Interview de Vincent Dutreuil, dessinateur de Michel Vaillant Légendes
Les Amis de Spirou : Vous faites partie de l’univers de Michel Vaillant depuis 2019. Comment entre-t-on dans l’équipe de cette série mythique ? Était-ce un rêve, un objectif de carrière ?
Vincent Dutreuil : Rien de tout cela ! J’ai eu l’opportunité de participer au dessin de Michel Vaillant car le scénariste Denis Lapière, avec qui j’avais déjà travailler sur d’autres projets, me l’a proposé. A cette époque qui correspond à l’élaboration de l’album « 13 jours », Benjamin Benéteau, le dessinateur, avait énormément de travail et il fallait trouver quelqu’un pour l’aider. J’ai accepté la proposition avec grand plaisir et je ne le regrette pas. J’ai commencé par faire les décors et, dès le début, j’ai été pleinement intégré dans l’équipe avec une vraie place de co-auteur. Le travail avec Denis et Benjamin a été vraiment enrichissant. Au niveau humain, nous nous sommes d’emblée très bien entendu et au niveau artistique, chacun faisait de son mieux, essayait sans cesse de s’améliorer, de faire mieux et d’être à son maximum, surtout que nos styles de dessin se complétaient vraiment bien. J’ai énormément progressé grâce à cela.
Les Amis de Spirou : Michel Vaillant fait-il partie de vos lectures d’enfance ?
Vincent Dutreuil : Non, pas vraiment. Je me suis mis à la lecture de cette série sur le tard, mais quand j’ai commencé à vraiment m’y intéresser, j’ai pu apprécier tout le talent de Jean Graton et toute la richesse de son dessin. On l’a parfois un peu injustement brocardé mais ses albums des années 60 et 70 correspondent à un âge d’or de la BD. Mon album préféré est « Le pilote sans visage », car c’est une œuvre fondatrice de la série, à la fois au niveau du scénario – et notamment pour la profondeur du personnage de Jean-Pierre, le frère de Michel – et au niveau du dessin, où le travail au pinceau de Graton est vraiment excellent. Je possède d’ailleurs cet album en édition collector grand format.
Les Amis de Spirou : L’entretien est fait pour « Les Amis de Spirou ». Pouvez-vous nous parler de votre rapport à ce journal ?
Vincent Dutreuil : Dans mon enfance, je n’étais pas un lecteur assidu de Spirou. J’habitais à la campagne et je n’avais pas la possibilité d’acheter le journal en kiosque, même si j’avais plusieurs recueils du journal. Même si comme beaucoup, j’ai grandi avec les grandes séries Dupuis comme Gaston, mes personnages préférés du Journal étaient Johan et Pirlouit. J’adore cette série que je trouve formidable. Concernant la série « Spirou et Fantasio » j’avoue ne pas avoir tout lu.
Les Amis de Spirou : Quel type de BD vous aimez lire ?
Vincent Dutreuil : Je suis ancien élève de St Luc à Bruxelles, je suis très amateur de BD Franco-belge, mais je ne suis pas cantonné à ce type de bande dessinée en tant que lecteur. Je suis ouvert à tout type d’album, du Comics au Manga, même si je ne suis pas un spécialiste de ce type de BD. C’est toujours enrichissant de découvrir d’autres univers et de voir du travail bien fait.
Les Amis de Spirou : La nouvelle série « Michel Vaillant – Légendes » vient d’être lancée, avec pour but de faire revivre les grandes courses de l’histoire du sport auto. Qui en a eu l’idée ? Le scénariste ? L’éditeur ? Vous ?
Vincent Dutreuil : Les origines de cette série dérivée remontent au tout début de la saison 2 de Michel Vaillant. Dès cette époque Denis Lapière a eu en tête une collection qui ferait revivre les courses mythiques de l’histoire. Denis est pilote et est vraiment passionné par le sport auto. Lorsque cette idée est devenue vraiment concrète, Denis m’a demandé si je pouvais en assurer le dessin. J’ai fait quelques essais pour vérifier que mon graphisme correspondait bien à ce qui était attendu et, comme cela a été concluant, je me suis joins à l’aventure avec plaisir.
Les Amis de Spirou : Votre style graphique est classique, mais assez différent de celui de la série « historique ». Quelle a été votre approche lors de la réalisation de l’album ? Adapter votre style à la série ? Développer votre propre style sans penser au « poids du mythe » ?
