Les métiers de la BD – épisode 14 : Marcel Shorjian, auteur complet

Marcel Shorjian, jeune auteur, entre autres, d’Adieu mon royaume nommé à Angoulême en 2025, a accepté de nous parler de son travail de scénariste et de dessinateur pour ce 14ème épisode de notre rubrique sur les métiers de la BD.

©Marcel Shorjian

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Les AmBD : Bonjour Marcel. Merci beaucoup d’avoir accepté notre demande d’interview. Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Marcel Shorjian : Je suis né en 1997 dans le Sud-Est de la France. Mon intérêt pour la bande dessinée a commencé quand j’étais enfant, avec les BD de mon père sur les étagères familiales et avec celles empruntées à la médiathèque, où ma mère m’emmenait toutes les semaines.

De mes 12 à mes 16 ans, c’était l’âge d’or des blogs BD. Beaucoup d’auteurs, professionnels ou amateurs, postaient gratuitement de la bande dessinée en ligne, souvent sous la forme d’anecdotes humoristiques sur leur quotidien. J’ai tenu mon propre blog pendant des années. Avoir une audience et une communauté de jeunes artistes a été une grande source de motivation et d’inspiration, pour dessiner régulièrement et partager mon travail.

À cette période, j’ai aussi participé plusieurs fois au concours de la BD scolaire du festival d’Angoulême. J’ai eu la chance d’être plusieurs fois lauréat, et d’être invité au festival. Par la bouche de participants plus âgés, j’ai entendu parler pour la première fois des écoles d’Art.

©Marcel Shorjian

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Les AmBD : Comment vous viennent vos idées de scénarios ?

Marcel Shorjian : Au lycée et en classe préparatoire, j’ai eu une formation très littéraire.  En études littéraires on parle du style, des thèmes et des symboles. Ce bagage est précieux, car je traite mes bandes dessinées avec la même grille d’analyse. Pourtant, on ne parle presque jamais de scénario, ou du déroulement dramaturgique d’une œuvre, de la question pourtant centrale chez un lecteur « qu’est-ce qui va se passer après ? ». Je me suis formé en lisant des livres écrits par des scénaristes, souvent de télévision ou de cinéma, sur le sujet. C’était une manière de conscientiser les techniques à l’œuvre derrière les histoires, d’apprécier de voir les « ficelles » de la fiction.

C’est un bagage technique qui me semble important, mais les idées elles-mêmes me viennent beaucoup plus simplement et naturellement.  En général, tout part d’une situation, d’un lieu, ou d’un personnage. Les idées me viennent souvent la nuit. L’inspiration est beaucoup plus difficile à expliquer que la technique. Pour avoir de bonnes idées, il faut lire, regarder, écouter beaucoup, nourrir l’imaginaire. Avec le travail et la technique, on peut traiter l’idée la plus simple avec une grande complexité et originalité. Sans le travail et la technique, on peut rendre l’idée la plus originale complètement inintéressante. Alors pour moi, la bonne idée est celle qui nous habite assez pour s’y dévouer.

Adieu mon Royaume 6 Pieds sous Terre couverture

©6 Pieds Sous Terre – Adieu mon Royaume – Marcel Shorjian – 2024

Les AmBD : Comment vous êtes-vous formé au dessin ?

Marcel Shorjian : Je me suis formé à l’illustration et à la bande dessinée pendant mes études supérieures avec un Diplôme des métiers d’Art en illustration à l’École Estienne, à Paris. J’ai ensuite réalisé un Master de recherche en Arts Plastiques à La Sorbonne. J’ai beaucoup appris de mes camarades de classe et de mes ami.e.s artistes.

Je me suis aussi formé par moi-même, en tenant des carnets d’expérimentation graphique, et en dessinant d’après nature. Si je peux donner un conseil à ceux et celles qui veulent se former au dessin, c’est de faire des dessins ratés. Acheter un carnet très peu cher et dessiner le plus possible, sans se poser la question de la qualité. Avoir une appréciation active dans ses lectures et ses visionnages : trouver exactement ce qui nous plaît et nous déplaît dans le travail des autres, apprendre à l’émuler ou l’éviter. Pour ce qui est des grandes bases du dessin, toutes les ressources possibles sont disponibles en ligne. L’apprentissage du dessin peut être très technique ou très organique, et il n’est jamais terminé. Il faut savoir se laisser surprendre.

©Marcel Shorjian

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Les AmBD : Où travaillez-vous ? Pourriez-vous nous décrire une journée type de travail ?

Marcel Shorjian : Je travaille seul chez moi. Toutes les journées ne se ressemblent pas. Tout dépend de l’étape de création à laquelle je me trouve dans un projet. Quand je suis en pleine réalisation des planches, la journée est assez monotone. Je me lève et je dessine, j’essaie de finir une planche par jour, mais je n’y arrive pas toujours. J’écoute de la musique, ou je mets une vidéo d’une campagne de Jeux de Rôles (souvent Dimension 20) en fond sonore. D’autres jours, je me déplace pour faire des interventions et des ateliers BD en milieu scolaire.

