Interviews de Véro Cazot et Lucy Mazel, à l’occasion de la sortie de l’intégrale de la série Olive

En décembre 2020, les autrices de la série Olive, Véro Cazot au scénario et Lucy Mazel aux dessins, nous avaient accordées une interview pour notre page Facebook. A l’occasion de la sortie en août 2024 de l’intégrale de la série, nous publions sur notre site les deux interviews.

Couverture de l'intégrale Olive
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Première partie : Interview de Véro Cazot (scénariste)

Les Amis de la bande dessinée : Bonjour Véro, peux-tu te présenter en quelques mots aux Amis de la bande dessinée ?

Véro Cazot : Je suis scénariste depuis une quinzaine d’années et j’ai commencé à écrire de la BD depuis dix ans. J’ai à ce jour très peu d’albums à mon actif : seulement 5 albums depuis 2011. On pourra penser que c’est parce que je suis paresseuse, mais je passe pourtant la majeure partie de mon temps à écrire. Chaque projet me prend beaucoup de temps et c’est aussi souvent très long de trouver les bonnes personnes pour les dessiner.

Photo de Vero Cazot
Photo de Vero Cazot © Chloe Vollmer-Lo

Les Amis de la bande dessinée : Tu as choisi dans Olive de traiter le sujet de l’autisme, pourquoi ce thème en particulier ?

Véro Cazot : Pour être tout à fait honnête, je ne me suis pas dit qu’Olive était autiste en la créant. J’ai d’abord simplement imaginé une adolescente rêveuse, distraite, introvertie, très solitaire et pleine d’imagination. Et je me suis avant tout intéressée au monde intérieur de cette héroïne et à lui donner du sens et une crédibilité. J’aimais l’idée qu’une personne qui nous semble très déconnectée de notre réalité ait une autre manière, moins visible mais tout aussi riche, d’être reliée au monde et aux autres. Cela décrit très bien une forme d’autisme, mais je ne l’ai pas fait consciemment.

J’ai ensuite volontairement ajouté au personnage des traits de caractère associés à l’autisme, l’anxiété face au moindre changement, l’ignorance des codes sociaux comme la diplomatie, la séduction et les compromis.

Au final, je crois que tous les livres que j’ai écrits jusqu’ici mettent tous en avant un personnage principal inadapté, qui a du mal à trouver sa place dans notre société. Et je fais en sorte de lui donner de la valeur et de lui trouver un moyen de s’intégrer sans que la solution soit d’entrer dans la norme.

Page 19 du tome 1
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Pourquoi as-tu fait appel à Lucy Mazel pour mettre en images la série ?

Véro Cazot : Olive est une héroïne très intérieure et très peu expressive. Incarner un personnage avec une palette d’émotions aussi minimaliste tout en le rendant malgré tout attachant et pas antipathique est un vrai défi. Lucy était la dessinatrice idéale pour donner de la vie et de la personnalité à un personnage aussi fermé, mais aussi en révéler toute la sensibilité.

Je connais peu de dessinateurs et dessinatrices qui font jouer leurs personnages avec autant de profondeur et de justesse que Lucy.

Et puis, même si Lucy n’avait encore jamais créé d’univers imaginaire, certaines séquences de « Communardes » et « Edelweiss » (ses précédents albums) m’avaient complètement éblouie et convaincue qu’elle serait parfaite pour créer un monde aussi poétique que réaliste.

Page 46 du tome 1
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Le tome 1 d’Olive est sorti quatre jours avant le premier confinement, quel a été ton sentiment à ce moment ?

Véro Cazot : Haha, je peux m’étaler un peu là-dessus ? Je dois avouer que j’ai eu un gros coup de mou. Un sentiment de frustration et de découragement. Comme je le disais précédemment, je suis très peu productive, chaque projet me prend beaucoup de temps et d’investissement et chacun me tient très à cœur. C’est aussi le cas pour Lucy. C’est notre unique publication de ces deux dernières années. Et c’est un premier tome de série qui avait besoin d’une exposition et des conseils des libraires pour se faire connaître. Sa sortie quelques jours seulement avant la fermeture totale des librairies a été un coup très dur.

