Les Salamandres
Avis aux amateurs de dystopie, Drakoo vous propose un one shot dans la grande tradition des univers dictatoriaux dans lesquels un personnage banal va se rebeller contre l’establishment. Traditionnel, mais pas que, car l’album, scénarisé par Julien Frey et dessiné par Andrián Huelva, sort des sentiers battus avec un protagoniste original et des seconds rôles décalés.

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
Graham veut être tranquille, qu’on lui fiche la paix, qu’il puisse être peinard dans sa vie. La viande est interdite mais il a trouvé la combine pour continuer à en consommer. L’alcool, aussi, est prohibé, mais ça ne le dérange pas plus que ça. Des conducteurs de train grévistes vont bientôt perdre leur emploi, mais ça tombe bien car il va bientôt prendre un de leurs postes. Hélas, dans ce monde gouverné par « la Société » et ses Conseillers, la tranquillité n’est pas au programme, surtout depuis qu’un virus transforme des gens en salamandres anthropomorphiques. Alors, quand un des cadres de la Société le convoque et lui propose de participer à un voyage de trois mois sur Mars, il n’a pas spécialement envie de casser son quotidien pour ce séjour improbable. Et c’est là que les problèmes commencent…

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
Laissez-moi manger mon steak !
Le monde de Les Salamandres est donc une dictature dystopique assez classique, comme 1984 de George Orwell : une grande entreprise, aux dirigeants mystérieux, dirige les habitants d’une mégalopole high-tech, d’une main de fer avec des interdits radicaux et des discriminations systémiques. Toutefois, le scénario de Julien Frey, auteur notamment du très touchant Monsieur Apothéoz, possède une grande originalité : son « héros » qui n’a pas l’âme d’un rebelle, mais veut juste vivre sa vie dans son coin, avec son épouse. L’intrigue inévitable de la révolte contre l’establishment sera donc totalement à hauteur humaine et le ton du récit profondément cynique et désabusé, un choix à la fois rafraîchissant et amusant.

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
En effet, malgré son look assez ringard et sa banalité déstabilisante et, en apparence, peu passionnante, Graham devient rapidement très attachant, une vraie prouesse du scénariste. Certes, il n’éveille que très peu l’empathie du lecteur, mais ses déboires en deviennent presque gaguesques, notamment dans leur enchaînement rythmé et absurde. A ce titre, la couverture de l’album, à priori relativement ratée, prend tout son sens à la lecture des planches et devient, du coup, totalement pertinente.

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
Y a comme un lézard dans Les Salamandres
L’intelligence du scénario de Julien Frey est de ne pas faire de Graham le seul personnage décalé dans son univers. Même le cadre de la Société baigne dans l’absurdité, notamment dans la planche, sortie de nulle part, où le dessin devient cartoonesque pendant son discours à Graham. C’est même la majorité des personnages humains qui est traitée avec beaucoup de légèreté, donnant à l’album un humour très efficace, au contraire des Salamandres : des créatures parias d’une société qui les a pourtant, involontairement, créées et ne les assume pas aujourd’hui. Les lézards ont gardé plus d’humanité, pour le meilleur comme pour le pire, et plus de passion que les humains.

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
A l’univers absurde de Julien Frey, l’illustrateur espagnol Adrián Huelva, dont on a pu admirer le travail sur le superbe Les Pays d’Amir, propose un dessin très sérieux, du moins en apparence. En plus du passage cartoon cité précédemment, le dessinateur s’amuse avec quelques « bonnes tronches » et autres expressions très drôles par leur désabusement. Le style graphique des Salamandres tend vers la bande dessinée indépendante, collant parfaitement au ton décalé du scénario et à l’originalité de l’album, notamment par le travail des couleurs, assuré par Adrián Huelva en personne, et ses aplats simples aux teintes vives s’adaptant toujours à la perfection à l’ambiance de chaque scène.

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
L’éditeur Drakoo diversifie son catalogue avec ce récit dystopico-social au graphisme tirant vers ce qu’on appelle le « roman graphique » et aux personnages qui auraient pu sortir de l’imagination des frères Coen. Fond et forme s’accordent parfaitement pour faire des Salamandres un album à la fois original, drôle, intelligent et captivant.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
Informations sur l’album :
- Scénario : Julien Frey
- Dessin : Adrián Huelva
- Couleurs : Adrián Huelva
- Éditeur : Drakoo
- Date de sortie : Le 08 janvier 2025
- Pagination : 120 pages en couleurs

© Les Salamandres – Julien Frey, Adrián Huelva – Drakoo, 2025
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