Interview d’Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh, autrices de « Soixante printemps en hiver »

À l’occasion de leur passage en Suisse pour des séances de dédicaces, à Lausanne et à Genève, les Amis de Spirou ont rencontré Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh pour discuter de leur album « Soixante printemps en hiver » édité dans la collection Aire Libre. Elles ont eu la gentillesse de répondre à nos questions.

Couverture de Soixante printemps en hiver
© Soixante printemps en hiver – Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh – Dupuis

Les Amis de Spirou : Quels sont vos parcours respectifs ?

Ingrid Chabbert : J’ai commencé il y a douze en ans, en 2010. J’ai débuté par la littérature jeunesse, beaucoup d’albums jeunesse pour les petits. Ma première BD « Ecumes » a été publiée en 2017. Depuis, je fais essentiellement de la BD jeunesse et adulte. Il m’arrive encore d’écrire des livres pour les enfants, à la demande de certains éditeurs.

Aimée de Jongh : J’ai toujours dessiné. Je lisais beaucoup de bandes dessinées : Spirou, Tintin et autres. Plus grande, je suis tombée amoureuse des Mangas. J’aime beaucoup les personnages imparfaits de ce style de BD. Ils sont souvent très timides, ce ne sont pas des héros comme dans les Comics. J’aime Après le collège, j’ai étudié quatre ans à l’école des beaux-arts. Ensuite, j’ai travaillé dans l’animation. En parallèle, je dessinais de courtes BD pour un journal aux Pays-Bas. Par la suite, j’ai découvert les romans graphiques.

Photo d'Aimée De Jongh
© Bob Bruyn

Les Amis de Spirou : Ingrid, comment avez-vous commencé à écrire ?

Ingrid Chabbert : J’ai toujours écrit… depuis très jeune, depuis le jour où j’ai appris à écrire. Mais, je n’ai jamais eu d’encouragement. Mes professeurs ou mon entourage m’expliquaient qu’écrire “n’était pas un métier donc il fallait que je cherche autre chose”. C’est un drame personnel qui m’a incité à me lancer… la perte du petit garçon que je portais, en 2009. Pendant mon arrêt longue maladie, je me suis mise à écrire des histoires pour les enfants, celles que j’aurais aimé lire à mon fils. C’est ma compagne qui m’a poussé à envoyer mes histoires aux éditeurs.

Photo d'Ingrid Chabbert
© Dupuis

Les Amis de Spirou : Comment votre collaboration a-t-elle débutée ?

Ingrid Chabbert : J’avais déjà écrit une partie du scénario et monté un dossier toute seule. Je l’ai envoyé à mes éditeurs. Dans le lot, il y avait les éditions Dupuis, Mon éditrice Laurence Van Tricht à beaucoup aimé. On a commencé à chercher une dessinatrice. Je voulais absolument la sensibilité d’une femme pour raconter cette histoire de femmes. J’avais rencontré Aimée quelques mois auparavant à la fête de la BD à Bruxelles. Elle était au top de ma liste. Elle a accepté de lire le scénario.

Aimée de Jongh : J’ai mis un peu de temps pour répondre car j’étais sur « Jours de sable ». J’étais d’accord pour dessiner l’album, mais il fallait que je termine le travail en cours. « Soixante printemps en hiver » est sorti trois ans et demi plus tard.

Couverture de l'album Jours de sable
© Jours de sable – Aimée De Jongh – Dargaud

Les Amis de Spirou : Quelles sont vos impressions d’être publiées dans la prestigieuse collection Aire Libre ?

Aimée de Jongh : Pour moi, c’est très spécial, car il y a beaucoup d’albums de la collection que j’adore : par exemple, « le Photographe ». Il y a une connexion avec « Jours de sable ». Malheureusement, je ne connais que les noms des albums en néerlandais, mais j’aime principalement ceux d’Emmanuel Guibert.

Ingrid Chabbert : Quand j’ai débuté la BD, c’était mon rêve absolu mais inatteignable. J’ai envoyé un premier scénario qui n’avait pas été retenu. Mon éditrice Laurence Van Tricht avait adoré, mais pas le responsable de la collection. Peu de temps après, j’ai envoyé « Soixante printemps en hiver ». Je me souviens. Il devait être vendredi soir entre 18h et 19h. J’ai reçu un message très bref de sa part : « J’adore, c’est oui pour Aire Libre ». J’étais tellement sous le choc que j’ai failli lui répondre que « si c’était une plaisanterie, ce n’était pas trop drôle ! » J’ai été « hystérique » et heureuse tout le week-end.

Photo de l'interview des autrices.
Les autrices pendant l’interview.

Les Amis de Spirou : Quelle a été la source d’inspiration pour écrire cet album ?