Il y a eu aussi des répercussions sur la sortie du tome 2 que nous souhaitions très rapprochée du tome 1, mais qui a dû être reportée comme de nombreux autres livres.

Heureusement, nous avons la chance d’être accompagnées par une équipe super investie chez Dupuis, qui aime la série et continue de la soutenir.

On va juste considérer que la fusée a manqué son décollage et faire un nouveau lancement en février avec les deux premiers tomes. Ce sera encore mieux !

Page 3 du tome 2
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Et finalement est arrivée récemment la nouvelle de la nomination de l’album dans la Sélection du Festival BD d’Angoulême ! Que représente-t-elle pour toi ?

Véro Cazot : Un bel encouragement. Une reconnaissance de mon travail (et bien sûr de celui de Lucy) dont j’avais particulièrement besoin pour ce livre et cette année. Quelle qu’en soit l’issue, cette sélection est déjà une énorme récompense. Elle nous offre la chance de redonner de la visibilité à ce début de série qui en a été privé, une invitation à la découvrir. C’est très motivant pour la suite.

Page 16 du tome 2
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : As-tu un souvenir lié au journal Spirou à partager avec les amis de la communauté ?

Véro Cazot : J’ai écrit de nombreuses versions d’Olive sans en être pleinement satisfaite. Et dans toutes ces versions précédentes, Olive était une adulte avec des problématiques d’adultes. C’est en retrouvant le plaisir de lire Spirou chaque semaine il y a quelques années que j’ai eu deux révélations : je voulais absolument raconter des histoires pour ce journal et c’est au public de Spirou que je devais raconter l’aventure d’Olive. Olive est alors devenue une adolescente de 17 ans. Il m’a fallu par conséquent changer plus de 90% des scènes d’origine, mais soudain toutes ses aventures sont devenues plus évidentes et plus crédibles. Le journal de Spirou a donc changé la vie d’Olive et la mienne.

Page 26 du tome 2
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Deuxième partie : Interview de Lucy Mazel (dessins et couleurs)

Les Amis de la bande dessinée : Bonjour Lucy, peux-tu te présenter en quelques mots aux Amis de la BD ?

Lucy Mazel : Je suis autrice de BD, mon premier album est sorti en 2015 avec Wilfrid Lupano au scénario et s’intitule Communardes ! Les Éléphants rouges, puis j’ai collaboré avec Cédric Mayen sur Edelweiss paru en 2017. Olive, d’après un scénario de Véro Cazot, est ma première série dont le premier tome est paru chez Dupuis.

Photo de Lucy Mazel
Photo de Lucy Mazel © Chloe Vollmer-Lo

Les Amis de la bande dessinée : Pourquoi avoir accepté de collaborer avec Véro Cazot sur le projet ?

Lucy Mazel : Quand Véro m’a envoyé Olive, elle avait déjà écrit les quatre tomes. J’ai tout de suite accroché avec son scénario et je savais exactement où elle voulait aller. À la première lecture, j’ai été emportée par sa justesse d’écriture, très cinématographique. Je n’ai eu aucun mal à me projeter dans l’histoire et les personnages et je n’ai pas hésité avant de lui dire oui.

Page 3 du tome 3 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Comment as-tu construit ton style et imaginé l’univers graphique d’Olive ?

Lucy Mazel : J’avais plutôt un dessin semi-réaliste en valeur à la base et après avoir collaboré avec Didier Poli, un ancien de Disney, sur une série jeunesse où j’ai dû recopier son dessin pendant des mois, j’ai gardé certains de ses automatismes. D’ailleurs, j’ai travaillé au Col-erase sur Communardes !, un crayon très utilisé par les animateurs. Mon « encrage » était donc au crayon et mes couleurs étaient ajoutées numériquement sur Photoshop.

Pour la réalisation d’Edelweiss, j’ai décidé de tester une nouvelle technique en encrant au stylo bille. En effet, contrairement à l’encre, le stylo permet de travailler en valeur de gris, comme le crayon classique. Mais cela m’a permis de peindre à l’aquarelle directement sur la planche sans risquer de dénaturer le trait. Cependant, il y avait une atténuation dans mon encrage dû au mélange avec certains pigments que je devais retoucher sur Photoshop.

