Les Cheveux d’Édith
Au printemps 1945, après la libération des camps de concentration et d’extermination, de nombreux déportés reviennent en France. Mais, pour la plupart, ils et elles n’ont plus de famille proche. L’hôtel parisien le Lutetia accueillent ces rescapés quelques semaines, avant qu’ils soient recueillis par des amis ou de la famille ; ou tout simplement lâchés dans la nature avec un ticket de transport et 3.000 francs *. Un pan méconnu de la Libération que Fabienne Blanchut et Catherine Locandro ont décidé de raconter dans un généreux one shot, les Cheveux d’Édith, soutenues par le dessin tout en délicatesse de Dawid.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Louis Giroud est un jeune parisien bien occupé, entre le bac qui approche vite et son emploi à temps partiel au cinéma Pax. Chaque jour, il voit des bus déposer des anciens prisonniers de camps nazis devant l’hôtel Lutetia. En colère contre son père qui, selon lui, a participé, par déni, à la déportation, Louis finit par franchir les portes du Lutetia. Il y fait la rencontre de deux jeunes rescapées, la pétillante Sylvette et Édith. Cette dernière ne semble pas être entièrement revenue d’Auschwitz.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Envole-moi
La couverture des Cheveux d’Édith est un modèle du genre. Alors que deux personnages, au balcon, semble regarder vers un avenir incertain – puisque aucun décor n’apparaît – mais prometteur – la lumière étant intense et chaleureuse – la croix gammée les suit dans leur ombre. Elle ne plane plus sur eux comme une menace, mais elle est toujours bien présente dans leur dos, d’une taille aussi grande que le traumatisme des camps qui hante et hantera Édith. Au premier plan, dans le noir, des barbelés, eux aussi assez proches, insidieux. Si Édith se retourne, quitte des yeux ce futur lumineux, le traumatisme sera là, juste à portée de main.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Elle, c’est donc Édith. Elle croise les bras, dans une attitude encore fermée, hésitante, alors que son compagnon, Louis, a les mains sur le balcon, prêt à franchir la porte fenêtre dès qu’Édith sera prête : il ne la touche pas, ne la force pas à quitter cette pièce où se terrent ses traumatismes, dont les bords forment des ombres presque monstrueuses. Dès cette illustration, le dessin à la fois doux et puissant de Dawid fait mouche. Le reste des planches du dessinateur joue également sur cette dualité qui symbolise la bibliographie de l’auteur, de ses œuvres pour tout-petits, sans texte, à son one shot adulte Monsieur Apothéoz, en passant, bien sûr, pour sa célèbre série jeunesse, SuperS.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
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Pour un récit aussi intense que les Cheveux d’Édith, l’illustrateur a choisi un graphisme doux. Les visages des personnages sont peu détaillés, mais traduisent toujours à la perfection leurs émotions, comme la colère de Louis envers son père, la détresse d’Édith, l’envie folle de vivre de Sylvie… La mise en scène des moments intimes, dramatiques ou complices, renforce ces émotions en se plaçant au plus proche des protagonistes. Dans ces instants suspendus dans le temps, le ton devient plus calme, presque serein. Il tranche totalement avec les souvenirs d’Auschwitz d’Édith : la couleur noire, presque absente des planches du présent, se fait plus intense, plus agressive, à l’image d’un trait plus droit. Certaines cases, pourtant toutes simples, ont une puissance indéniable, lourde de sens, tel ce gros plan sur le numéro tatoué sur le bras d’Édith.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
De la même façon, les décors parisiens sont légers, presque simplement esquissés alors qu’Auschwitz semble plus précis, notamment dans ses contours plus épais et gras. La mise en couleurs de Dawid, est également un élément narratif important. La teinte sepia, qu’affectionne particulièrement le dessinateur, est omniprésente, relevée par certaines touches de couleurs froides loin d’être anodines. Là encore, la douceur prime dans le présent alors que les scènes de camps tirent plus vers un brun glauque, agrémenté, lui, du rouge agressif des brassards nazis ou enveloppant certains personnages menaçants, telle cette kapo effrayante. Dans les souvenirs pré-camp d’Édith, seule la protagoniste garde sa teinte sépia alors que les décors, crayonnés, vont vers un gris-bleu assez clair du plus bel effet.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
« Personne ne peut avoir envie d’entendre ça. »
Tous ces choix graphiques de Dawid sont mis au service d’une des histoires les plus poignantes du neuvième art de ces dernières années. Après avoir collaboré sur leur première bande dessinée, Un Été Loin des Hommes, à paraître en 2026 chez Dargaud, Fabienne Blanchut et Catherine Locandro on récidivé avec les Cheveux d’Édith. La première est surtout connue comme prolifique auteure d’albums jeunesse, dont Zoé princesse parfaite, alors que la seconde officie plus dans la littérature avec, notamment, le multi-récompensé Clara la Nuit, en 2024. Le duo a su profiter des expériences de chacune en proposant ici un récit dur mais tout de même optimiste, aussi bien accessible à un jeune public, à partir de 12 ans, que passionnant pour les plus grands. Dans cette histoire éprouvante, comme il y en a eu tant dans ces heures sombres, les scénaristes posent des personnages d’une grande puissance.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Louis est un jeune homme de son temps, qui a vécu la guerre loin des combats et des camps, et qui découvre l’enfer qu’ont vécu les rescapés du Lutetia. Son nom, Giroud, est celui du grand-père paternel de Fabienne Blanchut, lui ayant même inspiré l’une des scènes les plus fortes de l’album. La pétillante Sylvie et l’introspective Édith symbolisent deux des manières de ressentir la liberté retrouvée après les camps. D’un côté, la conscience de la chance d’être en vie et l’envie de vivre pleinement, de sentir le soleil sur sa peau, de courir, rire, boire, fumer, aimer… De l’autre, le traumatisme qui envahit la moindre pensée, qui vient gâcher le moindre petit instant de bonheur ou, juste, d’apaisement. A côté de ce trio, d’autres personnages gravitent, eux aussi acteurs de cette période triste, comme ce père, dont la collaboration passive, par dépit, a fait naître l’envie de révolte et de justice de Louis.

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Si l’histoire du Lutetia, construit en 1910, quartier général du renseignement allemand en 1940 avant d’accueillir les rescapés des camps à la Libération, sur ordre du général de Gaulle, n’est pas connue du grand public, les scénaristes Fabienne Blanchut et Catherine Locandro la mettent en lumière dans ce généreux one shot poignant et pourtant teinté d’optimisme, beau et triste, intime et universel. Le duo convoque dans son récit des scènes d’une grande puissance, comme la marche macabre des nazis emmenant leur prisonniers vers l’est après la libération des camps, ou encore ces familles attendant devant l’hôtel pour voir si le prochain bus leur ramènera leur fils, leur femme, leurs parents… Le dessinateur Dawid était le choix parfait pour mettre en image cette histoire magnifique, non seulement parce que son trait et sa palette de couleurs en saisissent toute l’émotion, mais aussi parce que l’illustrateur, lui aussi, a un rapport personnel au thème de l’album : son grand-père, résistant et prisonnier tué lors du massacre de Gardelegen, apparaît d’ailleurs en portrait dans une case de l’album.
* En prenant en compte l’inflation, cela représenterait un peu plus de 45.000€ de 2024.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Les Cheveux d’Édith – Blanchut/Locandro/Dawid – Dargaud, 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : Fabienne Blanchut et Catherine Locandro
- Dessin : Dawid
- Couleurs : Dawid
- Éditeur : Dargaud
- Date de sortie : Le 5 septembre 2025
- Pagination : 160 pages en couleurs
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