La pythie vous parle

Sélectionné pour le festival d’Angoulême de 2025, La pythie vous parle est le nouvel album de Liv Strömquist. Auteure très impliquée dans les mouvements féministes, la Suédoise décortique le phénomène du développement personnel et illustre en quoi il s’inscrit dans les dérives de la société moderne et du néolibéralisme.

La pythie vous parle Liv Strömquist couverture — ©Rackham – La pythie vous parle – Liv Strömquist

En se basant sur des sociologues, philosophes voire même des psychanalystes, sa bande dessinée ne se limite pas seulement à faire ressortir les mécanismes de notre mode de vie occidental actuel. Elle les aborde à travers sept thématiques qui constituent les chapitres de son œuvre. Dans chacun d’entre eux, la Suédoise les aborde à travers le regards des intellectuels et les confronte à l’attitude de nos ancêtres. Deux thématiques et constats majeurs reviennent à chaque fois et constituent le cœur même du propos de Liv Strömquist.

Déconstruire l’individualisme et la modernité

Elle relève en effet qu’au-delà du domaine du développement personnel, ce sont les capacités personnelles et individuelles qui sont devenues des valeurs-phares dans notre société. Cette survalorisation induirait que tout le monde peut avoir un contrôle absolu sur tous les aspects de sa vie, que cela soit son parcours, sa santé, ses relations, voire même sa propre mort. L’auteure suédoise décortique et déconstruit cette idée préconçue en se basant sur des études qui révèlent qu’avant le XX^e siècle il était davantage accepté que de nombreuses choses échappent à notre contrôle individuel, à l’instar de la chance ou des aléas de la vie.

La pythie vous parle Liv Strömquist — ©Rackham – La pythie vous parle – Liv Strömquist

A partir de là, Strömquist démontre en quoi l’omniprésence dans nos médias de conseils et astuces souvent contradictoires n’aident pas véritablement le public cible mais contribue davantage à créer un ressenti d’inégalité, d’impuissance et de culpabilisation.

Que cela soit en matière de beauté, de réussite dans la vie ou au boulot, les médias et autres influenceurs diffuseraient des injonctions qui servent surtout à conforter l’idée de réussite et de mérite des personnes socialement et/ou économiquement privilégiées. Selon la Suédoise, ces discours normatifs justifiraient ainsi la position dominante de ces personnes, que cela soit les entrepreneurs super riches ou les masculinistes imprégnés de misogynie.

En plus de ces observations richement articulées et argumentées, l’album propose un conseil pour chaque chapitre en début d’ouvrage mais ne prend pas la peine de les développer. Même si l’intention première est d’établir un constat très développé et poussé de notre mode de vie, il est dommage que toutes les alternatives proposées se résument à de simples lignes de conseils.

Quand le fond s’ouvre grâce à la forme

Que cela soit pour les personnages ou les décors, Strömquist a recours à des dessins de style simpliste voire enfantin mais cela contribue à l’identité de l’œuvre et à son ton satirique et éclaté. Elle justifie même régulièrement ce parti pris graphique avec plusieurs personnages en raison de leurs apparences ou accessoires déconcertants. Cette forme de minimalisme graphique peut faire douter les lecteur adeptes d’une composition graphique plus élaborée mais s’ils osent franchir le pas, ils comprendront que c’est le fond qui fait la particularité de cette bande-dessinée.

Ce choix visuel est d’autant plus approprié que l’auteure ne cherche pas tant à raconter une histoire mais à aborder un phénomène de société avec des implications complexes dans une forme simple et accessible au plus grand lectorat. Afin de rendre ses propos plus digestes, elle déploie régulièrement des enchaînements de phylactères composés de quelques phrases, ce qui donne une lecture plus espacée et aérée. Cette importance du texte et de la présence de nombreuses bulles dans une seule grande case impose une composition qui doit jouer sur l’équilibre entre les personnages, les décors et les textes. Un exercice dans lequel Liv Strömquist réussit amplement et qui donne un impression de lecture fluide et non de surcharge graphique.

Dans ce que nous pouvons qualifier d’essai graphique, l’auteure suédoise décortique la mode du développement personnel et démontre en quoi il s’inscrit dans un mode de pensée néolibérale ultra-utilitariste et individualiste omniprésent dans notre culture contemporaine. Même si les alternatives ne sont que peu développées et le dessin quasi enfantin, cette bande-dessinée se lit facilement et permettra au lecteur de comprendre le monde dans lequel il vit et, peut-être, l’amener à réfléchir sur sa manière d’être et de se comporter afin d’être plus en accord avec lui-même.