L’appel des bouts du monde – une vie d’humanitaire
De l’humanitaire, on pourrait en avoir une vision très caricaturale, celle du « French doctor » qui se balade avec un sac de riz sur l’épaule pour soulager les populations les plus démunies. En retraçant la vie de Joëlle Valogne, Catherine Monnot-Berranger et Paolo Castaldi remettent les points sur le “i” et convient leur public à découvrir les soubresauts de 40 ans d’action humanitaire.
Dans sa maison du Gers, véritable havre de paix, Joëlle Valogne prend un repos bien mérité entre deux opérations humanitaires sur les terrains les plus dangereux de la planète. Le temps d’une soirée pour se vider la tête avec ses camarades de lutte, et c’est reparti pour la mission suivante. À 65 ans, cette femme expérimentée revient une fois de plus sur le terrain. En route vers la République Démocratique du Congo ! L’action se situe en 2019. L’Est du pays, à la frontière de l’Ouganda, est en proie à une nouvelle vague de violence. Les groupes armés massacrent des civils déjà fragilisés par les ravages d’Ebola. Pourtant, Joëlle n’hésite jamais, elle fonce jusqu’au bout du monde et poursuit une carrière débutée en 1976, en tant qu’infirmière bénévole au Liban. Elle y avait été envoyée pour le compte de Bernard Kouchner et son association Médecins Sans Frontières. À Beyrouth, elle y a rencontré son premier conflit. Entre la peur et l’adrénaline, sa destinée est toute tracée. Dès lors, il lui fut impossible de mener une vie moins risquée comme simple soignante dans un hôpital en France.
Des questions sur le sens de l’action humanitaire dans L’appel des bouts du monde
Au cours de sa longue carrière, Joëlle est intervenue dans de nombreux pays, ceux que le commun des mortels a découverts bien au chaud devant sa télévision, entre le fromage et le dessert : Liban, Djibouti, Niger, Kurdistan iranien, Pakistan ou encore Afghanistan, la liste est longue. L’humanitaire française a raconté à la scénariste Catherine Monnot-Berranger quatre décennies d’une vie consacrée à soigner son prochain, sans distinction de couleur, de religion ou d’ethnie. Qu’il soit un simple civil ou un salopard de sniper, Joëlle s’est occupée de sauver des vies. Point.
L’avant-propos le précise : « Cette œuvre est directement inspirée de la vie et du témoignage de la protagoniste principale, mais certains personnages et certaines situations ont dû être inventés pour les besoins de la narration. » Pourtant, à la lecture de cet ouvrage, il est impossible de démêler les éléments de fiction et le récit biographique. Les 232 pages de la bande dessinée résument près de 45 ans d’un quotidien intense. Les maladies, les menaces par balle ou la perte d’êtres chers sur le terrain, le scénario n’élude rien des difficultés de l’action humanitaire. Les questionnements sur le sens de l’action elle-même n’échappent pas non plus à la critique : la paperasserie administrative toujours plus encombrante ; la jeune relève qui aimerait davantage de confort sur les lieux d’intervention ; ou encore la place de la femme dans certains pays qui lui font renoncer volontairement – « Car contraire à mes valeurs », dit-elle – à s’y rendre pour se concentrer sur des pays où elle peut négocier, sans intermédiaire masculin, avec les chefs de tribu.
L’éclatante chevelure qui s’assombrit
Le dessinateur italien Paolo Castaldi a eu fort à faire pour appuyer graphiquement un récit somme toute assez pessimiste. On frôle souvent l’esquisse avec des visages parfois anonymisés où, sans être une BD en noir et blanc, la noirceur du trait prédomine sur la majorité des planches et les quelques couleurs sont bien ternes. Souvent, seule l’éclatante chevelure rousse de Joëlle Valogne s’extrait de ce sombre brouillard… Et encore, au fur et à mesure du récit, cette belle couleur perd de sa vigueur. En 1993, à Haïti, elle n’a même pas encore 40 ans que la teinte de ses cheveux, progressivement, commence à se noyer dans la grisaille des planches. Au deux-tiers de l’album, les rares couleurs qui parviennent encore aux lecteurs et aux lectrices sont le rouge du sang et les flammes d’un réconfortant feu de bois dans le havre de paix de notre héroïne.
Tout au long de sa vie, Joëlle Valogne a œuvré pour différentes organisations humanitaires et à différents stades de la hiérarchie : d’infirmière à dirigeante en passant par des postes à responsabilité pour les Nations unies. Quelle que soit sa fonction, elle ne s’est pas baladée avec un sac de riz sur l’épaule et des caméras pour la valoriser. Bien au contraire, discrète, elle a toujours eu à cœur de conserver un lien avec le terrain et de garder la maîtrise des gestes qui soignent pour sauver des vies sans relâche. L’appel des bouts du monde est un témoignage précieux pour mieux appréhender un « secteur d’activité » en pleine mutation qui se heurte de plus en plus à une logique de rendement économique.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Catherine Monnot-Berranger
- Dessin : Paolo Castaldi
- Couleurs : Paolo Castaldi
- Éditeur : La Boîte à Bulles
- Date de sortie : Le 5 février 2025
- Pagination : 232 pages en couleurs
