Laurel et Hardy

Tout le monde connaît Laurel & Hardy, leurs noms, leurs visages, leurs silhouettes, peut-être même quelques scènes parmi leurs plus de cent films ensemble. Oliver Norvell Hardy (1892-1957) et Arthur Stanley Jefferson, dit Stan Laurel (1890-1965) ont, entre 1927 et 1951, marqué l’histoire du cinéma. Stars du septième art dont la vie hors plateaux reste pourtant relativement méconnue du grand public, c’est aujourd’hui dans le neuvième art que le plus célèbre des duos comiques crée l’événement avec un superbe album signé de l’Italien Gianluca Buttolo aux éditions Oxymore.

Couverture de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

Début des années 60, Stan Laurel, dont le numéro de téléphone figure dans l’annuaire, reçoit un appel d’un jeune garçon désirant savoir s’il était réellement l’acteur ou un homonyme. Comme nous l’apprend la préface, Laurel, alors âgé et relativement inoccupé, répondait à chaque appel. La star va alors raconter ses souvenirs à l’enfant, sa rencontre avec Oliver « Babe », leurs débuts en tant que « Laurel et Hardy », leurs succès, leur conception du métier d’acteur et de l’humour, la difficulté à rester « artistes » dans un univers dominé par les profits, leurs vies privées pleines de déboires, leur fin de carrière sereine, mais surtout leur amitié et leur complicité qui dépassait largement l’écran.

Page 1 de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD

A partir d’un fait réel, Gianluca Buttolo, dont c’est la première œuvre en France, va imaginer les discussions entre Stan Laurel et le jeune Seth qui veut faire un exposé sur Laurel & Hardy pour son école. L’acteur précise à son interlocuteur que son âge avancé fait ressurgir plus facilement les émotions que les souvenirs précis, son récit sera donc « à la manière de Laurel et Hardy, loufoque, absurde et sincère (…) ». En effet, plus qu’un documentaire purement factuel et (auto)biographique du duo, Gianluca Buttolo nous propose une histoire (sous la forme d’une collection de souvenirs), pleine de la tendresse qui émanait de Stan Laurel dans chacune de ses apparitions à l’écran, une tendresse qui provoquera sans nul doute un petit sourire à chaque lecteur, fan du duo ou non. Le (petit) défaut de ce style de narration très sensible est l’absence quasiment systématique de la mention de l’année pendant laquelle se déroule tel ou tel événement. Le (gros) avantage, en revanche, est la fluidité du récit. Les étapes de la carrière du duo se suivent au gré des questions de Seth, suffisamment naïves et directes pour entraîner des réponses claires et ludiques de la part du vieil homme. Chaque question ou remarque de l’enfant marque le début implicite d’un nouveau chapitre du récit de Laurel : « Comment trouviez-vous des idées ? », « Jouer la comédie est un travail sérieux ? »… S’il y a bien un fil rouge temporel, le déroulé de l’histoire du duo est plus thématique que chronologique : le travail, les coulisses, la vie conjugale…

Page 2 de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

Non seulement ce roman graphique est riche en anecdotes, que ce soit de tournage ou hors des plateaux, mais il n’en oublie pas moins de parler de cinéma. À une période où les progrès techniques révolutionnaient régulièrement la manière de réaliser et de mettre en scène un film, Laurel et Hardy ont été des précurseurs dans ces domaines, avec sans cesse le désir d’innover dans la conception des gags. Bien que leurs noms soient, dans l’esprit collectif, moins prestigieux que ceux de Charles Chaplin ou Buster Keaton, Oliver Hardy et surtout Stan Laurel ont à leur façon révolutionné le cinéma. L’album est une plongée dans les coulisses du septième art de cette époque. Laurel y parle des studios, des enjeux, des relations entre les personnes impliquées devant ou derrière les caméras, en somme de la façon de fabriquer un film, de l’idée de base au tournage. Le travail d’équilibriste de Gianluca Buttolo est de parvenir à montrer tout cela sans jamais se départir du côté profondément humain de son œuvre.

Page 3 de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

FIXER LE MOUVEMENT

S’il ne brille pas spécialement par son originalité pour un tel projet biographique (plus illustratif que réellement esthétique), le dessin de Gianluca Buttolo n’en reste pas moins des plus agréables. À la fois épuré et réaliste, son trait va à l’essentiel en mettant en avant les émotions des protagonistes. Les arrière-plans sont généralement vides, sauf lorsque le décor est utile à l’histoire, plongeant le lecteur au plus proche des personnages, lui rappelant ainsi qu’il se trouve dans les souvenirs de Stan Laurel : l’événement prime sur l’environnement.

Page 4 de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

L’Italien nous offre, en revanche, quelques planches à la mise en scène très originale, notamment lorsque Laurel parle de sa complicité avec Hardy, de la façon dont ils concevaient leur art. Alors, les cases se penchent, les protagonistes envahissent le gaufrier ou jouent avec lui, les teintes s’inversent… Tout cela, encore une fois pour privilégier le ressenti de Laurel : la folie des cases lorsqu’un souvenir l’amuse, les grandes vignettes presque vides (avec un personnage qui y paraît perdu) lorsque le souvenir est plus douloureux, voire l’absence totale de dessin lorsque le vieil homme semble se concentrer. Dans les anecdotes les plus burlesques de Laurel, on peut sentir le plaisir que le dessinateur a eu de croquer ses personnages, notamment Hardy avec ses expressions toujours exagérées ou, lors des récits de tournages, à reproduire certaines scènes mythiques de leurs métrages. Un plaisir que partagera sans mal le lecteur amateur du duo. Aux noir et blanc omniprésents, Gianluca Buttolo ajoute de nombreuses touches d’un très noble gris froid plus ou moins foncé. Utilisés principalement dans certains éléments de décor et surtout dans les personnages, ces aplats jouent sur les ombres et lumières douces et mettent parfaitement en valeur les protagonistes de chaque scène.

Page 5 de l'album Laurel et Hardy — © Laurel et Hardy – Gianluca Buttolo – Oxymore

A la fois biographie, réflexion sur le cinéma, témoignage du quotidien de vedettes de cette époque, récit d’amitié et de complicité, le Laurel et Hardy de Gianluca Buttolo revient superbement sur ce qui faisait l’essence du duo : sa profonde humanité, que ce soit sur ou hors écran. Généralement opposés dans leurs films mais inséparables amis dans la vie, leur cinéma, bien que centenaire, a gardé une grande modernité. En promenant son lecteur du rire aux larmes, avec beaucoup de tendresse sans pour autant faire de ses protagonistes des anges, montrant leurs erreurs et leurs errances, Laurel et Hardy est indispensable à tout fan du duo, un vibrant hommage au cinéma des artistes et des artisans, mais surtout une superbe histoire par le regard profondément humain et naïf d’un de ses acteurs.