Rétro – Liens de sang

En 2000, la collection « Signé » des éditions du Lombard publiait Liens de sang, un one-shot qui marquait la première collaboration entre Hermann (le dessinateur de Comanche) et son fils Yves H. (Le secret des hommes-chiens). Le résultat : un polar sombre et atypique.

Liens de sang Hermann couverture

© Le Lombard, Hermann et Yves H., Liens de sang

États-Unis, dans les années 1950. Sam Leighton est un jeune gars qui a quitté sa ville de province pour tenter sa chance dans la grande ville. Devenu policier, il se retrouve à enquêter sur un tueur en série et Philip Meadows, un détective privé, le convainc de l’aider à faire tomber le parrain de la ville : Joe Beaumont que personne n’a vu depuis 20 ans.

Liens de sang Hermann planche 7

© Le Lombard, Hermann et Yves H., Liens de sang

Liens de sang : une histoire d’Œdipe

Au départ, Yves H. se destine au cinéma mais, il bifurque rapidement vers la bande dessinée. Après un premier album pour lequel il signe le scénario et le dessin, il décide de se consacrer exclusivement à l’écriture.

Liens de sang est un polar qui s’inspire des romans et des films noirs des années 40 et 50. Ainsi, le détective privé Philip Meadows peut être vu comme un clin d’œil au célèbre Philip Marlowe, personnage créé par Raymond Chandler en 1939. Il y a des tas d’autres références que le lecteur attentif recherchera fébrilement.

Liens de sang Hermann planche 20

© Le Lombard, Hermann et Yves H., Liens de sang

Yves H. prend donc comme base le genre du polar noir classique dont il coche toutes les cases : une grande ville glauque noyée sous une pluie incessante (qui n’est pas sans rappeler Seven, le film de David Fincher), des malfrats patibulaires et violents, des policiers cyniques et corrompus, la femme fatale, le narrateur, les apparences trompeuses, mensonges, vengeances et trahisons…

Mais pour le scénariste, tout cela n’est qu’un prétexte pour servir son véritable projet : réaliser une relecture du mythe d’Œdipe.

Le projet est alléchant  mais, malheureusement, Yves H. n’avait probablement pas les épaules assez larges à l’époque pour le mener à bien. Le début de son scénario pose les bases et exploite correctement son concept, bien aidé par le dessin d’Hermann, mais il s’égare dans sa dernière partie laissant le lecteur perdu devant la résolution de l’histoire.

Quelqu’un a-t-il seulement une explication pour les tâches de peinture vertes présentes sur les lieux des assassinats ? Une métaphore des enfers ? Autre chose ? Seul Yves H. a la réponse.

Liens de sang Hermann planche 24

© Le Lombard, Hermann et Yves H., Liens de sang

Master class d’Hermann

Faut-il encore présenter Hermann ? Dessinateur de Bernard Prince, Comanche et de Jeremiah, grand prix 2016 de la ville d’Angoulême, il est un des plus grands auteurs encore vivant.

Comment reconnaître un grand auteur ? C’est simple : le lecteur voit un dessin et sait tout de suite qui en est le dessinateur.

Depuis plusieurs années, Hermann est devenu un adepte de la couleur directe, processus de colorisation consistant à ajouter la couleur directement sur la planche. Pour cet album, Hermann alterne en fonction des lieux et des scènes les couleurs sombres (pour les décors de la grande ville), les couleurs plus claires voire même criardes (associées au personnage de Gladys) et enfin plus douces (la petite ville de province). Tout cela crée une atmosphère irréelle qui traduit l’état d’esprit confus de Sam Leighton.

Il y a aussi les références picturales : la dernière case de la page 39 renvoie au tableau Nigthawks du peintre Edward Hopper ayant pour thème : la solitude, l’amour et la mort… Preuve que les références ne sont pas choisies au hasard mais font sens par rapport aux sujets de l’album.

Hermann planche 41

© Le Lombard, Hermann et Yves H., Liens de sang

Pour le reste, Hermann s’amuse avec les cadrages qui rappellent certains comics américains (Batman par exemple), mais aussi avec ces sombres silhouettes qui se meuvent menaçantes dans la nuit. Le tout respire la maîtrise et le talent du maître.

Une expérience mitigée

Les amateurs de jolis graphismes seront aux anges avec cet album : Hermann met son expertise au service de l’histoire pour le plus grand plaisir de nos yeux. Mais qui en doutait ?

Le scénario laisse une impression plus mitigée : Yves H. avait une excellente idée dont le traitement laisse à désirer. Sa relecture du mythe d’Œdipe et son côté psychologique sont intéressants et censés faire le sel de l’album mais comme beaucoup avant lui, le scénariste s’est pris les pieds dans le tapis au moment de la résolution. Il y a trop d’éléments non expliqués (les fameuses tâches de peinture déjà évoquées) pour satisfaire le lecteur. 

Paradoxalement, c’est dans l’aspect roman noir qu’Yves H. s’en sortait le mieux tellement on sentait que l’auteur avait digéré et intégré les mécanismes de ce genre. Liens de sang aurait pu être un chef d’œuvre, un album incontournable de ses auteurs. Il est juste un objet aussi fascinant que frustrant pour le lecteur. 

Chronique écrite par : Frédéric P.

Informations sur l’album :

Scénario : Yves H.

Dessins et couleurs : Hermann

Éditeur : Le Lombard (collection Signé)

Date de sortie : Septembre 2000

Pagination : 54 pages en couleurs

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