Vincent Dutreuil : Ce n’est pas ainsi que j’ai vu les choses. En effet, déjà, il est impossible de dessiner à la façon de Jean Graton, même si pour l’album, j’ai travaillé aux pinceaux, comme Graton l’a fait jusqu’aux années 70. Mon objectif était bien sûr de respecter l’esprit de la série, tout en proposant quelque chose de cohérent, qui corresponde à mon style et qui soit adapté à notre époque. Avec « Dans l’enfer d’Indianapolis », Denis et moi souhaitons être dans l’hommage tout en proposant quelque chose de moderne et ainsi trouver un équilibre à tous les niveaux. Déjà, de façon générale, nous ne pouvions pas reproduire le « gaufrier » classique et très dense du Michel Vaillant des années 60 qui ne convient pas à une BD actuelle : tout en respectant le style, il fallait aérer un peu les pages pour que les lecteurs de 2022 puissent s’y retrouver. Cette logique se retrouve dans des petits détails de fabrication qu’on ne voit pas à la lecture, mais qui ont été importants dans la conception de l’album. Ainsi, nous avons conservé les narratifs propres à la série historique, mais ils sont en une seule couleur, alors qu’ils étaient de couleurs différentes sans raison dans les albums de Graton. Aussi, les bulles sont tracées à la main dans cet album alors que dans la série principale actuelle de Michel Vaillant, elles sont faites de façon informatique.
Les Amis de Spirou : Comment s’organise le travail avec le coloriste François Cerminaro ? Les couleurs sont en effet très importantes dans l’album, notamment pour les planches où la pluie joue un grand rôle.
Vincent Dutreuil : Les couleurs sont effectivement très importantes en bande dessinée et je trouve qu’on ne souligne pas assez l’importance des coloristes. François a fait un travail remarquable, très fouillé et précis sur cet album. Il n’a pas hésité à s’investir pleinement et à y mettre toute son énergie. J’avais donné des indications après avoir fait le dessin et les objectifs étaient très précis. Nous avons ensuite beaucoup échangé et eu des discussions très intenses sur la mise en couleur et au final, tout s’est bien passé. C’est parfois un peu frustrant pour un dessinateur de laisser quelqu’un d’autre assurer les couleurs tant elles sont importantes pour l’album. Cependant, je suis ravi du résultat et de la collaboration avec François.
Les Amis de Spirou : L’album est une fiction, mais reprend beaucoup d’aspect historiques car elle narre les 500 miles d’Indianapolis 1966. Comment avez-vous organisé votre travail de documentation ?
Vincent Dutreuil : La documentation est indispensable pour un album tel que « Dans l’enfer d’Indianapolis ». C’est toujours très chronophage de trouver tous les éléments qui vont permettre à l’album d’être le plus précis possible. Le travail de documentation commence avant de débuter le dessin et se poursuit tout au long de la conception de la BD. Tous les supports sont utilisés, c’est un travail qui peut se poursuivre à l’infini ! Si on prend l’exemple d’Internet, c’est très clairement inépuisable, un peu comme lorsqu’on tire un fil d’une pelote de laine, on ne finit jamais ! Cela peut paraitre frustrant car au final, on utilisera seulement une partie de toute la documentation amassée pendant un certain temps mais moi, j’y prends beaucoup de plaisir. En faisant mes recherches sur cette course d’Indianapolis 1966, j’ai pu voyager dans le temps et dans l’espace et au final, c’était très agréable.
Les Amis de Spirou : La série Michel Vaillant a-t-elle, elle-même, été une source de documentation ?
Vincent Dutreuil : La série historique a bien sur été une source, notamment pour dessiner les Vaillante de l’époque. Dans ses albums, cependant, Graton était dans la création pure et imaginait un scénario de course alors que dans « Michel Vaillant Légendes », nous retraçons une course ayant réellement eu lieu. Nous plaçons cependant dans l’album des clins d’œil à la série dans sa période 60’s et 70’s. On peut, par exemple, voir Michel Vaillant piloter de face ou encore faire un tour du circuit d’Indianapolis en prenant la place du pilote, comme on a pu le faire sur le circuit de Monaco dans le titre « Champion du Monde ». La couverture rappelle aussi l’album « Le cirque infernal ». J’ai aussi tenu à représenter Jean Graton à la fin de l’album pour rendre hommage à ce grand dessinateur qui a été une tête d’affiche de l’âge d’or de la BD et on ne le souligne pas assez. On nous laisse aujourd’hui ses personnages, son univers qu’on peut exploiter avec une grande liberté et c’est vraiment très appréciable de le faire perdurer.
Les Amis de Spirou : Merci pour cette interview ! Pour finir, pouvez-vous nous dire si un tome 2 est en préparation ? Si oui, quelle course de légende va-t-il revisiter ?
Vincent Dutreuil : Le scénario d’un prochain tome est quasiment prêt. Je n’ai pas encore commencé le dessin, mais je vais bientôt m’y atteler. Je ne peux pas encore vous en donner le thème mais je vous confirme qu’il y sera question d’une belle course de l’âge d’or du sport auto !
Propos recueillis par Mathieu DEPIT
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