Les métiers de la BD – épisode 9 : Loriane Ernst-Peysson, profession relectrice

Pour notre rubrique sur les métiers de la métiers, nous ouvrons nos colonnes à Loriane Ernst-Peysson, qui est relectrice. Elle a notamment travaillé sur Épouvantail, de Philippe Pelaez et Stéphane Sénégas publié en mai dernier aux éditions Dargaud. 

© Loriane Ernst-Peysson

© Loriane Ernst-Peysson

Les AmBD : Pourriez-vous nous raconter votre parcours ? Est-ce que vous vous imaginiez faire ce métier un jour ?

Loriane Ernst-Peysson: Tout a toujours tourné autour de l’écriture, sous différentes formes. Petite, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, des romans aux boîtes de céréales. Arrivée à l’âge d’entrer au lycée, j’ai opté pour l’option T.E.D. (théâtre – expression dramatique). Après le bac, j’ai créé, avec une amie, une compagnie de théâtre que nous avons judicieusement appelée « Rien à perdre », ce qui nous a posé pas mal de problèmes lorsqu’il s’est agi d’ouvrir un compte bancaire ! Puis, sans raison valable, je suis partie à Paris. J’y ai enchaîné les petits boulots, dont je changeais à peu près tous les trois mois. Je ne connaissais rien au cinéma, mais je vivais à deux pas de la Fémis*. Sans trop y croire, j’ai tenté le concours en scénario et… j’ai été admise. Ces quelques années ont été éprouvantes mais m’ont permis d’apprendre qui était Tom Cruise, de claquer pas mal de portes et, surtout, de rencontrer mon compagnon, qui était en département réalisation. Je suis ressortie de l’école les mains vides, et profondément découragée. J’allais bientôt devenir maman, j’ai décidé de suivre une formation de lecteur-correcteur au C.E.C. (Centre d’Écriture et de Communication). Ç’a été une révélation. C’était incroyable de réaliser qu’une phrase a priori correcte recelait en réalité un potentiel que la correction permettait de déployer. Mais une fois sortie de la formation, j’étais trop timide pour démarcher les éditeurs, et j’ai repris mon cycle sans fin de petits boulots. Et puis, au bout de douze ans, avec la généralisation d’internet, il était devenu plus facile de contacter les maisons d’édition à distance. J’ai envoyé un nombre incalculable de courriels. J’ai obtenu de cette manière mes premières propositions de correction, mais cela restait assez irrégulier. Et puis un jour, j’ai été contactée par Cécile Frappé, de Dargaud Benelux, et les choses sérieuses ont commencé.  

*école nationale supérieure des métiers de l’image et du son

Epouvantail Dargaud 2025 couverture

© Épouvantail – Pelaez / Sénégas – Dargaud, 2025

Les AmBD : Êtes-vous relectrice uniquement pour le support BD, ou également pour d’autres publications ?

Loriane Ernst-Peysson : Aujourd’hui, mes corrections chez Dargaud Benelux occupent l’essentiel de mon temps. Avant cela, j’ai corrigé quelques ouvrages de médecine, des manuels scolaires et, sporadiquement, divers écrits – essai de psychologie, roman, site internet… J’ai également été pendant plusieurs années secrétaire de rédaction pour un magazine parental en même temps que je faisais mes débuts chez Dargaud. Actuellement, je travaille aussi pour une autre maison d’édition, où je corrige des écrits très variés allant du livre pour enfants au récit autobiographique en passant par des manuels pratiques sur des sujets divers.

Les AmBD: La relecture d’une BD est-elle différente par rapport, par exemple, à celle d’un roman ?

Loriane Ernst-Peysson : Je ne fais aucune différence dans ma manière de corriger une bande dessinée, un roman ou un essai. Quel que soit le support, l’idée est toujours de se glisser dans la pensée de l’auteur, et de contribuer à porter sa voix au mieux. Il y a cependant certains impératifs à respecter dans une bande dessinée. Par exemple, le dessin passe avant tout, et le texte est calibré pour rentrer dans une bulle : la longueur des propositions de reformulation doit donc correspondre à peu près à celle du texte de départ. L’exercice est parfois compliqué, car la quête d’efficacité est primordiale. Les séries supposent également le respect, d’un tome à l’autre, des normes typographiques fixées dans les tomes précédents – parfois par un autre correcteur. Enfin, certains ouvrages, lettrés à la main, nécessitent de faire preuve de davantage de souplesse concernant, notamment, les espaces de ponctuation.

