L’Imprimerie du diable

Après Willow Palace et Isabelle Eberhardt, le duo Virginie Greiner – Annabel est de nouveau réuni avec L’Imprimerie du diable, pour l’histoire d’une femme avec un judicieux prétexte historique et en trame de fond une jolie romance. Dans ce récit Virginie Greiner met en lumière des thèmes toujours d’actualité et Annabel restitue l’ambiance et les décors moyenâgeux de manière très réaliste. Le tout est renforcé par une belle mise en couleur.

Couverture de l'album L'Imprimerie du diable
© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Printemps 1470, l’hiver n’en finit pas, c’est la disette et les loups se font de plus en plus menaçants. Ajoutés à cela la religion et la superstition, il n’en faut pas plus pour réveiller la révolte paysanne et accroître le nombre d’hérétiques.

Le prince évêque, représentant de l’État et de l’Église, doit trouver une solution afin de reprendre la main sur le peuple et affirmer son pouvoir. Pour cela, quoi de mieux que de désigner le diable coupable de tous ces maux ? Grâce à l’imprimerie, découverte 20 ans plus tôt, il va diffuser sa propagande et l’ordre de condamnation au bûcher des disciples, injustement désignés, de ce bouc émissaire.

Le petit village de Vernoux, éloigné de tout, se situe au centre de cette histoire et ses habitants vont tous jouer un rôle essentiel, de l’inquisiteur à la servante du diable ou du paroissien apeuré et soumis au prêtre rationnel et désobéissant.

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© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Reine, une femme libre et moderne

Virginie Greiner s’offre avec son héroïne, Reine Percheval, une nouvelle occasion de mettre en avant une femme brillante, empreinte de liberté et de modernité pour son époque. Malgré la chasse aux sorcières ordonnée par le prince évêque contre les sages-femmes et les guérisseuses, accusées d’être les servantes du malin, la jeune femme poursuit son activité si utile à la population de Vernoux. Elle  s’affranchit des règles en refusant de se marier, elle prend le risque de sacrifier son amour pour Étienne, auteur du manuel de démonologie et responsable de sa mise en œuvre. Elle va jusqu’à se livrer elle même pour sauver celle qui l’a dénoncée et s’élever contre  l’autorité du prince évêque.

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© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Un récit engagé

Cette histoire est aussi un pamphlet contre l’Homme. Tout d’abord avec Étienne, prêt à toutes les renonciations et concessions par orgueil et pour assouvir son ambition. Ainsi, au fil des années il oublie totalement ses origines et son amour pour Reine, au point de la faire condamner au bûcher. Tout cela pour sa vénération des livres qui, à ces yeux, ne peuvent contenir que la vérité absolue et il le sait, puisqu’il les écrit.

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© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Le récit démontre aussi que l’Homme est prêt à tout, jusqu’à s’octroyer l’impunité d’exercer les pires méfaits, pour dominer et soumettre les autres à son seul profit. Virginie Greiner nous fait la démonstration que la manipulation des esprits, jouer sur les peurs et opposer les gens, permet de détourner le peuple de ses véritables préoccupations. En effet, en nommant comme envoyé du diable Reine et ses semblables et en faisant leur procès en sorcellerie, le prince évêque transforme la colère paysanne, calme la révolte, stoppe la progression du nombre d’hérétiques et assoie sa suprématie car seul dieu, donc lui, doit avoir le pouvoir de guérir les âmes.

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© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Le dessin réaliste d’Annabel et des couleurs d’ombres et de lumières

Le dessin réaliste d’Annabel est un vrai plaisir. La quasi totalité des vignettes est avec des visages dont beaucoup en gros plan ou très gros plan, ce qui permet d’apprécier son trait si expressif et particulièrement celui des regards. La reproduction réaliste est très poussée car, outre celui des décors et des vêtements, elle reproduit le style précis d’enluminures qui étaient en cours à cette époque : le style gothique international très inspiré de l’enluminure italienne avec des structures, notions de volumes, de profondeurs et des paysages réalistes.

Comme dans la peinture flamande du XVème siècle, à la façon de Van Eyck les jeux de lumière animent les cases tout au long de l’album et contrastent avec les teintes sombres semblables à celles de la peinture à l’huile découverte vers 1415. Ainsi, la présence d’une bougie qui n’éclaire que le personnage, le rayon du soleil qui perce un vitrail ou encore la scène de fin avec une auréole solaire qui conclue l’intrigue et la romance de l’histoire, marquent la présence de la lumière divine. Les coloristes ont aussi habilement joué sur les détails et les reflets d’ombres, avec des dégradés et des fondus crées par cette luminosité.

Page 56 de l'album L'Imprimerie du diable
© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Virginie Greiner et Annabel réussissent encore une belle collaboration et ce malgré les embûches rencontrées pour la réalisation de cette BD. Le scénario, le dessin et les couleurs sont au niveau de la très belle couverture tissée bleue recouverte de couleur or à profusion, telles les enluminures du Moyen Age. Enfin, cette histoire nous rappelle que tout propos, quelque en soit la source, n’est pas message d’évangile et qu’il convient de ne pas y croire aveuglément même si les promesses sont alléchantes. Les autrices ont aujourd’hui des projets distincts mais espérons qu’elles auront encore la bonne idée de collaborer ensemble.

Page 69 par Virginie Greiner et Annabel
© L’Imprimerie du diable – Virginie Greiner et Annabel – Les Arènes BD

Chronique écrite par Xavier G.

Informations sur l’album

  • Scénario : Virginie Greiner
  • Dessin : Annabel
  • Couleurs : Carlo Chablé, Dyan Noriéga, Chiara Zeppegno et Marie Galopin
  • Éditeur : Les Arènes BD
  • Date de sortie : 18 avril 2024
  • Pagination : 148 en couleurs

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