La 3e Kamera
Trois appareils photos. Deux pour la propagande officielle du IIIe Reich, et un troisième, clandestin, échappant à tout contrôle. Au cœur de l’indicible, les reporters de guerre allemands ne photographient pas que la « qualité des actions » de leur gouvernement. Ils interrogent le sens de l’Histoire avec ces images incontrôlées.
1945, c’est la fin. Berlin est tombée, entraînant dans sa chute le régime nazi du sinistre Hitler. La capitale allemande est dévastée, elle n’est que gravats et décombres. Les armées américaines et russes en ont pris possession et se partagent le territoire. Que l’on soit berlinois ou soldat, tout le monde y va de son petit trafic pour améliorer l’ordinaire.

Les tours de garde sont nombreux pour assurer la sécurité de la ville, notamment pour maîtriser quelques poches de résistance. C’est au cours d’une de ces patrouilles qu’un homme, qui cherchait à les esquiver, est arrêté par les « Boys » aux abords de la devanture de la boutique d’un photographe. Sa tentative de fuite a éveillé les soupçons. Egon Krabe est emmené pour un interrogatoire. Il est photographe et les Américains découvrent qu’il trimballe un appareil photo de la Luftwaffe – l’armée de l’air allemande. La description du contenu de la pellicule par son propriétaire intrigue. Que sont vraiment ces photos ?
Manipulation des images
La structure du récit, l’interrogatoire d’un suspect un peu trop « propre sur lui », n’est pas sans rappeler quelques scènes d’Usual Suspects. Mais ici s’arrête la comparaison avec le film de Bryan Singer. Dans La 3e Kamera, point de flashback pour raconter les événements qui précèdent l’arrestation. L’histoire s’ancre dans le récit immédiat. Toutefois, l’intrigue scénarisée par Cédric Apikian oscille entre enquête policière afin de découvrir les images de ce mystérieux appareil photo, et histoire de guerre par le contexte dans lequel évolue le récit.

Au-delà de l’enjeu autour de ces images incontrôlées, le scénariste révèle les dessous d’une autre guerre, celle des images officielles. On découvre que les reporters allemands ne sont pas les seuls à pratiquer ce jeu de dupe. Le récit s’intéresse à certaines des images les plus emblématiques de la prise de Berlin, telle l’iconique photographie du soldat russe qui pose fièrement avec le drapeau rouge sur le toit du Reichstag – image elle aussi manipulée à des fins de propagande, celle de l’armée soviétique.
Des couleurs audacieuses
Au dessin, Denis Rodier nous plonge dans la noirceur des dégâts causés par la bataille de Berlin, gagnée par les forces russes. Parfois, le trait est vibrant, frôlant l’esquisse qui suggère le mystère ou l’incertitude des actions à venir. Mais, plus souvent, le dessin est réaliste et précis. Les lectrices et les lecteurs sont plongés dans une ville de Berlin plus vraie que nature, montrant une capitale aux abois, jonchée de carcasses de voitures et de bâtiments éventrés. Un tel récit s’étalant sur plus de 150 pages laisse au dessinateur une très belle marge de manœuvre pour enrichir l’ouvrage de séquences frôlant l’indicible ou, au contraire, libérant de magnifiques moments d’émotion. La tonalité dominante des planches, un vert sombre, quasi-mélancolique, est plutôt audacieuse. La coloriste Elise Follin donne un rendu final à l’album particulièrement menaçant. Le choix de cette couleur n’est pas sans évoquer celle de nos vieilles pellicules argentiques.

Lorsqu’on associe la Seconde Guerre mondiale à la photographie, on se remémore des noms légendaires tels que ceux de Robert Capa, Henri Cartier-Bresson ou David Seymour. Chacun a laissé une empreinte indélébile dans la grande tradition des reporters de guerre. Face à ces photojournalistes, la propagande officielle s’est toujours faite d’images manipulées, utilisées pour justifier l’injustifiable. Toutefois, les clichés pris par ces « 3e Kamera » démontrent la fragilité de l’humanité, apportant certaines nuances aux comportements des soldats allemands entre images qui révèlent parfois un quotidien empreint de camaraderie et des photos qui serviront de preuves lors des procès à venir pour crimes contre l’humanité et même génocides.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album La 3e Kamera :
- Scénario : Cédric Apikian
- Dessin : Denis Rodier
- Couleurs : Elise Follin
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : Le 16 octobre 2024
- Pagination : 152 en couleurs
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