Sur Olive, j’ai donc décidé de poser d’abord l’aquarelle sur le crayonné, puis d’encrer par-dessus au stylo bille, ce qui me permet de garder la vibrance du trait. Enfin, je rajoute quelques touches de gouache pour rehausser mes couleurs et je n’utilise (presque) plus Photoshop.

En ce qui concerne l’univers, j’ai surtout travaillé sur des projets historiques dont les époques étaient très documentées. Pour Olive, créer son monde intérieur m’a demandé un long travail d’imagination, bien que beaucoup des éléments importants étaient fixés par Véro (la lune bleue, le lac rose et la maison bulle), pour le reste je me suis inspirée des jeux vidéos qui m’ont marquée dans ma jeunesse. Je voulais que le résultat se rapproche d’un lieu où moi-même, j’aimerais me réfugier. Mais que ce soit dans son monde intérieur ou dans le monde réel, 90 % des lieux et des personnages secondaires me sont familiers. Je les tire de ma mémoire et je les intègre à cet univers.

Page 28 du tome 3 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Tes planches sont de véritables tableaux, peux-tu nous parler de ton travail en couleurs directes ?

Lucy Mazel : J’en ai parlé dans la question précédente, mais pour les férus de techniques je travaille sur un papier Canson Héritage 300 g grain satiné 32X42 cms, mes crayonnés sont réalisés au Col-Erase. J’utilise également des stylos bille de la marque Uni-ball pour l’encrage, leur gamme est assez variée pour me permettre différents rendus. Enfin, je peins avec des aquarelles de différentes marques et des gouaches Linel.

Concernant les couvertures et les 4èmes de couverture des albums, c’est l’occasion pour moi de travailler au format raisin et de dépoussiérer mon aérographe.

Page du tome 3 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Véro nous confiait que le confinement avait été un coup dur pour la sortie de l’album, qui s’est finalement retrouvé dans la Sélection du Festival BD d’Angoulême ! Que représente cette nouvelle pour toi ?

Lucy Mazel : C’est une véritable bouffée d’air frais, cela m’a redonné confiance. Au moment de la sortie du premier tome, je venais de commencer la réalisation du tome 3. J’avais donc déjà deux ans et demi de travail derrière moi et j’avais besoin d’avoir un retour dessus. Le confinement, décrété 3 jours après la sortie de l’album, m’a un peu anéantie. Cette nomination me redonne espoir pour la suite de la série. À quoi bon faire de la BD et s’enfermer pendant trois ans, si l’on n’est même pas lu au final ?

Page du tome 4 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : Quand on se penche sur ta bibliographie, on s’aperçoit que tu t’es souvent associée à des projets traitant du personnage féminin (dans Communardes avec le rôle des femmes dans la Commune, Edelweiss avec son héroïne féministe, et ici avec Olive). Est-ce dû au hasard des propositions ou te considères-tu comme une militante féministe ?

Lucy Mazel : C’est un hasard, je me moque complètement du sexe du personnage principal. Ce qui m’importe avant tout c’est l’humain et l’histoire.

D’ailleurs, le personnage principal d’Edelweiss n’est pas Olympe, c’est Edmond qui ouvre et clôture l’album. C’est lui le personnage qui évolue et change au fur et à mesure de l’histoire, Olympe est son fil rouge qui reste assez égale à elle-même au fil de l’album. Même la couverture est en fait le point de vue d’Edmond.

Concernant Olive, ce n’est pas un personnage sexué ou sexualisé. C’est quelqu’un de différent à qui il arrive une histoire extraordinaire.

Sans être militante, je porte en moi de solides convictions humanistes et féministes.

Page du tome 4 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Les Amis de la bande dessinée : As-tu un souvenir lié au journal Spirou à partager avec les amis de la communauté ?

Lucy Mazel : Vous le découvrirez très prochainement dans la rubrique Spirou et moi de votre journal préféré !

Les Amis de la bande dessinée : Merci Lucy !

Page 14 du tome 4 par Lucy Mazel et Vero Cazot
© Olive – Vero Cazot et Lucy Mazel – Dupuis

Propos recueillis par Aurélien BRISSY.

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