Ingrid Chabbert : J’avais envie d’écrire sur une femme, une jeune retraitée. Je me suis souvenue de l’histoire de la maman d’une amie qui avait annoncé à son mari qu’elle le quittait. Ça c’était bien passé pour elle, heureusement. Ses enfants et son ex-mari ont très bien compris. Je me suis rappelée avoir dit à mon amie : « C’est super pour ta maman, parce que je pense que ça se passe rarement aussi bien. » J’ai gardé cette anecdote-là dans un coin de ma tête, puis je me suis servi au moment de chercher une idée. Malheureusement, pour Josy, cela ne se passe pas aussi bien que pour la maman de mon amie.

Les Amis de Spirou : Aimée, comment avez-vous travaillé la recherche des personnages ?

Aimée de Jongh : Le travail de recherches est pour moi une question de sentiments. Je commence par découvrir le scénario. Parfois, les scénaristes me donnent des descriptions des personnages. Avec Ingrid, il n’y avait pas d’indication. C’était libre. Cela me donne beaucoup d’options et de liberté. J’ai dessiné quelques croquis pour Laurence et Ingrid. Très vite, j’ai trouvé comment dessiner Josy. Quand je lis un scénario, les visages m’apparaissent.

Dédicaces sur l'album Soixante printemps en hiver
Dédicace des autrices après l’interview.

Les Amis de Spirou : Est-ce compliqué de s’imaginer dans la peau d’une femme de soixante ans ?

Ingrid Chabbert : Non, car ce que vit Josy, on pourrait le vivre également à notre âge. De tout quitter n’est pas propre à cet âge-là même si les problématiques et les conséquences ne sont pas les mêmes. J’ai laissé Josy me guider et me raconter son histoire : ses peurs, ses joies, ses doutes.

Aimée de Jongh : Les femmes de soixante ans ne sont pas si vieilles que ça. Je connais beaucoup de personnes de cet âge. Elles sont dynamiques, ce n’est pas difficile à imaginer.

Les Amis de Spirou : Est-ce que tous les personnages sont fictionnels ?

Ingrid Chabbert : Alors oui. Certaines dames m’ont demandé si le « Club des Vilaines Libérée » existait vraiment. Je répondais que non, mais “libres à vous de le créer”. Ce club a plu à beaucoup de femmes.

Photo de la séance de dédicace de Soixante printemps en hiver
Ingrid Chabbert et Aimée De Jongh pendant la séance de dédicace à Lausanne

Les Amis de Spirou : Comment se déroule une collaboration à distance ?

Ingrid Chabbert : On est loin l’une de l’autre, mais heureusement on vit à l’époque d’internet et de Skype, ce qui facilite les échanges. Très classiquement, je reçois des planches par courriel et je les commente. J’ai déjà travaillé avec des auteurs bien plus loin, au Canada par exemple. Aimée parle très bien le français donc il n’y a pas la barrière de la langue.

Les Amis de Spirou : Aimée, comment avez-vous appris le français ?

Aimée de Jongh : Je l’ai appris un petit peu à l’école mais principalement par la lecture et la pratique, mais mon vocabulaire est limité à la bande dessinée. Si je dois aller au supermarché, je ne sais pas me débrouiller [rire].

Une planche de Soixante printemps en hiver
© Soixante printemps en hiver – Ingrid Chabbert et Aimée de Jongh – Dupuis

Les Amis de Spirou : Aura-t-on  des nouvelles de Josy dans une suite ?

Ingrid Chabbert : Oui j’aurai  beaucoup aimé écrire une suite, car on me demande souvent ce que Josy devient. Libre à chaque lecteur et à chaque lectrice d’imaginer sa vie. Je lui souhaite le meilleur et de trouver la paix. J’aurai  beaucoup aimé écrire une BD sur Camélia, l’autre héroïne de l’histoire. Cette jeune femme seule avec son bébé. Elle a un caractère fort et il y aurait beaucoup à raconter. C’est mon personnage préféré avec Josy. Je me suis beaucoup attachée  à elle. Elle a 21 ans et doit se débrouiller seule, à l’âge où beaucoup font des études ou font la fête avec les potes.

Couverture de l'album Rosémée
© Rosamée – Berny et Ingrid Chabbert – Dargaud

Les Amis de Spirou : Quels  sont vos futurs projets ?

Ingrid Chabbert : J’ai un projet Aire Libre, mais je ne sais pas encore quand il sortira. J’ai le premier tome d’une série jeunesse qui vient de sortir chez Dargaud, « Rosamée ». Enfin, j’ai aussi un autre projet de série jeunesse chez Dupuis qui sortira fin 2024 en collaboration avec la dessinatrice italienne Luisa Russo.

Aimée de Jongh : Moi, j’ai beaucoup d’idées et de conversation avec des éditeurs, mais je n’ai encore rien de concret. Je suis heureuse d’être en pause.

Propos recueillis par Mathilde et Bruce RENNES

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