Le Crotoy – T3 de Black Squaw

Enfant déjà, Bessie Coleman n’a qu’une ambition : celle de devenir aviatrice. Pour matérialiser ce rêve, elle doit surmonter de nombreux obstacles, mais certains d’entre eux sont sociaux : c’est une femme, elle est noire et issue d’une famille pauvre et nombreuse du Texas. Le Crotoy, la troisième partie de Black Squaw, la saga de Yann et Henriet, lève un coin du voile sur le passé de la jeune américaine, plus particulièrement sur la concrétisation de ses aspirations qui débute dans la Baie de Somme, en France.

Couverture de l'album Le Crotoy
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Employée d’Al Capone, en bisbille avec les rivaux de son patron puis avec les membres du Ku Klux Klan, la vie de Bessie Coleman, alias Black Squaw, est pour le moins houleuse. Dans ce troisième opus, on retrouve l’aviatrice baignant, évanouie, dans la fange des cochons. Elle est recueillie par la petite Minnie et sa grand-mère qui lui prodiguent les premiers soins. Le temps de l’inconscience de la jeune femme, les auteurs nous plongent dans quelques-unes des bribes des souvenirs de Bessie. Ainsi renaissent quelques images de son apprentissage à l’école de pilotage Caudron du Crotoy, dans la Baie de Somme. Un choix de formation qui éloigne la jeune femme de sa famille, mais qui est guidé par le refus des écoles de pilotage américaines de l’intégrer en leur sein. Elles lui ont claqué “la porte au nez”, si bien que, têtue, elle a décidé d’apprendre le français pour se former en France. Au Crotoy, Bessie est une femme obstinée figurant parmi les meilleures pilotes de sa promotion et qui damne le pion à des collègues masculins.

Page 3 de l'album Le Crotoy
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

« Le Crotoy » est le troisième des quatre albums prévus de la série Black Squaw. Au scénario, Yann signe un récit haletant, dans la digne tradition de l’épopée aéronautique du début du 20e siècle. On y retrouve des engins volants de légende et la vie de pilotes dont le quotidien oscille entre franche camaraderie et danger permanent, avec au bout la mort qui s’agite à la moindre erreur. L’histoire souligne ainsi les difficultés de ce périlleux métier. Certes, le récit s’inspire de faits historiques et réels de la vie de la véritable Bessie Coleman, mais il est également romancé. Dans ce troisième opus, la jeune aviatrice afro-américaine est prise en tenaille entre les pires malfrats de la pègre de cette première moitié du XXe siècle et les agents fédéraux américains. Au cours de cet album, Yann nous révèle l’origine du surnom de Bessie, Black Squaw.

Page 4 de l'album Le Crotoy
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Au dessin, Henriet nous gratifie de tout son talent pour mettre en scène et en images les nombreuses séquences de vol qui l’obligent à illustrer pas moins de cinq modèles d’avions différents ainsi que différentes voitures des années 20. Le dessinateur nous offre notamment deux belles séquences de décollage dont les cases s’étirent sur une double page, notamment cette scène où les élèves de l’école de pilotage Caudron décollent ensemble à bord des « Pingouins » sur lesquels ils apprennent à piloter. Les 8 avions s’élancent ensemble, on entend les moteurs vrombir ! Outre les décors soignés qui nous plongent dans ces années post-Première Guerre mondiale, relevons le travail de la coloriste Usagi qui s’accorde particulièrement aux aventures aéronautiques de ce début de siècle. Dans une série d’aviation, le ciel à une importance cruciale puisqu’il influence la qualité de vol du pilote. C’est le héros discret de l’album qui évolue, tout au long des pages, entre tonalité grises  symbolisant des conditions difficiles et venteuses, le bleu nuit de la fraîcheur des vols nocturnes ou la douceur d’un vol à l’aube, dévoilant un ciel chargé de belles nuances rosées.

Page 5 de l'album Le Crotoy
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Le série Black Squaw et plus encore « Le Crotoy » est un véritable condensé des luttes sociales du début du XXe : émancipation des noirs et des femmes et la volonté inébranlable pour Bessie de devenir pilote. « Quand on est une femme, il faut toujours faire plus et mieux que les hommes… Et si en plus, on est noire, il faut faire mieux que les femmes blanches ». Comme dans le précédent volume, la conclusion laisse Bessie dans une situation inextricable. Le dernier volet de la série est attendu avec impatience.

Page 6 de l'album Le Crotoy
© Black Squaw – Alain Henriet et Yann – Dupuis

Le dossier Black Squaw à la fin de l’album relève de l’anecdote savoureuse. Alain Henriet relate son enquête sur les traces de Bessie Coleman au Crotoy à la recherche de documentation pour parfaire le dessin de ses décors. Une mission compliquée puisque l’école des frères Caudron n’existe plus. Le tout est écrit avec humour et illustré de différentes photos d’époque qui nous révèlent notamment le visage de l’aviatrice américaine et de son instructeur français. Ici, la réalité et la fiction s’unissent pour conclure un album réussi. Les plus chanceux se seront procuré la version édition limitée avec une couverture spéciale. Mais, très franchement, les teintes magenta de l’édition classique sont sublimes !

Chronique écrite par Bruce RENNES

Informations sur l’album

  • Scénario : Yann
  • Dessin : Alain Henriet
  • Couleurs : Usagi
  • Éditeur : Dupuis « Grand public »
  • Date de sortie : 17 juin 2022
  • Pagination : 56 en couleurs
  • Format : 240 x 320

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