Pump tome 1 : Un si gentil garçon…
Les salauds sont immortels, paraît-il. Pour son retour au western, Rodolphe a choisi d’en mettre en scène un sacré spécimen. Il retrouve au dessin, pour l’occasion, son comparse sur le récent Naufrageurs, autre récit historique qui explorait la noirceur humaine, du point de vue collectif. Pour Pump, toute cette noirceur se concentre en un jeune homme à l’apparence des plus agréables.

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
Rescapé d’une mortelle attaque de diligence, le jeune Ed profite de la mort d’une riche passagère pour s’emparer de l’identité du neveu de celle-ci, Edward Pump. Recueilli par le brave sheriff Wyatts, le garçon, dès son réveil, ne tarde pas à séduire la femme puis la fille de l’homme de loi. Une fois sur pied, il s’intègre très rapidement dans la communauté qu’il charme par son courage et sa bienveillance. Ses dons de manipulations ne tardent pas à lui apporter de précieux alliés. Le démon se cache parfois derrière un masque angélique…

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
Une main d’acier dans un gant de soie
Le personnage d’Ed est très librement inspiré du grand-père de Donald Trump, Friedrich, un immigré allemand qui a fait fortune en tant que patron de plusieurs hôtels, service de prostituées inclus, dans le Nord-Ouest américain et le Canada du début du XXe siècle. Amoureux de western, Rodolphe ne change pas seulement le patronyme* de son protagoniste mais également le lieu du récit, le plaçant en Arizona. En s’inspirant plutôt du célèbre petit-fils de Friedrich Trump, le scénariste fait du faux Edward Pump un personnage manipulateur et malsain, se cachant derrière un visage d’ange et une attitude courageuse, bienveillante et relativement naïve.
Dès les premières planches d’introduction, Rodolphe n’essaie pas de tromper son lecteur, faisant de Pump un narrateur qui assume pleinement son usurpation et son mépris d’autrui. Déjà, la couverture jouait sur la dualité beauté physique et noirceur d’âme : une belle gueule juvénile mais un regard froid, cigare à la main et flingue à la ceinture, dans un décor de saloon, lieux de dépravation s’il en est dans l’Ouest sauvage. On est clairement loin du Charles Ingalls de la Petite Maison dans la Prairie, impression confirmée par le titre tout en ironie dont les trois points finaux sont loin d’être anodins.

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
L’homme qui s’élève plus vite que son ombre
Rodolphe a choisi de raconter l’histoire de son protagoniste de manière très rapide, enchaînant les étapes de son ascension sans prendre le temps de construire ses personnages secondaires. Cette vitesse narrative pourrait laisser quelques lecteurs sur le côté, car il est possible d’imaginer cette intrigue traitée en deux tomes. Mais ce tempo a un triple avantage. Tout d’abord, pour rester sur les personnages secondaires, ils ne sont que des jouets que Pump manipule facilement, ils n’ont dans le récit, vu par les yeux de l’usurpateur, que peu d’humanité et d’intérêt.
Ensuite, en racontant cette histoire sur deux albums, il aurait été difficile d’avoir un climax convaincant en fin de premier tome, alors que ce que propose Rodolphe ici est totalement inattendu et donne furieusement envie de lire la suite. Enfin, et surtout, le thème même de l’aventure est l’ascension très rapide du jeune homme, donc le rythme narratif impressionne autant le lecteur que les personnages qui s’émerveillent de la réussite de ce si gentil garçon. Le point de vue du récit est celui de Pump, il n’a que faire des petits événements quotidiens, il est concentré sur son plan et le scénario traduit cet état d’esprit à la perfection.

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
Arizona dream
Le prolifique scénariste Rodolphe, auteur notamment de la saga Ter / Terre et collaborateur régulier de Léo, n’en est pas à son coup d’essai dans le western, avec des titres comme Trent ou la reprise du scénario non terminé par Greg sur le tome 22 de Comanche. Laurent Gnoni, pour sa première incartade dans le western, livre un travail plus que convaincant, à commencer par ses personnages. Si Pump a bénéficié d’un soin particulier, son physique étant un élément central, et trompeur, du récit, les personnages secondaires n’ont pas à être jaloux. Le scénario ne leur offrant que peu de consistance, le dessinateur a réussi à rendre ses acteurs plausibles et surtout parfaitement reconnaissables malgré leur nombre relativement important.
La mise en scène, que ce soit dans le gaufrier ou dans le choix des plans, est très traditionnelle et ne se permet aucune folie inutile. Lorgnant vers le cinéma des classiques du genre, beaucoup de cadrages serrent les personnages lors des dialogues. Un jeu sur les regards impeccable, avec certaines cases vraiment iconiques, se met rapidement en place afin de créer la tension entre les acteurs, une tension tantôt agressive, tantôt sexuelle. Les décors ne sont pas en reste, chacun ayant bénéficié d’un grand soin dans les détails, que ce soit dans des intérieurs riches comme dans des rues plus vraies que nature. Les couleurs sont à l’image du personnage de Pump : lumineuse et éclatantes en apparence, mais qui se révèlent pleines de contraste.

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
Il n’est pas évident de rendre captivante une histoire dont le personnage principal est une pure ordure, tant l’empathie du lecteur se révèle vite impossible. Pourtant, l’expérimenté scénariste Rodolphe a trouvé une parade des plus malines : donner à son récit la forme d’une suite rapide d’événements, très bien racontés, afin de montrer toute la déshumanisation de son protagoniste tout en soulignant le côté exceptionnel de son ascension. Il est tout autant impossible d’aimer ce personnage que de ne pas être impressionné par son intelligence malveillante, donnant à ce premier tome une certaine originalité : rarement un récit n’a autant assumé la malveillance de son « héros ». Servi par les dessins impeccables et toujours justes de Laurent Gnoni, Pump est une lecture prenante, presque envoûtante dont le retournement final promet une suite passionnante. On peut toutefois regretter que le texte d’explication de l’inspiration trumpienne de Pump soit placé en début d’album, pouvant ainsi biaiser quelque peu le regard du lecteur sur le personnage, selon son degré d’admiration ou de détestation du président américain. Placé après l’histoire, cette révélation aurait eu, de plus, une plus grande force ironique.
* Rodolphe s’approprie malicieusement le nom du millionnaire imaginé par Hergé dans sa série Jo, Zette et Jocko, Monsieur Pump.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Pump, tome 1 – Rodolphe/Gnoni – Anspach, 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : Rodolphe
- Dessin : Laurent Gnoni
- Couleurs : Laurent Gnoni
- Éditeur : Anspach
- Date de sortie : Le 19 septembre 2025
- Pagination : 46 pages en couleurs