© Loriane Ernst-Peysson

© Loriane Ernst-Peysson

Les AmBD : Corrigez-vous uniquement l’orthographe ou votre relecture concerne-t-elle également le fond ?

Tous les auteurs n’ont pas les mêmes attentes : certains préfèrent une correction minimale, tandis que d’autres sont ouverts à une correction plus approfondie, voire à de la réécriture. Quel que soit l’auteur, je signale toujours les incohérences ou les constructions grammaticales fautives que j’ai pu détecter. Je tiens à proposer systématiquement une solution, mais je sais que l’auteur ne la validera pas forcément – et c’est très bien comme ça : la poésie, le charme de certains textes passe parfois par des tournures qui sont théoriquement un peu bancales, mais reflètent la personnalité d’un auteur, son univers.

Paradoxalement, une correction « orthotypo » (qui se cantonne aux fautes d’orthographe, aux coquilles, à la ponctuation ainsi qu’aux majuscules, guillemets, italique ou mots manquants) n’est pas toujours facile… Parfois, je passe presque plus de temps à effacer des corrections, et je dois me répéter en boucle : « ortho, typo, ortho, typo… » S’il y a des fautes grammaticales vraiment énormes, on les signale, mais on évite d’aller trop dans le détail.

En principe, la correction orthotypographique est demandée par l’éditeur lorsqu’une première correction a déjà été faite. Mais aussi, parfois, lorsque le temps manque pour une correction approfondie, ou lorsque l’auteur préfère que le correcteur intervienne le moins possible sur le texte d’origine. C’est assez douloureux de devoir passer sous silence les fautes que l’on repère ! Pour les corrections approfondies, la difficulté tient surtout aux explications que l’on fournit. D’abord parce que certaines corrections viennent un peu instinctivement. Il faut donc analyser les raisons pour lesquelles on a corrigé le texte, ce qui nous amène parfois à nous plonger longuement dans des ouvrages de typographie ou de grammaire pour trouver la règle que l’on a appliquée sans trop y penser. Mais ce travail a du bon, car il permet de réactualiser nos connaissances, et parfois… de réaliser que la formulation de l’auteur n’était pas forcément celle que nous aurions choisie, mais tout à fait correcte. Dans ce cas-là, évidemment, c’est toujours le texte originel qui doit être conservé. Les explications prennent pas mal de temps, et on n’a pas toujours le temps de les fournir. Mais lorsque c’est possible, c’est vraiment mieux : les corrections sont moins abruptes lorsque l’auteur peut comprendre pour quelle raison elles ont été faites, et elles ont plus de chances d’être acceptées. Ça permet aussi d’être plus diplomate : j’admire franchement les auteurs qui ne se révoltent pas lorsqu’ils voient leur texte bardé d’annotations en rouge ! Je crois qu’à leur place, j’aurais du mal à rester sereine !

© Loriane Ernst-Peysson

© Loriane Ernst-Peysson

Les AmBD : Est-ce que vos relectures donnent lieu à des échanges avec des auteurs?

Loriane Ernst-Peysson: D’après mon expérience, non. C’est l’éditeur qui fait le lien entre le correcteur et l’auteur. Mais je suppose que toutes les maisons d’édition ne fonctionnent pas forcément de la même manière.

Les AmBD : Comment les éditeurs recrutent-ils leurs relecteurs ?

Loriane Ernst-Peysson: Dans mon cas, seules les candidatures spontanées ont débouché sur des propositions de travail. Je sais que certaines maisons d’édition publient des annonces, mais le nombre de candidats est tel que la compétition doit être rude !

Les AmBD : Pour conclure, auriez-vous une situation amusante ou une anecdote à nous raconter par rapport à votre métier ?

Loriane Ernst-Peysson: La première correction que j’ai décrochée était un récit autobiographique romancé. J’étais tellement excitée par cette proposition que je n’ai pas trop réfléchi lorsqu’on m’a demandé de chiffrer ma prestation. J’ai annoncé un chiffre pour pour mille caractères espaces incluses un peu au hasard et je me suis mise au travail. Ça m’a pris environ un mois. Et lorsque j’ai rendu ma correction, ma facture s’élevait à… environ 23 euros ! Quand on est correcteur, mieux vaut ne pas trop aimer l’argent ; mais là, je me suis quand même dit qu’il fallait revoir mes tarifs !

Propos recueillis par : Emmanuelle DESSEIGNE

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