Marcie – Le point de bascule

Marcie est l’une de ces femmes que la société a « invisibilisées », à coup de promotion du jeunisme et du culte de la beauté éternelle. Elle se démarque des normes imposées par la publicité. Fort heureusement, l’autrice Cati Baur est une battante qui a décidé de sortir son héroïne de sa zone de confort afin de lui offrir une vie trépidante, où la discrétion devient une véritable force.

Depuis plus de 5 ans, Caroline travaille dans la même entreprise, la SOFICAL. À tel point qu’elle semble même faire partie des meubles, selon son Chief Happiness Officer qui la convoque dans son bureau. C’est une phrase humiliante, une de plus pour la discrète employée de bureau qui ne bénéficie que d’un contrat à durée déterminée, malgré ses états de service. Et son « chef du bonheur » n’est pas à une muflerie près, puisqu’il ignorait que le vrai prénom de cette banale collègue n’est pas Caroline mais bien Marcie. Normal, cette dernière préfère utiliser son second patronyme plutôt que le premier. La discrétion, avant tout, pour cette maman d’une jeune adolescente.

Le chef est un chef… Celui-ci est plutôt lâche. Il signifie le congé de Caroline par une autre expression empreinte d’une belle goujaterie. « On a décidé de te rendre ta liberté ». Voilà, c’est tout. Et surtout qu’elle n’oublie pas, après l’entretien, d’évaluer son expérience avec Ivan, le Chief Happiness Officer en question, grâce au questionnaire de satisfaction qu’elle recevra en ligne. La vie de Caroline-Marcie se poursuit par un passage à Pôle Emploi où la collaboratrice ne lui témoigne pas davantage d’égard que son ancien boss, puis par une mission d’enquêtrice dans la rue pour inciter les passants à répondre à des enquêtes marketing, – il faut bien manger. Un événement particulier va débouler dans la vie de l’insignifiante Caroline, révélant les compétences de la redoutable enquêtrice Marcie… Mais en tant que détective privée cette fois !

Marcie Dargaud planche — ©Dargaud – Cati Baur

L’éclosion d’un cocon

Quel bonheur, pour une femme, cette cinquantaine qui approche ! À la société qui se permet de la mépriser et de l’humilier, s’ajoutent les caprices d’un corps qui s’abandonne à l’âge, entre bouffée de chaleur, insomnies et physique qui ne cesse de s’épaissir. L’autrice Cati Baur n’est pas tendre avec son héroïne. Pourtant, en s’intéressant à Marcie, elle soulève le voile d’invisibilité apposé sur tout un pan de la société française, celle des mamans-solo quinquagénaires. Ce sont celles qu’on ignore, qu’elles soient collaboratrices, voisines ou encore un membre de la famille. Dans les années 90, à l’époque de la fameuse « ménagère de moins de 50 ans », on lui aurait peut-être encore trouvé un quelconque intérêt en tant que consommatrice.

Fort heureusement, au fil des péripéties qui jalonnent les pages de ce récit enthousiasmant, la néo-détective privée va se révéler sous un jour nouveau. Elle s’intéresse notamment à la chute d’une jeune femme depuis le troisième étage d’un immeuble. Meurtre ou suicide ? Grâce à la discrétion de Caroline, la volubile Marcie mène une enquête qui la conduit jusqu’à New-York. L’extravagance de La grosse pomme agit comme un révélateur sur l’ancienne chargée de projets de la SOFICAL. Le changement est radical !

Un point de bascule positif

Depuis quelques années, Cati Baur dessine sur tablette, mais « d’une manière très artisanale », selon ses propres confidences. Elle ne travaille jamais ses planches en les colorisant sur de grandes surfaces d’un seul coup. Elle utilise l’outil « crayon » avec subtilité et applique à la main chaque couche de couleur, les unes sur les autres. Le résultat escamote l’impression « du tout-numérique » qui est parfois caractéristique d’un travail effectué avec un outil digital. Les différentes ambiances restituent les journées et les nuits de Marcie avec une jolie précision et confèrent au récit une douceur pastel qui contraste avec une aventure qui devient de plus en plus trépidante. Lorsque la vie bascule, le point de chute s’avère parfois positif.

Marcie Dargaud planche 8 — ©Dargaud – Cati Baur

Au fil des pages, les lectrices et les lecteurs deviennent complices de l’héroïne. De l’indignation et de l’impuissance résultant d’une Caroline, trop timide, écrasée par le poids de la société, on passe à la fierté de découvrir une Marcie qui se révèle aux yeux du monde. Elle démontre que la femme de cinquante ans est une anti-héroïne qui déborde d’énergie et est prête à vivre une suite d’aventures qui ne manqueront pas de piquants, ni de rebondissements.

Une chronique écrite par : Bruce Rennes

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