artefact le plus précieux et puissant du royaume : une bicyclette… L’aventure commence mal, mais la sonnette de sa nouvelle arme révèle un pouvoir étonnant…

Page 5 de l'album Reines et dragons
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Un récit sur grand braquet

Publié tout juste un mois après son intime et sérieux Nous vivrons (bien que ce dernier ait été dessiné deux ans plus tard), ce premier volume* de Reines & Dragons, au sous-titre malicieux (« la Petite Reine » faisant bien évidemment référence à son héroïne mais étant aussi le surnom populaire de la bicyclette depuis le XIXe siècle) en prend le contre-pied avec une histoire déjantée peuplée de personnages qui le sont tout autant. Le récit enchaîne les situations inattendues : péripéties se résolvant comme par magie, mais sans magie, décisions « étonnantes » des personnages…

Sfar aime également les anachronismes comme la permanente intrusion de concepts modernes comme les arts martiaux, le féminisme, le capitalisme… Si son récit médiéval fantastique est relativement classique, il l’agrémente d’un langage riche en expressions modernes : « (…) ces râclures de fond de bidet étaient sur le point de me transformer en salade piémontaise ». L’auteur utilise beaucoup le texte narratif, généralement dans les pensées de la princesse ado rebelle mais se permet parfois l’intrusion d’un narrateur omniscient des plus ironiques et espiègles (« Flapou ! Pouflap ! (font les ailes du dragon) »). Les dialogues, plus rares, sont du même acabit et les interactions entre les personnages sont truculentes : « Les dragons, c’est nul pour passer entre les arbres ».

D’ailleurs, aucun personnage n’est nommé, à part un (pour placer un gag assez bien senti), chacun étant relégué à sa fonction, un procédé qui n’est pas sans rappeler le Donjon de Naheulbeuk (avec qui il partage également ses références aux jeux de rôle). En multipliant les péripéties et les gags, le récit nous entraîne de la surprise au rire et du rires au suspense jusqu’à un dénouement complètement inattendu et décalé.

Page 6 de l'album Reines et dragons
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Dessine-moi un dragon

Pour ce qui est du dessin, on retrouve évidemment le trait « tremblant » de Joann Sfar, un style particulier qui possède ses fans et ses détracteurs. Comme toujours les personnages sont changeants selon les cases mais force est de constater que tous sont bien caractérisés, par leurs looks ou leurs attitudes. Leurs expressions faciales sont également très bien rendues, régulièrement exagérées pour faire naître le gag ou l’absurde (chaque apparition de la troupe d’aventurier est un régal), malgré l’apparente simplicité du style Sfar. Les émotions et les sentiments sont au centre du récit (autant que le périple de son héroïne), et le talent de l’auteur à les exprimer en quelques traits fait vite oublier les « défauts de cohérence » entre les cases.

Le dragon est à ce titre une grande réussite. Loin des représentations habituelles de bêtes sauvages et menaçantes, celui de Reines & Dragons est drôle, intelligent et profondément « humain » (rappelant celui du génial L’écuyer et son chevalier de Scott Chantler chez Rue de Sèvres). Quant à la protagoniste, en plus de son caractère « attachiant », son apparence dégage un charisme qui la rend crédible dans chaque situation (mention spéciale à son ébouriffée chevelure bleue), tantôt fragile, tantôt bad-ass, une vraie héroïne « sfarienne ».

Page 7 de l'album Reines et dragons
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Les décors sont superbes, mis en valeur par l’excellent travail de Christophe Araldi aux couleurs (notamment sa gestion des contrastes chaud/froid rendant les cases très lisibles, comme dans les scènes d’action nocturnes). Étonnamment, sa colorisation numérique parvient à se marier parfaitement au dessin très spontané de Sfar grâce à la richesse de ses nuanciers. Le dessinateur est depuis longtemps passé maître dans la narration visuelle et c’est encore le cas ici : les cases s’enchaînent rapidement, sans temps mort et les fins de pages de droite  ménagent de beaux cliffhangers qui font de l’album un véritable page-turner.

Page 8 de l'album Reines et dragons
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Avec sa conclusion des plus surprenantes et son rythme effréné, les 48 planches de ce premier volume des Reines & Dragons de Joann Sfar donnent furieusement envie de retourner dans son monde, un récit complet à l’humour rentre-dedans et absurde riche en dialogues et narration parfaitement ciselés. Anachronismes et gags efficaces sont au rendez-vous dans un album qui ravira les fans de la saga Donjon tout en étant une excellente porte d’entrée dans l’univers et le style de son auteur. Quant à ses détracteurs, ils passeront sans doute leur chemin après un premier coup d’œil sur les planches d’une œuvre qui n’en reste pas moins une grande réussite aussi bien narrative que visuelle.

* s’il n’est nulle part fait mention sur l’album d’un tome 1, quelques indices laissent penser que d’autres albums verront le jour : le sous-titre, l’utilisation du pluriel à « Reines et Dragons »

Page 9 de l'album La Petite Reine
© Reines & dragons – Joann Sfar – Dargaud

Chronique écrite par Cédric SICARD

Informations sur l’album

  • Scénario : Joann Sfar
  • Dessin : Joann Sfar
  • Couleurs : Joann Sfar
  • Éditeur : Dargaud
  • Date de sortie : 17 mai 2024
  • Pagination : 56 en couleurs

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