Les métiers de la BD – épisode 18 : Isabelle Lemaux, profession story-boardeuse
Le story-board est la base même d’une bande dessinée. Il permet de voir si le scénario a besoin de rectifications, si les dialogues requièrent des modifications, et si la lecture est optimale pour les futurs lecteurs. Il donne donc la possibilité aux auteurs de visualiser quel sera le rendu final de l’album. Ainsi, nous terminons ce feuilleton estival, sur les métiers de la BD, avec l’interview d’Isabelle Lemaux, anciennement story-boardeuse dans l’animation, et devenue récemment story-boardeuse et illustratrice (Les Mondes Perdus T1-T2) de bande dessinée.

Les Amis de la bande dessinée : Initialement, vous venez de l’animation. Pouvez-vous nous rappeler les études que vous avez suivies pour exercer dans ce domaine ?
Isabelle Lemaux : En sortant du lycée, j’ai fait une année de prépa privée à l’EAP (Ecole d’Arts Plastiques) à Paris où on dessinait toute la journée. C’était une année entière à expérimenter tous les médiums : des cours de nu, de perspective, on parcourait la ville et les musées avec nos carnets de croquis… C’était très formateur même si je n’ai pas réussi mes concours après. Puis j’ai fait une licence d’arts plastiques où j’ai surtout expérimenté la peinture acrylique. Puis j’ai intégré ATI (Arts et Technologies de l’Image) qui est la seule formation sur l’animation, jeux vidéo, effets spéciaux, code qui est à la fac de Paris 8. Il faut avoir un bac+2 pour y entrer car cela commence par une licence 3 puis 2 années de Master. Du moins c’était le cas à l’époque. J’avais intégré cette formation pour me rapprocher du monde de l’animation et je pensais que j’avais plus de chance de trouver un travail en apprenant la 3D. Je ne pensais pas que mon niveau de dessin serait suffisant pour en faire mon métier à l’époque. Puis quand je suis sortie de l’école, en voyant mon book on m’a proposé de travailler en Story-board donc de faire du dessin alors que ce n’est pas ce que j’avais travaillé pendant 3 ans (rires). Mais c’était encore mieux ! Je revenais à mon rêve initial : vivre du dessin.


Les Amis de la bande dessinée : Quelles sont les différences entre le story-board en animation et en bande dessinée ?
Isabelle Lemaux : La plus grosse différence : c’est le format. En animation, on compose toujours nos plans selon le cadre TV, en gros un rectangle. Donc toutes nos images ont le même format. C’est la différence des valeurs de plans (Plan Large, gros plans…) ainsi que le mouvement qui va permettre de bien différencier les plans les uns par rapport aux autres. En BD, on compose les cases les unes par rapport aux autres dans une planche et parfois on fait des doubles pages. Il faut que l’œil du lecteur passe bien de haut en bas et de gauche à droite. Et c’est le cas aussi pour les bulles. Même si de mon côté une lettreuse passe pour mettre les bulles à la fin, je dois tout de même les mettre au story-board car je dois penser à la place de mes bulles dans les cases pour que le lecteur les lise de haut en bas et de gauche à droite. En animation comme en BD, on respecte des règles de composition (règle des tiers, règle des 180°…) et dans le fond, la finalité est la même : on raconte une histoire. C’est juste un médium différent. Médium qui en animation, offre le son, musique, voix, le timing. Très utile pour poser une ambiance tranquille ou au contraire faire monter le suspens (rires) ! Ou en cartoon, si vous voulez faire une blague, le timing est primordial pour que ça marche !

La BD offre, elle, la possibilité de faire la mise en page qu’on veut, de casser la traditionnelle case carrée quand il se passe quelque chose de fou, et d’utiliser les doubles pages quand on a besoin de respirer par exemple sur un beau paysage. Et l’auteur est bien plus libre qu’en animation où le story-boarder travaille sur un projet qui ne lui appartient pas (en général) et doit adopter le ton de la série sur laquelle il/elle travaille, et surtout le story-board est fait pour les équipes qui suivent dans la chaîne de production. C’est un document technique qui se doit d’être lisible et compréhensible par tous.

