« Le balayeur est celui qu’on croise mais qu’on ne regarde pas » nous écrit Thierry Martin dans la préface de son nouvel album, Le Balayeur des Lilas. Personnage d’un autre temps qu’on pouvait voir dans nos rues avant qu’elles soient envahies par les balayeuses voirie, l’anonyme travailleur passait ses journées à parcourir les trottoirs afin d’en chasser les détritus, faisant de lui le témoin parfait des petites scènes du quotidien des citadins. C’est ce témoignage fictionnel, drôle et tendre, que propose Thierry Martin dans une bande dessinée des plus poétiques, sous forme d’un leporello*, livre accordéon.

Le Balayeur des Lilas Oxymore couverture

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

C’est le matin, le balayeur sort de sa maison, saisit son outil de travail et commence son ouvrage dans les rues d’une ville qui s’éveille. D’enfants qui, sur le chemin de l’école, jouent au football avec une boîte de conserve abandonnée sur le macadam, à quelques propriétaires de chiens en promenade, il croisera de nombreux personnages du quotidien, jusqu’à finir sa matinée dans un petit parc envahi par les feuilles d’automne.

C’est l’après-midi, le facétieux balayeur quitte le parc. De clients de bar s’enivrant à des enfants qui, sur le retour de l’école, jouent au football avec une boîte de conserve abandonnée sur le macadam, il observera ses concitoyens dans leurs petites habitudes, jusqu’à rentrer chez lui, sa journée terminée.

C’est le matin, le balayeur sort de sa maison, saisit son outil de travail…

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

La vie comme un aller-retour

Le Balayeur des Lilas, c’est l’éternel recommencement du quotidien, avec les petites habitudes qui rythment les journées des citadins et les péripéties qu’on raconte, le soir, à ses proches. L’album de Thierry Martin offre deux entrées : d’un côté la matinée, de l’autre l’après-midi. La fin de chaque face renvoie directement au début de l’autre, le livre peut donc être lu dans n’importe quel ordre, et en boucle. Une approche, certes pas inédite, mais originale qui fait du Balayeur des Lilas plus qu’une bande dessinée mais également un bel objet. Toutefois, l’absence d’une reliure qui solidariserait les pages cause un certain inconfort à lire l’album et rend l’ensemble assez fragile. Le bédéphile collectionneur regrettera également, de fait, l’absence d’un dos à l’album.

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Le récit déconstruit en petits épisodes d’une planche se prête tout de même très bien au leporello. Chaque planche raconte sa petite anecdote, qui serait totalement anodine sans une petite astuce de Thierry Martin : les personnages reviennent de planche en planche. En effet, une dame, apparaissant discrètement dans une case, sera la protagoniste principale de la planche suivante, puis repassera de nouveau quelques pages plus tard. Cette récurrence des silhouettes anonymes peuplant les rues de chaque ville est une des grandes forces du récit de Thierry Martin qui sait également parfaitement les faire évoluer dans son univers. La mise en scène est minimaliste au possible, alternant des planches, aux décors souvent absents ou juste esquissés, et de grandes illustrations contemplatives et poétiques.

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Sur les pavés, la poésie

Le Balayeur des Lilas ne manque en effet pas de poésie, à commencer par son personnage principal, clin d’œil au balayeur du chef d’œuvre de Jacques Tati, Mon Oncle, simple figurant dans le film, passant son temps à papoter avec tous les passants au lieu de travailler. Dans l’album de Thierry Martin, le protagoniste reste silencieux et n’a absolument aucune interaction avec les autres citadins, mais l’hommage est bien présent et fera certainement naître quelques sourires aux fans du cinéaste. Le balayeur de l’illustrateur est courbé, vieux, fatigué et invisible là où celui du film était dynamique et presque clownesque, comme si celui de l’album était la version âgée de celui de Tati. Les temps ont changé : à l’époque du film, 1958, le balayeur était un acteur principal de la cité, garant de la propreté des rues, alors qu’en 2024, il n’est qu’un des (trop) rares vestiges du passé, singularité pittoresque et presque désuète face aux balayeuses voirie qui nettoient aujourd’hui bruyamment le pavé.

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Avec cette poésie, Thierry Martin montre beaucoup de tendresse pour son balayeur mais aussi pour la majorité de ses personnages, même ceux dont il se moque presque gentiment des tares liées monde moderne, comme la dépendance aux téléphones portables ou l’égoïsme omniprésent. Toute cette douceur est parfaitement illustrée par le travail à l’aquarelle de Thierry Martin, posant ses couleurs sucrées sur des dessins minimalistes. Il y a clairement du Sempé dans le Balayeur des Lilas, autant par son graphisme que par son alternance de gags et de moments de grande tendresse. Le balayeur, tellement invisible aux yeux des passants qu’il est très souvent carrément absent des planches, n’étant alors même plus un personnage de bande-dessinée, mais juste un simple témoin comme peut l’être le lecteur. Seule la superbe illustration qui ouvre l’après-midi offrira au vieillard une vraie mise en avant dans une scène, là encore, emplie de tendresse et de joie fluette.

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Le Balayeur des Lilas est avant tout un magnifique objet, un livre qui se lit en boucle sans avoir besoin de le retourner. Si ce joli procédé a des défauts, notamment de fragilité et de confort de lecture, il sert parfaitement le ton de l’album. Le quotidien est un éternel recommencement et le balayeur, qui écume les trottoirs et les rues toute la journée, en est le témoin parfait, à la fois complice du voyeurisme amusé du lecteur et personnage mélancolique. Tendresse, poésie, humour visuel et muet, proche de celui de Jacques Tati, sont au rendez-vous de cet album attachant et original.

* On l’appelle aussi livre frise. Le nom Leporello est celui du valet de Don Juan dans l’Opéra de Mozart qui déplie sur scène un long papier en accordéon avec la liste des conquêtes féminines de son maître. 

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Informations sur l’album :

  • Scénario : Thierry Martin
  • Dessin : Thierry Martin
  • Couleurs : Thierry Martin
  • Éditeur : Oxymore
  • Date de sortie : Le 16 octobre 2024
  • Pagination : 54 pages en couleurs
Le Balayeur des Lilas Oxymore

© Thierry Martin – le Balayeur des Lilas – Oxymore – 2024

Vous pouvez discuter de l’album Le balayeur des Lilas sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.

Nous avons fait le choix d’être gratuit et sans publicité, néanmoins nous avons quand même des frais qui nous obligent à débourser de l’argent, vous pouvez donc nous soutenir en adhérant à l’association des Amis de la bande dessinée. L’ensemble de l’équipe vous remercie d’avance pour votre aide.

Consultez la liste de nos librairies partenaires pour vous procurer l’album Le balayeur des Lilas.