Les AmBD : Pourriez-vous nous expliquer vos différentes étapes de création d’une BD et le temps que vous passez sur chacune d’elles ?

Marcel Shorjian : La première étape, c’est quand le projet est seulement un fragment d’idée. Cette étape commence souvent pendant que je finalise l’encrage ou la couleur d’une BD précédente, ce qui est un travail très machinal, que j’ai l’espace mental et le temps pour laisser mûrir une idée. Dès que quelque chose me vient, j’en prends note sur mon téléphone. C’est une étape qui prend plusieurs mois. Parfois, je fais des croquis préliminaires des personnages principaux, mais le texte vient toujours avant le visuel.
 La deuxième étape, quand je sens que j’ai la majorité des scènes importantes en tête, et la structure générale, c’est de centraliser toutes ces notes en un seul document sur mon ordinateur. Une fois que tous ces éléments sont posés, je me lance dans l’écriture du script. Ça me prend environ un mois.

La dernière étape, c’est l’exécution elle-même, qui se compose en trois parties : storyboard, encrage, couleur. Le storyboard est la partie la plus intense, parce que c’est là qu’on doit répondre à toutes les questions visuelles, régler tous les problèmes, trouver la manière la plus efficace de produire les effets qu’on souhaite. Ça demande beaucoup de concentration. J’ai tendance à faire des storyboards très détaillés, qui sont presque déjà des crayonnés. Une fois le storyboard terminé, l’exécution des planches finales est l’étape la plus longue, mais elle demande moins de réflexion.

La Montagne entre nous Sarbacane couverture

©Sarbacane – La Montagne entre nous – Marcel Shorjian et Jeanne Sterkers – 2025

Les AmBD : La réalisation d’un album est très longue. N’êtes-vous pas parfois tenté de faire appel à un dessinateur pour vous consacrer à l’écriture de scénario ou à l’inverse de vous laisser porter par le scénario d’un autre auteur et de vous consacrer sur le dessin ?

Marcel Shorjian : J’ai la chance d’avoir la double casquette, dessinateur et scénariste. J’ai collaboré pour la première fois en tant que scénariste, avec Jeanne Sterkers au dessin, sur La montagne entre nous aux éditions Sarbacane. C’était une très belle expérience, et je vais continuer de faire appel à des illustrateur.ices, parce que mon dessin n’est parfois pas le plus en phase avec l’histoire que je voudrais raconter. Pour ce qui est d’une collaboration où je serais à l’illustration plutôt qu’au scénario, je n’y suis pas fermé, mais j’ai une plus grande confiance en mon écriture qu’en mon dessin.

Les AmBD : Quels sont vos projets en cours ?

Marcel Shorjian : J’ai deux projets signés chez Dargaud. Le premier s’appelle Les Dieux qui dorment. J’en suis le scénariste et Chloé Maingé est au dessin. Il s’agit d’un récit pour ados et jeunes adultes, dans un univers de fantasy urbaine. Dans un monde fantastique industrialisé où les dieux qui ne sont plus vénérés entrent en sommeil, quatre adolescents participent à une colonie pour jeunes aventuriers, située dans la dernière forêt du Royaume. Ils comprennent que quelque chose de grave s’est produit l’année précédente dans cette même colonie, et décident de mener l’enquête.

Le deuxième s’appelle Le beau rôle, et je suis cette fois au scénario et au dessin. C’est un drame intimiste familial. Trois membres d’une même famille essaient de gérer un départ en s’enlisant chacun dans une obsession dévorante à laquelle les autres n’ont pas accès. Ça parlera de théâtre grec ancien, de mépris de classe, et de psychose.

Les AmBD : Pour terminer, vous souvenez-vous de votre tout premier souvenir de BD ?

Marcel Shorjian : J’ai toujours eu tendance à lire des choses qui n’étaient pas « de mon âge », parce que mes parents me laissaient découvrir les choses par moi-même. Beaucoup de gens sous-estiment la curiosité des enfants pour des sujets sérieux ou inquiétants, et leur capacité à y faire face dans la fiction. Très tôt, j’ai lu L’Incal, de Moebius, et j’ai été marqué par la scène de chute libre du personnage principal, dans les toutes premières pages. J’ai aussi lu Persépolis, de Marjane Satrapi, et je me souviens de l’élégance de son dessin d’elle-même enfant avec une auréole étoilée, s’imaginant prophète. Mais mon tout premier souvenir est celui d’un serpent qui mange sa propre queue dans Tintin au Congo, une sorte d’ouroboros. Je devais à peine savoir lire, mais cette image m’avait provoqué une grande angoisse. 

Propos recueillis par : Emmanuelle DESSEIGNE

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