Le Petit Théâtre des Opérations, tome 5

Depuis, 2017, Julien Hervieux propose sur sa chaîne YouTube, Odieux Connard (LIEN), des capsules courtes racontant, de façon humoristique, des anecdotes historiques et des destins absurdes en temps de guerre. En 2018, il adapte ses capsules dans un livre historico-marrant chez Albin Michel avant de lancer un débarquement massif, en compagnie de Monsieur Le Chien aux dessins, chez Fluide Glacial, en 2021, avec Le Petit Théâtre des Opérations, reprenant certaines de ses vidéos. Fort de plus de 100 000 abonnés et une cinquantaine de vidéos (en novembre 2024), le Petit Théâtre des Opérations revient avec un cinquième tome centré sur un personnage unique, Adrian Carton De Wiart.

Connaissez-vous Adrian Carton De Wiart ? Normalement, non. Pourtant, ce Belge est sans doute l’un des plus tenaces soldats de l’histoire militaire de la Grande Bretagne (sic). Pas du genre héros aux multiples victoires, il s’est surtout illustré par une faculté à ne jamais vouloir mourir, malgré d’innombrables blessures, des crashs d’avion à répétition et un langage, disons inadapté aux grands de ce monde, qui aurait valu à tout autre énergumène le peloton d’exécution. Avec une envie, qu’il trouve lui-même bizarre, de se battre jusqu’à la mort, borgne, manchot et boiteux, mais toujours présent sur le champ de bataille, puis envoyé dans des missions diplomatiques dans des pays dont il ne connaissait absolument rien, Adrian Carton de Wiart est l’un de ses personnages oubliés, mais passionnants, dont raffole Julien Hervieux.

Le Petit Théâtre des Opérations tome 5 Fluide Glacial planche 3

« J’ai un bâton, ils ont des gueules, je n’ai besoin de rien de plus »

Ce cinquième tome du Petit Théâtre des Opérations reprend le principe des précédents, mais aussi des spin-off et hors-séries *, à savoir des récits courts, avec des cartouches historiques et des phylactères déjantés, entrecoupés de pages historiques plus pédagogiques, mais à la sauce Odieux Connard, bien sûr. En sept chapitres, de la naissance à la mort (oui oui, spoiler, Adrian n’est ni un vampire ni un elfe), on va suivre le moustachu casse-cou au gré de ses batailles, de ses rencontres, et de ses accidents. Pour le plus grand plaisir des lecteurs, notre Flamand rosbeef n’est pas du genre huître pépouze sur son rocher, non m’sieur-dame, Adrian, lui, il cause, il gueule, il tape du bâton. Des fois, même, il tire, mais pas toujours car le colérique militaire pense être un danger pour ses propres hommes avec une arme à la main. Un coup de bâton sur la tête sera toujours moins péremptoire qu’un coup de fusil dans la tête.

Avec son sens de la narration et de l’absurde, Julien Hervieux mène son récit au pas de charge plus ou moins héroïque, maniant, comme toujours, les dialogues désopilants avec un sens du rythme en mode blitzkrieg. Chaque anecdote, chaque fait d’armes, en général peu glorieux tant le « soldier made in Belgium » avait tendance à foncer dans le tas, est source de citations succulentes et de coups de gueules mémorables : « vous connaissez beaucoup d’autres manchots borgnes », « Alors c’est complètement con, mais rien que pour ça, on dit oui » et tant d’autres bulles qui viennent tirer une petite larme hilare au lecteur le plus réfractaire.

Le Petit Théâtre des Opérations tome 5 Fluide Glacial planche 12

« Pas besoin de deux mains pour faire ça ! »

On retrouve son sens du rythme dans l’enchaînement des causes à effets : nul besoin de montrer l’action pour comprendre les conséquences d’une décision, transformant un événement tragique en gag visuel. Comme cette ligne de trois cases montrant Adrian charger des ennemis « pour le roi », suivi de deux personnages observant l’action alors qu’un « aie » est prononcé hors champ, et qui se conclut sur Adrian en train de se faire soigner une oreille coupée en deux et un œil crevé tout en clamant que « c’est pas en restant là que ça va avancer ». Cette mise en scène qui vient appuyer les dialogues, est une grande réussite de l’album. Comme la vie d’Adrian, ça va vite, très vite et l’ennui n’est jamais présent.

Monsieur le Chien, renommé sur la couverture le Chon (autre appellation d’une cigarette qui fait rire) et sur la page de garde le Chiep (autre appellation de rien du tout à priori, même si ça veut dire « ébrécher » en vietnamien, mais on s’en fiche un peu ici) reprend les pinceaux du Petit Théâtre des Opérations, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a du chien, ahahah… pardon. En tous cas, ses personnages en ont. Avec sa belle et grosse moustache de naissance et son regard généralement aussi expressif que celui d’une huître dans l’étal d’une poissonnerie, Adrian a la gueule de l’emploi du type blasé qui aimerait taper sur plein de gens mais qui est sans arrêt contrarié par les aléas improbables de sa vie, qui l’est tout autant (improbable, pas arrêtée, hein). Les personnages secondaires alternent entre semi-réalisme, style gros nez et même, parfois, ligne-claire, alors que les figures historiques que rencontre Adrian sont croquées à la perfection. Quant à la mise en couleurs d’Albertine Ralenti, elle tourne à plein régime et offre une richesse qui est assez rare dans la famille de la BD qui fait rire.

Le Petit Théâtre des Opérations tome 5 Fluide Glacial planche 18

Quand rigueur historique rime avec humour décapant, l’adage « apprendre en s’amusant » n’a jamais été aussi vrai qu’avec le Petit Théâtre des Opérations. Le trio Hervieux-Chien/Chon/Chiep-Ralenti montre autant d’efficacité dans son récit et sa mise en scène que son protagoniste à survivre à tout ce qui lui passait devant, ou dedans. En se limitant à un seul personnage, la série parvient à se renouveler intelligemment en livrant une histoire plus linéaire que la suite d’épisodes isolés des tomes précédents. Bon, c’est quand même vachement plus drôle si on oublie que, « oui, tout est vrai ».

* deux spin-of (« toujours prêtes ! », les destins de femmes dans les deux guerres, et « Plus vite, plus haut, plus sport ! », anecdotes sportives) et un hors-séries (« les guerres napoléoniennes »)

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard