Irène Marchesini et Carlotta Dicataldo sont nées toutes les deux en 1994 à Modène en Italie et ont étudié la bande dessinée à l’École Internationale de comics d’Émilie-Romagne. De leur rencontre créative est née une solide et fructueuse collaboration qui a donné naissance à la bande dessinée Rebis. Publiée en 2023 en Italie, avec un premier scénario pour Irène Marchesini la BD est traduite et publiée en France en 2024, aux éditions Le Lombard.

Rebis Marchesini-Dicataldo Le Lombard couverture

© Rebis – Irène Marchesini – Carlotta Dicataldo – Le Lombard

Dans un village, à l’époque médiévale, une petite fille assiste à la mise au bûcher de Beldie et Viviana, condamnées par l’Église pour avoir pêché. Au même instant, Annela donne naissance à un petit garçon que son père, guidé par les croyances et craintes populaires, va immédiatement rejeter. Martino est un bébé particulier, il est atteint d’albinisme, et à cette époque, tout être différent, ou à l’attitude inexplicable, est accusé de tous les maux et doit être purifié par le feu. Malgré la bienveillance de sa mère et de ses sœurs, Martino est harcelé par les voisins et les autres enfants, dédaigné par son frère et il est haï par son père qui finit par trouver une solution pour l’éloigner de la famille définitivement. Le jeune garçon fait alors le choix de fuir cette vie, qui le met au ban d’une société intolérante, pour se réfugier dans la forêt chez sa récente et seule amie Viviana.

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© Rebis – Irène Marchesini – Carlotta Dicataldo – Le Lombard

La différence au cœur d’un récit emprunt de modernité

Le prologue de Rebis laisse croire à une énième histoire de sorcières, mais dès la page 12, à la naissance de Martino, s’installe le sujet central : la différence. En même temps que grandit l’enfant, les autrices développent cette thématique et ses conséquences telles que l’exclusion avec le rejet que Martino suscite autour de lui, l’isolement quand il trouve refuge dans la forêt, la recherche d’identité dans ses échanges avec Viviana ou encore l’acceptation de soi, l’inclusion et la difficulté de vivre ou non avec sa particularité. Un sujet vaste, intemporel et emprunt de modernité puisque de l’exclusion des sorcières, le récit bascule rapidement vers les problématiques liées à l’identité. Comment, parce que rejeté, Martino renonce à ce qu’il est, pour ressembler aux personnes qui l’acceptent ? Ou alors peut-être choisit-il de devenir qui il est réellement au fond de lui ?

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© Rebis – Irène Marchesini – Carlotta Dicataldo – Le Lombard

Un thème difficile à traiter ?

Si le sujet de la différence et de la recherche d’identité sont clairs, le récit est souvent fait de sous-entendus qui créent une ambiguïté dans l’interprétation. Cela peut donner l’impression d’un récit pas entièrement assumé, mais il offre surtout plusieurs lectures possibles permettant ainsi de traiter ces thèmes au sens large, même, si entre les lignes, certains comme l’homosexualité et la transidentité se distinguent. De plus, la délicatesse et la finesse avec laquelle ils sont abordés, sans tomber dans les poncifs caricaturaux, est appréciable. L’allégorie de la larve qui grandit en parallèle de Martino qui devient Rebis en est la parfaite illustration. Mais il n’est pas certain que les jeunes lecteurs perçoivent toutes ces images et niveaux de lecture, comme par exemple le sens du mot Rebis qui dans le latin employé au Moyen Age signifiait hermaphrodite.

Il peut être regretté que l’homme soit présenté exclusivement comme le méchant absolu, peut-être en raison du parti pris de la sororité ou parce que le récit est centré sur les émotions de Martino, et que l’inclusion, telle que montrée, ne puisse se faire qu’entre personnes bannies considérées comme « différentes, »  en exclusion du reste du monde.

Enfin, certains élément du récit sont peu explicités comme la façon dont Viviana à pu échapper au bûcher sur lequel elle était attachée, ou encore la raison qui motive son départ avec Martino de la forêt et qui laisse supposer un tome 2 qui n’est pas prévu.

Rebis Marchesini-Dicataldo Le Lombard planche

© Rebis – Irène Marchesini – Carlotta Dicataldo – Le Lombard

Le dessin au service de l’émotion et des sentiments

Il faut saluer les dessins et la mise en couleurs de Carlotta Dicataldo qui jouent un rôle essentiel dans le récit et démontrent la très belle collaboration des deux autrices. Ils sont de merveilleux passeurs d’émotions telles que la tristesse de Martino et de Viviana. Ils disent bien plus que les mots comme lorsque Martino se questionne sur son genre quand il s’amuse dans la mare avec ses sœurs ou encore pour expliquer la nature de la relation entre Viviana et Beldie. Les ambiances comme celle de la forêt sont également très joliment retranscrites par les jeux d’ombres et de lumières sur des cases très colorées. Le trait des visages quant à lui apprend beaucoup sur les caractères des protagonistes. Ainsi la maman de Martino apparaît pleine d’amour et de compassion mais impuissante face aux évènements.

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© Rebis – Irène Marchesini – Carlotta Dicataldo – Le Lombard

Rebis traite un sujet vaste et complexe dont il est difficile d’aborder tous les aspects en une seule histoire ou en un seule tome. Malgré quelques éventuels soucis d’interprétation du scénario, liés aux diverses lectures possibles, c’est une bande dessinée, qui bien que se déroulant au Moyen Age, est parfaitement ancrée dans notre époque. Elle présente, avec les émotions exprimées, les épreuves et les moments de joie rencontrés par Martino, toute la complexité de la thématique. Il est cependant dommage de montrer l’image d’un monde uniquement excluant et d’avoir comme seule solution pour vivre heureux que de vivre caché. Mais cette BD est aussi un message d’espoir et délivre le conseil fort utile de ne pas souffrir seul dans son coin car il existe toujours une personne pour partager sa tristesse et avec qui trouver la voie du bonheur.

Une chronique écrite par : Xavier

Informations sur l’album :

  • Scénariste : Irène Marchesini
  • Dessinatrice : Carlotta Dicataldo
  • Éditeur : Le Lombard
  • Date de parution : Le 12 janvier 2024
  • Pagination : 192 pages en couleurs

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