Mickey à travers les siècles
Nîmes, 2023, biennale de la bande dessinée. Rien qu’à la taille de la file d’attente, on comprend que cet auteur est un des invités de marque. Renseignement pris, Petrosi (c’est son nom) est italien, sa file ne désemplit pas, et il a dessiné un des derniers albums de cette série de chez Glénat, sous licence Disney, où des auteurs franco-belges font du Mickey. Il y a déjà eu Loisel, Cosey, Trondheim, Filippi et Camboni, Alexis Nesme… Ça ne peut pasêtre mauvais. À moins que Glénat n’ait réalisé que même scribouillé par un gougnafier sans talent, ça se vendrait toujours à partir du moment où le héros a de grandes oreilles.

®Disney – ©Glénat, 2018 – Mickey à travers siècles – Petrossi et Dab’s
Minnie est chafouine : son journaliste de Mickey est sur le point de lui poser un lapin pour leur soirée théâtre. Un reportage-qui-ne-se-refuse-pas vient de lui être proposé, et le rendez-vous est précisément ce soir. Mickey se rend donc à l’adresse qui s’avère être un salon de coiffure. Une mise en scène le conduit dans une sorte de cave où deux frères simiesques, répondant aux noms de Malph et Ralph, l’accueillent. Laborieusement, entre deux chamailleries des jumeaux scientifiques, Mickey apprend que son scoop portera sur une machine à voyager dans le temps. Sous la forme d’un fauteuil de coiffeur.

®Disney – ©Glénat, 2018 – Mickey à travers siècles – Petrossi et Dab’s
Comme on peut s’y attendre (sinon il n’y aurait pas d’histoire), la machine a un pépin technique et Mickey est envoyé dans le passé sans que les chimpanzés aient pu contrôler le lieu et la date. Première étape : le Jurassique, les dinosaures… Bien mal embarqué, Mickey devra non seulement survivre, mais aussi trouver le moyen de rentrer à la bonne époque… Avec quelques escales.
C’est là son moindre défaut…
À l’origine était une série d’albums de bande dessinée parue de 1952 à 1978, intitulée Mickey à travers les siècles. Sur pas moins de 170 numéros de 50 pages chacun, Mickey vit des aventures au long cours dans des périodes historiques variées. Rentrant dans la catégorie du « voyageur temporel involontaire », le héros fait donc contre mauvaise fortune bon cœur et porte un regard initié sur les pages d’Histoire qui s’effeuillent devant ses yeux, allant parfois jusqu’à y mettre son grain de sel.

®Disney – ©Glénat, 2018 – Mickey à travers siècles – Petrossi et Dab’s
Dès la fin du 19ème siècle avec H.G. Wells, le voyage dans le temps a été l’un des piliers de la science-fiction, inspirant des générations de créateurs sur tous supports : littérature, cinéma, télévision, BD… On pense à des œuvres aussi classiques que La planète des singes (Franklin J. Schaffner, 1968), Retour vers le futur (R. Zemeckis, 1985), ou d’innombrables épisodes de La Quatrième dimension, Code Quantum ou Star Trek où les protagonistes se retrouvent dans des périodes passées ou futures contre leur gré. Dans le medium qui nous occupe, l’emblématique album de Blake et Mortimer, Le Piège diabolique (E.P. Jacobs, 1960), sert inévitablement de mètre-étalon à toute tentative d’aventure temporelle depuis lors.
On l’aura compris, le thème est ultra-classique. On dirait même plus : franchement usé jusqu’à la corde, à tel point que toute tentative nouvelle se doit d’offrir une modernité et un renouvellement spectaculaires. Las, cette reprise de Mickey à travers les siècles dans un album jeunesse de 56 planches en 2018 tombe dans le piège : il n’apporte absolument rien de nouveau. Mais c’est là son moindre défaut…
Mickey à travers les siècles : quand ou comment ?
Une fois que Mickey a trouvé le « truc » pour changer d’époque, à la page 17, le principal intérêt de l’album s’évanouit instantanément. Le reste de l’histoire ne repose plus sur comment Mickey va rentrer chez lui, mais quand. Le lecteur se prend alors à penser que le plus tôt sera le mieux.

®Disney – ©Glénat, 2018 – Mickey à travers siècles – Petrossi et Dab’s
Là où le Mickey originel vivait de véritables aventures riches qui non seulement tenaient le lecteur en haleine par de vrais enjeux et des intrigues solides, mais aussi l’instruisaient grâce à un réel contenu pédagogique, la version de 2018 perd toute l’essence de l’entreprise. Le voyage temporel n’a plus d’autre intérêt que le voyage lui-même. Les personnages historiques (Jack London, Colomb, De Vinci…) ne font que de pauvres caméos dont l’apport au récit est minime, à l’image de l’intervention de Mickey sur les événements : devenu simple témoin au même titre que le premier péquin qui passerait par là, point de risque que le cours de l’Histoire ne soit perturbé ou qu’un quelconque paradoxe temporel ne chamboule notre civilisation, principale préoccupation de la SF moderne. Pis encore, Dab’s, au scénario, fait l’économie du moindre fil rouge qui créerait un tantinet de cohérence entre les différentes époques, une quête un poil plus complexe que le seul retour au présent. Chaque nouvelle étape est donc totalement isolée, indépendante, hermétique, rendant le principe-même de l’album encore moins évident, si tel était possible.
Que reste-t-il donc à lire dans l’album, une fois mis de côté la modernité, l’intrigue, l’enjeu et la cohérence ? Les gags ? Parlons-en !
En gage d’éculé
La réponse à votre prochaine question est : non, l’album n’est pas franchement drôle. Tout au plus la qualité des dialogues est-elle peut-être ce qui sauve l’ensemble d’un naufrage certain, le scénariste faisant preuve d’un sens de la réplique et d’une verve indéniables. Mais ce talent est mis au service de clichés éculés, voire de plagiats éhontés des grands classiques. Les bras nous en tombent comme le nez du Sphynx qui – si, si, vous l’avez deviné – se décroche sous le poids de Mickey comme d’Obélix…

®Disney – ©Glénat, 2018 – Mickey à travers siècles – Petrossi et Dab’s
Parfois l’emballage peut rattraper un contenu plus que limite. Ici encore, la catastrophe n’est pas totale : le dessin de Fabrizio Petrossi est extrêmement dynamique, bien découpé et enlevé. Cependant, la fausse nervosité qui caractérise le rendu de certains visages défigure tellement les personnages qu’on ne peut plus décemment se convaincre que c’est « un style ». Les bouilles dysnéennes qui ont pourtant supporté auparavant, avec bonheur, les coups de crayon si particuliers et différents de Loisel, Cosey, Nesme, Keramidas, Tébo, Camboni… subissent des déformations qui échouent à emporter l’adhésion du lecteur, probablement devenu intolérant à force de fréquenter ces personnages devenus trop familiers.
Malgré les intentions louables qui pavent la reprise d’une série légendaire passée à la postérité, l’exécution rate son objectif du début à la fin. Pas de scénario, pas d’enjeu, dessin bâclé ou, pire, précipité pour respecter des délais éditoriaux… ? Quoi qu’il en soit, les premières victimes sont évidemment les enfants qui en restent, malgré tout, les premiers clients. Une preuve de plus, s’il en fallait une, que ce n’est pas en prenant les jeunes lecteurs pour des huîtres qu’on produit des perles.
Une chronique écrite par : Philippe Barre
Informations sur l’album :
- Scénario : Dab’s
- Dessin : Fabrizio Petrossi
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : Le 26 septembre 2018
- Pagination : 56 pages en couleurs