Le Crétin qui a gagné la Guerre Froide

Devenu une icône des années 1980, Ronald Reagan est un président qui a marqué durablement l’Histoire et la mémoire des Etats-Unis mais aussi celle du monde. Cédrick Le Bihan et Jean-Yves Le Naour ont choisi de raconter l’attitude pour le moins déconcertante de cet ancien cow-boy d’Hollywood qui travaillait mieux ses blagues que ses dossiers socio-économiques ou géopolitiques.

En 1980, personne ne prend au sérieux le vainqueur républicain aux élections présidentielles américaines. Ancien acteur de western, Ronald Reagan n’a pas les qualités ni les compétences dignes d’un dirigeant des Etats-Unis. Adepte de grasses matinées et de week-end dans son ranch, il ne travaille absolument pas ses dossiers dont il délègue la gestion à ses conseillers qui ont plus d’expertise que lui. Avec ses phrases chocs et son sourire vendeur, Reagan mènera pourtant son pays à un tournant historique dont l’impact se fait encore ressentir aujourd’hui.

Couverture de l'album Le Crétin qui a gagné la Guerre Froide
©Grand Angle – Le Crétin qui a gagné la guerre froide – Jean-Yves Le Naour – Cédrick Le Bihan

Make America fun again

Scénaristiquement, Le Naour a choisi de centrer son récit essentiellement sur le point de vue de Ronald Reagan. A partir de cela, le scénariste tend à illustrer en quoi cet ancien acteur n’a aucune maîtrise dans les matières géopolitiques et qu’il ne prend pas du tout au sérieux son travail au point de dire des bêtises monumentales. Ces dernières forment un leitmov à chaque évènement historique abordé et suscitent la stupéfaction de ses conseillers et des autres personnages rencontrés en chemin. Tout comme ces derniers, le lecteur éprouvera la même chose face au niveau d’incompétence mais aussi paradoxalement de l’empathie.

©Grand Angle – Le Crétin qui a gagné la guerre froide – Jean-Yves Le Naour – Cédrick Le Bihan

Chacun peut effet se reconnaître dans le principal protagoniste quand celui-ci se sent dépassé par l’ampleur du travail de président et ignorant face aux termes et aux enjeux décrivant les réalités complexes de la géopolitique et de l’économie. L’ancien acteur parvient même à faire ressentir de la sympathie avec ses blagues récurrentes ou à sa relation avec ses proches ou encore avec Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS. La relation entre ces deux hommes révèle ainsi une certaine ambiguïté chez Reagan. Il a beau être déterminé à faire tomber l’Union soviétique considéré comme un ennemi héréditaire, le président est pourtant parvenu à lier avec le dirigeant de celle-ci une tendre amitié qui perdure après la fin de la guerre froide.

Se limitant au point de vue du président, l’album présente surtout ce dernier à travers ces deux facettes. Le scénariste prétend mettre en avant la question de l’imbécilité ou non du président pour jouer sur l’ambiguité, le lecteur aura plutôt tendance à trancher par l’affirmative. Il n’y a en effet pas de scène où le protagoniste démontre une véritable subtilité ou de trait de génie pour expliquer ou compenser ses bêtises, se révélant en fin de compte être bel et bien un crétin comme l’indique le titre. Dans une seule et rapide scène, Reagan est surtout présenté comme l’idiot utile des élites économiques qui veulent faire prévaloir leurs intérêts au détriment des autres parties de la population américaine. 

©Grand Angle – Le Crétin qui a gagné la guerre froide – Jean-Yves Le Naour – Cédrick Le Bihan

Le crétin qui a gagné la Guerre Froide : quand le président se refait le portrait

Le dessin de Cédrick Le Bihan inspire aussi un sentiment partagé quant à son exécution. Le trait est fin et clair et convient très bien pour les décors et les véhicules d’époque avec leurs symétries assez carrées. Le lecteur peut cependant douter de la maîtrise de ce style quand il s’agit de représenter des personnages, surtout quand ce sont des personnalités historiques très présentes.

En effet, les visages fourmillent de traits et de rides comme si le dessinateur cherchait à faire un trait plus réaliste. En contraste avec le décor à la ligne claire, les têtes donnent ainsi l’impression d’être déformées, d’autant plus quand elles sont pourvues de lèvres qui semblent exagérément gonflées.

Il y a cependant de courts passages où les intervenants ont des physiques semblables à celui des bébés avec des gros visages et des membres raccourcis comme dans les dessins de satires politiques. Ce choix de style se trouve ici d’autant plus approprié car il sert à illustrer l’état de stupéfaction voire d’exaspération des personnages par rapport aux bêtises commises par le président Reagan. Ces traits plus satiriques se comptent cependant sur les doigts de la main et semblent en fin de compte être en décalage avec le reste de l’album qui se veut réaliste.

©Grand Angle – Le Crétin qui a gagné la guerre froide – Jean-Yves Le Naour – Cédrick Le Bihan

Malgré la prétendue ambiguité mise en avant, Cédrick Le Bihan et Jean-Yves Le Naour présentent bien le 40e président des Etats-Unis comme un crétin qui parvient à préserver son image auprès de l’opinion publique avec son sourire et ses blagues. Cela fonctionne d’autant plus sur le lecteur qui éprouvera à la limite de la sympathie pour Reagan alors qu’il a été l’idiot utile des élites économiques et conservatrice et qu’il a contribué à faire tomber l’URSS.

Une chronique écrite par : Stéphane Triquoit

Informations sur l’album :

  • Scénario : Jean-Yves Le Naour
  • Dessin : Cédrick Le Bihan
  • Éditeur : Grand Angle
  • Date de sortie : Le 8 janvier 2025
  • Pagination : 64 pages en couleurs

Vous pouvez discuter de l’album Le Crétin qui a gagné la Guerre Froide sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

Nous avons fait le choix d’être gratuit et sans publicité, néanmoins nous avons quand même des frais qui nous obligent à débourser de l’argent, vous pouvez donc nous soutenir en adhérant à l’association des Amis de la bande dessinée. L’ensemble de l’équipe vous remercie d’avance pour votre aide.

Consultez la liste de nos librairies partenaires pour vous procurer l’album Le Crétin qui a gagné la Guerre Froide.