Les Météores, histoires de ceux qui ne font que passer
Les Météores, histoires de ceux qui ne font que passer. Que peut bien dissimuler ce titre ? Un récit choral, psychologique, une histoire de science-fiction ou sur l’existence ? C’est en fait un peu tout cela à la fois que racontent le scénario de Jean Christophe Deveney et les dessins Tommy Redolfi dans cet album, lauréat du prix le Fauve spécial du jury du FIBD d’Angoulême 2025, prix du public France Télévision 2025.

Deux ados, un peu paumés, passent le temps, sur un pont au-dessus d’une autoroute, à regarder défiler les véhicules et imaginent un accident au point de peut-être le provoquer.
Hollie, une jeune aide soignante, dont la voiture est en panne, attend, de très bonne heure et dans un froid glacial, le bus pour se rendre à son travail. Elle rencontre Floyd, déficient mental et habitué de la ligne 34 qui, comme chaque matin, le conduit au grand magasin d’ameublement Aéki pour prendre son poste d’agent d’entretien. Il y rejoint une collègue bienveillante, un employé syndiqué, ou encore son patron. Chacun s’y retrouve chaque jour comme une famille pour s’activer à sa tâche. Et puis un client, plombé par la monotonie de sa vie de couple, se prend à rêver de séduire une jeune vendeuse.
Casey quand à elle, se réveille seule dans son motorhome et sort sous la neige à la recherche de son chien Chuck.
Ce sont quelques-unes des moult vies qui s’entrecroisent, mais dans quel but ? qu’ont elles en commun ? De temps à autres l’image en double page d’un météore qui fonce vers la terre vient casser le lent rythme du récit et dénoncer une réalité pressante qui ne semble pas tourmenter ces gens qui le sont déjà beaucoup.

Les Météores, un récit humaniste
Même si en apparence le récit de Jean Christophe Deveney plonge les lecteurs dans la banalité des vies simples de monsieur et madame « Tout Le Monde » et de leurs problèmes, cette bande dessinée interroge sur la profondeur de l’existence.
Malgré l’urgence de la situation inéluctable de fin du monde dévoilée assez rapidement, le rythme semble très lent, comme suspendu dans le temps, avec même l’impression par moment qu’il ne se passe rien. De manière contradictoire, ces scènes figées sont les plus importantes car les protagonistes se retrouvent face à eux-mêmes et à leur condition. Ainsi, les personnages sont dessinés tour à tour sur une case muette, marchant la tête penchée en avant et les yeux fermés, assis le regard dans le vide ou debout scrutant les étoiles.
Les Météores, dans une dramaturgie extrême, met en avant des anti-héros qui en réalité sont les supers héros du quotidien et qui pourtant aux yeux de tous sont invisibles. L’agent d’entretien handicapé qui nettoie les salissures des autres, l’aide soignante qui prend soin avec résilience des personnes âgées isolées et désabusées ou la mère célibataire qui se bat pour survivre et garder son fils dans le droit chemin. Des gens qui, probablement parce-qu’ils luttent quotidiennement contre les difficultés de la vie, ne paniquent pas et font face sans se poser la question du lendemain, tel des robots désespérés.
Pour autant ils n’ont pas perdu foi en l’âme humaine et ils se nourrissent de tous petits bonheurs. Ils n’abandonnent pas les gens qui les entourent et s’entraident pour une quête d’amour, de reconnaissance, juste un sourire ou encore pour rompre avec leur solitude. Pratiquement toute la population a fui la ville mais eux sont restés, prisonniers de leur quotidien et pour accomplir leur mission.

Un dessin et un format qui rythment le récit
Le format peu courant à l’italienne et ses pages avec un découpage répétitif en gaufrier de 6 cases, à quelques exceptions près, accentue le rythme monotone et lancinant de la vie des personnages. Cette mise en page est interrompue de temps à autres par celles consacrées à la progression du météore ou à des scènes de transition comme pour offrir des temps de pause dans ce récit déjà au ralentit et pourtant dans l’urgence imminente de ce corps céleste qui menace la terre et l’existence.
Cette impression de lenteur est renforcée par les couleurs pastel teintées bleues gris, la douceur des décors enneigés et les cases emplies de chutes de flocons ou qui disparaissent progressivement jusqu’à rendre la page vierge de tout dessin.
Le trait minimaliste et peu expressif représentant les acteurs de cette histoire, à l’exception de quelques regards ou mouvements de mains, conforte leur anonymat et leur invisibilité mais permet également au lecteur de s’identifier très facilement à eux.

Les Météores est une BD intimiste et touchante qui peut sembler décousue au début avec cette succession de scènes de vie, mais qui devient rapidement prenante et qui prend tout son sens au fur et à mesure que le météore se rapproche. Ce qui pourrait être de la science-fiction est en fait une histoire bien réelle, ancrée dans notre présent sur une population invisible, solitaire, sans grand espoir, subissant la vie et en quête d’amour et de reconnaissance. Le rythme très lent du récit offre un regard posé sur chaque personnage comme pour leur rendre hommage et peut-être, qu’à l’aube d’une fin du monde annoncée, ils se donneront la chance de reprendre en main leur destin ou qu’il s’en remettront au météore par dépit ou sans autre solution.

Une chronique écrite par : Xavier
Informations sur l’album :
- Scénariste : Jean-Christophe Deveney
- Dessinateur : Tommy Redolfi
- Éditeur : Delcourt
- Date de sortie : 16 octobre 2024
- Pages : 312 pages

© Éditions Delcourt, 2024 – Les Météores, Histoires de ceux qui ne font que passer – Deveney et Redolfi