L’homme qui pouvait accomplir des miracles

Nouvelle adaptation d’un auteur culte pour José Luis Munuerachez Dargaud. Après Herman Melville, Charles Dickens et James L. Barrie, le prolifique espagnol s’attaque à H.G. Wells avec l’Homme qui pouvait accomplir des miracles, d’après une nouvelle de l’auteur des célèbres l’Homme invisible, la Machine à remonter le temps, l’Île du Dr Moreau ou encore la Guerre des Mondes. Une nouvelle fois, José Luis Munuera se réapproprie le récit originel afin d’y ajouter ses thèmes chers et sa sensibilité.

Le très ordinaire George McWhriter Fotheringay ne croit pas aux miracles. Pour prouver sa conviction, il ordonne à une lanterne de se retourner et de continuer de brûler. Et là, miracle, la lanterne se retourne et continue de brûler ! Le très ordinaire George McWhriter Fotheringay se rend alors rapidement compte que tout ce qu’il ordonne se réalise. Pratique pour se débarrasser des tâches ennuyantes de son emploi ou dormir confortablement dans une chemise de nuit en flanelle. De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités, mais pour le très ordinaire George McWhriter Fotheringay, l’incompréhension prime sur la motivation et il va chercher conseil auprès de distingués professionnels comme une voyante, un médecin, un psychiatre et un curé…

L'homme qui pouvait accomplir des miracles Dargaud planche

« Renverse-toi et continue de brûler ! »

2025 est une année riche pour José Luis Munuera. Quelques mois après sa magnifique adaptation du poignant Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour, l’Espagnol signe un nouveau généreux one shot en opérant un virage narratif à 180 degrés. L’Homme qui pouvait accomplir des miracles est une nouvelle de H.G. Wells publiée pour la première fois en 1898 dans The Illustrated London News. Le texte était l’un des premiers d’un genre alors non reconnu comme tel, la fantasy contemporaine dont la saga Harry Potter est devenue la plus célèbre représentation. Touche de modernité pour l’époque, son narrateur, omniscient, s’adresse au lecteur. Passionné de science, Wells confrontera la magie qui frappe son protagoniste face à la réalité de la physique pour amener une réflexion dépassant la farce.

L’origine du pouvoir de George n’est jamais expliquée mais l’existence du diable, validée par une planche de l’album, peut aisément faire penser à une punition divine sur cet homme trop cartésien pour croire aux miracles, qui font partie des mythes fondateurs du christianisme. Le récit n’est jamais handicapé par cette apparition mystérieuse de la magie. Au contraire, le lecteur est autant perdu que le personnage et se pose les mêmes questions que lui, espère tout autant avoir les réponses des « professionnels ». Mais, contrairement à George qui panique, le spectateur s’amuse de son sort et des réponses pleines d’absurdité ou de déni.

« Et n’oubliez pas votre cactus ! »

Il faut dire que l’adaptation de Munuera est très drôle, notamment lors des visites de George chez les spécialistes. Tout en gardant le petit charme désuet de l’œuvre originale, so British, il y ajoute son goût pour l’absurdité et son sens du gag et du rythme. Dans le texte de Wells, pas de médecin, de voyante ni de psy, et le curé est un peu moins carriériste. Ces ajouts et modifications transcendent le côté ubuesque de l’œuvre, y apportant un comique de répétition prenant la forme d’un parcours du combattant pour le pauvre George. Grâce à son ton léger et l’excellente construction de son protagoniste, l’auteur parvient même à rendre la fin de l’histoire pertinente, alors que la conclusion, très originale à l’époque de Wells est devenue aujourd’hui un signe de fainéantise dans beaucoup d’œuvres artistiques.

Niveau dessin, c’est du grand Munuera. Fidèle au style qu’il a développé, notamment, dans ses adaptations littéraires, il mixe avec brio ses personnages, entre caricature et semi-réalisme, superposés à des décors beaucoup plus réalistes. Ce contraste est vraiment une des signatures de l’espagnol et, d’album en album, son aisance est de plus en plus impressionnante. Rien qu’aux fasciés des protagonistes, leurs caractères et tempéraments sont évidents, la mesquinerie, la malveillance ou la bonhommie se lisent sur les visages, apportant un côté burlesque très appréciable. La mise en scène, très théâtrale, soutenue par les couleurs magnifiques de son compère habituel Sedyas, offrent des planches superbes et vraiment immersives.

En adaptant des œuvres classiques tout en leur ajoutant sa propre personnalité artistique, José Luis Munuera parvient, d’année en année, à créer avec Dargaud une suite cohérente d’albums. Bartleby le scribe, le Chant de Noël, Peter Pan de Kensington, et maintenant l’Homme qui pouvait accomplir des miraclesont en effet une ligne directrice et des similarités qui ne se retrouvaient pas forcément dans les textes originels. Pour cette revisite d’un texte court de Wells, l’espagnol ajoute un côté plus ubuesque au burlesque originel, tout en gardant l’importance cartésienne de l’approche scientifique de l’auteur anglais. En découle un album drôle, profondément humain, avec une chute efficace servi par les planches magnifiques du duo Munuera-Sedyas.