Les Amis de la bande dessinée : Est-il possible d’être seulement storyboarder dans le monde de la BD, comme les encreurs et les coloristes ?
Isabelle Lemaux : Je ne sais pas s’il y a des personnes qui ne font que du story-board pour la BD comme métier principal mais oui il y a des auteurs qui parfois n’aiment pas faire le story-board. C’est une partie du travail où on se fait pas mal de nœuds au cerveau donc certains passent par des story-boarders. De mon côté, je travaille avec Justine Cunha sur le tome 2 du Monde des Cancres où je fais le story-board, un décorateur s’occupe des décors et Justine met ses personnages et s’occupe des ambiances lumineuses. Elle travaille actuellement sur Fleur Bleue son nouveau roman graphique qui sortira courant 2026 et qui a été story-boardé par Alexandre Arlène. Donc oui, ça se fait.

Les Amis de la bande dessinée : Que doit contenir un bon story-board ?
Isabelle Lemaux : Un bon story-board doit surtout permettre de captiver le spectateur/lecteur. Il s’agit de mise en scène. Comment on raconte l’histoire, dans les yeux de qui ? Niveau technique il faut que tout soit lisible, qu’on puisse situer comprendre le décor et que les posings soient vivants, qu’on y croie. Il faut vivre les émotions des personnages. Si on arrive à captiver le lecteur, c’est gagné pour moi.

Les Amis de la bande dessinée : Combien de temps faut-il pour réaliser un story-board de bande dessinée ?
Isabelle Lemaux : Tout dépend pour qui, du niveau de board, de la pagination (72 pages sur Les Mondes Perdus) … Et puis chacun travaille à une vitesse différente. En général, pour Les Mondes Perdus, je boarde 4 pages par jour mais sur la série, j’essaie d’être déjà assez précise au niveau de mes recherches de décors pour gagner du temps pour la suite et ça me prend beaucoup de temps. Mais sur la fin du tome 2, j’ai boardé les 20 dernières pages en 1 jour et 1 nuit. Mais ce n’est pas habituel non plus ! (rires) Ce qui prend le plus de temps je trouve ce sont les retouches, car le board met en lumière des choses à changer au niveau de l’écriture, (nombre de cases pour décrire une action, les dialogues à réduire parce que sinon ça prend trop de cases…). Et puis parfois, on a une vision à l’écrit mais ça ne marche pas en dessin. Les allers-retours prennent beaucoup de temps. Le board est là pour ça. C’est un outil de travail, et le but c’est justement de pouvoir le changer encore et encore jusqu’à raconter l’histoire de la meilleure façon (du moins qui convienne à tout le monde). C’est pour ça que l’idée c’est de dessiner vite et bien car il faut que ce soit assez clair pour en discuter mais pas que ça épuise le boarder surtout s’il doit retaper plein de pages.


Les Amis de la bande dessinée : Quelles sont les principales difficultés auxquelles doit faire face un story-boarder en bande dessinée ?
Isabelle Lemaux : C’est beaucoup de travail, beaucoup de nœuds au cerveau. On n’imagine pas mais il faut être super précis au board. Il faut tout anticiper. Être raccord, au niveau des endroits, des tailles, des objets, des lieux. En animation surtout, en BD les erreurs sont un peu plus tolérées car on va dire que les ellipses existent. Il faut que les personnages soient vivants donc il y a tout un travail sur l’acting. Il faut respecter toutes les règles de l’image et en même temps il faut savoir s’en détacher. Il faut bien dessiner, mais en même temps pas trop pour ne pas perdre en vitalité dans le trait, être un technicien mais aussi laisser parler l’artiste qui est en nous… Puis le plus important c’est le point de vue, comment on raconte au mieux le scénario qu’on nous confie. C’est un travail épuisant mais passionnant.
Les Amis de la bande dessinée : Un petit mot pour les amis de la BD ?
Isabelle Lemaux : Lisez des BD. Il y a encore plein de folles aventures qui arrivent pour le tome 3 des Mondes Perdus !

Propos recueillis par Manonn’ des sources
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