Le génie de Beyrouth tome 1 : Rue de la fortune de Dieu
Il y a un génie à Beyrouth. Son pouvoir est celui de maintenir un équilibre et une sorte d’harmonie entre toutes les communautés qui peuplent la capitale du Liban. Sélim Nassib et Léna Merhej racontent un pan de la singulière histoire de « La ville qui ne meurt pas ».
Beyrouth, 365 000 habitants, hors agglomération, et un destin hors norme parmi les différentes capitales du Moyen-Orient. Les frontières du Liban sont bordées par des Etats puissants d’Israël et de Syrie. À l’Est, sa côte accueille la Méditerranée, avec, un peu plus loin, l’île de Chypre comme voisine. Au sein de la capitale libanaise, « Depuis des siècles et des siècles, toutes les minorités persécutées de la région y sont venues se réfugier. » C’est que Beyrouth est située entre deux montagnes imprenables. Au fil des années, la ville est devenue un conglomérat de populations diverses d’environ 18 communautés : Maronites, Chiites, Druze, Syriaques, Juifs, Arménien, etc. Ensemble et malgré les différences, ces populations ont finalement réussi à vivre en harmonie. On raconte que c’est grâce au Génie de Beyrouth… On raconte également « Qu’on peut avoir sa peau [au génie] qu’en détruisant la ville. »
Une fois passé ce prologue introductif, la narration embarque les lectrices et les lecteurs à la visite d’une rue particulière, puisqu’elle représente ce Liban multiculturel. À l’image du roman L’Immeuble Yacoubian de l’écrivain égyptien Alaa al-Aswany, les deux auteurs du Génie de Beyrouth décrivent la société qui habite « une rue parallèle à la grande avenue qui borde la mer. » En visiteur, on y découvre les deux épiceries, l’une tenue par un couple de chrétien maronite, l’autre par une famille musulmane sunnite. Autour de ces deux commerces, toute une galerie de personnages représentant les différentes communautés habitant le quartier. Mais la guerre menace ce fragile équilibre…
« Le Paris » du Moyen-Orient,
La ville de Beyrouth est régulièrement au cœur de l’actualité internationale en raison de la proximité de ses voisins tout puissant, des factions militaires qui s’en servent de bases arrière ou encore de son port victime de deux catastrophiques explosions le 4 août 2020. Et pourtant, dans son scénario, l’écrivain libanais Sélim Nassib raconte tout d’abord un joli conte, celui de ce génie qui offre à la capitale du Liban un statut de « Paris du Moyen-Orient ». Lui-même issu d’une famille juive libanaise d’origine syrienne, il représente cet équilibre précaire des communautés.
Le texte est principalement composé de cartouches narratifs qui racontent l’histoire de la ville de Beyrouth, de sa splendeur à sa dégringolade due à la déstabilisation régionale. On y suit notamment le parcours de trois frères qui « d’enfants qui sautaient sur les genoux de leurs voisins musulmans » deviennent les chefs chrétiens lourdement armés de leur quartier lorsque le conflit éclate.
Aplats de couleurs
Le dessin flamboyant et les couleurs chatoyantes de l’illustratrice libanaise Léna Merhej tranchent et créent un décalage avec le propos d’un récit sombre qui décrit le basculement d’une capitale, dont l’avenir s’annonçait pourtant doré, vers la guerre. Ainsi, la dessinatrice fonctionne uniquement avec des aplats de couleurs vives qui atténuent même l’horreur des scènes de bombardements. Elle ne s’embarrasse de détails de lumière en y ajoutant des ombres, ce qui participe largement à la lisibilité du récit.
Le génie de Beyrouth, édité par Dargaud, est annoncé comme une trilogie. Ainsi, ce premier tome, Rue de la fortune de Dieu, est en quelque sorte une mise en bouche. Malgré les nombreux protagonistes présents dans cet album, c’est bien la capitale du Pays des Cèdres qui en est le principal personnage, ou plutôt celui qu’on ne voit pas : son génie. Après chaque grande crise, la ville de Beyrouth a su se relever. La guerre civile qui débuta en 1975 – pour s’achever 15 ans plus tard – est le référentiel historique de ce premier volume. Le protecteur de la ville parviendra-t-il à l’extraire une nouvelle fois du chaos ? Depuis la fin de la guerre civile, les crises se succèdent au Liban. Et l’actualité internationale actuelle n’est pas des plus réjouissantes pour ce pays à l’instabilité politique chronique. Souhaitons que le génie relève le défi qu’on lui propose en 2025, comme il a su le faire lors des décennies précédentes.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Sélim Nassib
- Dessin : Léna Merhej
- Couleurs : Léna Merhej
- Éditeur : Dargaud
- Date de sortie : Le 07 février 2025
- Pagination : 128 pages en couleurs
