Les Chants du Chaos Livre Un : Semailles

Un titre intriguant et une couverture intense et prometteuse d’un récit fantastique et onirique, les Chants du Chaos dévoilent le premier couplet d’une tragédie shakespearienne en trois actes. A la baguette, Elk, illustrateur né à Lausanne, dont c’est la première bande dessinée, après diverses expériences chez des éditeurs de jeux de sociétés ou dans l’univers des cartes Magic.

Les chants du chaos livre un Rue de Sèvres couverture

Depuis plus de dix ans le royaume des Drévossènes vit coupé du monde, isolé par le Haut-Mur et ses portes scellées. Dix ans que son prince, Ivan, traque les Errants qui déciment son peuple. Mais à ses yeux, c’est une menace bien plus dangereuse que ses patrouilleurs viennent de découvrir en pleine zone infestée : un étranger venu de l’Extérieur. Candide. Indemne malgré les Errants rencontrés. L’innocence même… sauf pour Ivan qui voit en cet inconnu une menace pour la stabilité de sa communauté.

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Beaucoup de bruit pour pas assez

L’élément central de ce premier tome des Chants du Chaos, c’est son duo de personnages principaux : Ivan et Sovir. Bien qu’ils soient charismatiques, ils ne sont, hélas, jamais réellement attachants. Du caractère capricieux et égocentré du premier à la candeur exagérée du second, il est très difficile de ressentir une réelle empathie pour eux, et, donc, de se préoccuper de ce qui peut leur arriver. Les dialogues, même s’ils parviennent à exprimer la fissure de plus en plus importante chez Ivan, se révèlent assez répétitifs, créant l’exaspération. L’auteur réussit toutefois, au fur et à mesure de son récit, à poser la trame d’une spirale infernale dans laquelle s’enfonce Ivan et à semer le doute quant aux réelles intentions de Sovir.

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Ivan est-il paranoïaque ou bien a-t-il raison depuis le début ? Avec une mise en scène judicieuse et le jeu d’expressions, tantôt naïves, tantôt calculatrices de Sovir, Elk parvient à semer le doute dans l’esprit du lecteur et à tout de même accrocher son intérêt. Alors que l’étranger devient une figure importante de la communauté, le prince Ivan semble de plus en plus perdre pied. Avec une histoire à la promesse si dramatique, l’auteur semble préférer centrer les enjeux sur la relation Ivan-Sovir dans une intrigue dont l’issue est évidente pour tout le monde sauf pour Ivan. Elk relance toutefois l’intérêt pour son récit avec une révélation finale explosive qui laisse présager une suite des plus intenses.

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Le songe d’une nuit d’enfer

Les personnages secondaires souffrent également d’un manque, non pas de profondeur, mais d’émotion à offrir. Léna, la grande sœur d’Ivan, porte leur communauté sur ses épaules mais n’est clairement pas exploitée. Il est très difficile de ressentir de la peine pour Irina, la fiancée délaissée tant elle est réduite à sa condition, justement, de fiancée délaissée. La petite sœur d’Ivan est complètement anecdotique mais l’ascension sociale de Sovir au sein de la communauté, ainsi que de la famille royale, risque de peser sur l’avenir de la fillette dans les prochains tomes. La « secte » arrive de nulle part dans le récit bien qu’elle semble un élément central dans le royaume. Le scénario ne présente pas assez l’univers des Chants du Chaos, dont les dangers semblent peser sur la communauté sans jamais être exploités, que ce soit à l’intérieur des murs, avec la secte, ou à l’extérieur, avec les Errants.

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Ce constat est bien dommage tant le dessin magnifique d’Elk donne envie de profiter davantage du contexte de son récit. Le monde dans lequel évoluent les protagonistes est d’une beauté enivrante et c’est un plaisir de se perdre dans la richesse de cases aux couleurs somptueuses. Chaque apparition d’un Errant, ces créatures animales aux malformations végétales, fera écarquiller les yeux de plus d’un lecteur. Chaque personnage dégage une puissance graphique, que ce soit dans la colère et la frustration d’Ivan ou dans la froideur calculée de Solvir. Un travail visuel qui ne suffit pas à créer l’empathie mais qui donne toutefois un peu de la consistance que le récit ne parvient jamais à leur apporter.

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Une certaine frustration, c’est bien ce qui ressort de la lecture du premier tome des Chants du Chaos. Cet univers étrange, avec ses personnages intenses ou mystérieux et ses créatures incroyables, n’est jamais suffisamment exploité. L’auteur Elk préfère se concentrer sur un récit Shakespearien intriguant, entre le comportement flou de Sovir et la spirale paranoïaque d’Ivan, sans jamais réellement parvenir à susciter l’empathie du lecteur. Il en reste une œuvre qui est un bonheur de chaque instant pour les yeux, et une révélation finale qui va redistribuer les cartes et risque de plonger la communauté dans le chaos que promet le titre de la série qui pourrait alors devenir une excellente surprise.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard