Auteur invité lors du dernier Lyon BD festival du 13 au 15 juin 2025 dont le fil rouge était « La BD qui raconte le monde », nous avons profité d’une de ses courtes pauses entre conférences, tables rondes et séances de dédicaces pour nous entretenir avec Fabien Toulmé.

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

Les AmBD : Bonjour Fabien, merci beaucoup d’avoir accepté notre demande d’interview. Je crois que vous ne vous destiniez pas vraiment à devenir auteur de BD… Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Fabien Toulmé : Quand j’étais petit, je lisais beaucoup de BD : Tintin, Lucky Luke. Et je crois qu’au-delà de la lecture, j’aimais déjà bien le dessin. En fait je m’arrêtais beaucoup pour regarder comment les dessins étaient faits. Je me souviens que je regardais beaucoup comment Morris dessinait ses personnages. Il y avait un truc assez puissant et immersif dans la lecture de la bande dessinée. Je crois que j’ai su assez tôt que j’avais envie de faire de la BD, pas forcément comme métier, mais que j’avais envie de raconter des histoires dans ce format. J’ai d’ailleurs fait des petites BD avec ma sœur et avec mes copains. En grandissant je n’avais pas forcément conscience du fait qu’on pouvait vivre de la BD. Enfin je savais qu’on pouvait en vivre, mais j’avais l’impression que pour accéder à ça, il fallait quand même avoir un niveau et un talent que je pensais ne pas avoir. Dans mon entourage, je n’avais pas trop d’exemples de gens qui faisaient des métiers artistiques. Et pour finir, j’avais un profil qui était très scientifique, je n’étais pas bon en matière littéraire et j’étais très bon en sciences. L’évidence c’était de choisir médecine ou école d’ingénieur. Je suis donc devenu ingénieur un peu par défaut. Mais j’ai très vite réalisé que je n’aimais pas ce métier. Malgré ça, j’ai quand même travaillé pendant 12 ans comme ingénieur. Au bout de ces 12 ans, je me suis dit : « Bon, je suis relativement jeune. Il me reste un paquet d’années à travailler avant la retraite et je ne me vois pas continuer à être ingénieur tout ce temps ! » Et j’ai commencé à penser sérieusement à faire de la BD.

Je m’étais toujours dit, même quand je suis entré à l’école d’ingénieur, qu’un jour je ferai de la BD. Mais je n’ai pas pris le temps. Tout s’est enchaîné, la vie a avancé… Je me suis alors imposé un rythme pour progresser. Tous les soirs, je me suis forcé à dessiner. Et petit à petit, j’ai pu caser des dessins à droite, à gauche, dans des magazines ou sur des sites Internet.

Quand j’ai estimé que j’avais un niveau correct, je suis allé à Angoulême. Au festival d’Angoulême, il y a des sessions de Speed Editing, ce sont des rencontres auteur – éditeur. Voilà comment j’ai rencontré un éditeur de chez Delcourt et comment j’ai débuté ma carrière.

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

Les AmBD : Dès votre première BD Ce n’est pas toi que j’attendais, j’ai ressenti une sincérité et une sensibilité qui, je trouve, sont votre marque de fabrique. Je me demandais si c’était une volonté ou si cette façon de raconter vous rattrapait ? 

Fabien Toulmé : J’ai l’impression qu’on ne peut pas vraiment choisir la façon dont on écrit. C’est notre style, c’est la façon dont on interagit. C’est difficile de changer son rapport et sa perception aux choses et aux gens. Je ne peux pas analyser ce que je fais, même si, avec le temps je me rends compte que j’écris un certain type de récit. Avec le temps et avec le retour des gens qui me lisent. 

Je crois quand même que j’aime beaucoup les gens et que je suis assez curieux. J’ai une facilité de connexion aux personnes et à leur histoire. Je pense que quand j’écris, que ce soit de la fiction ou de l’interview, il y a un côté projection personnelle et un vrai intérêt. Je pense que c’est ce qui ressort dans mes histoires : ma projection dans la vie ou dans la peau des autres.

Ce n'est pas toi que j'attendais Delcourt couverture

© Ce n’est pas toi que j’attendais – Fabien Toulmé – Delcourt – 2018

Les AmBD : Comment définissez-vous les thèmes dont vous allez parler dans la collection Reflets du monde ?

Fabien Toulmé : Ce sont vraiment des thématiques qui m’interrogent personnellement. Aller enquêter sur ces thématiques, c’est un peu une façon d’y répondre. Pour le premier tome, sur la question des luttes, l’histoire de cette bande dessinée démarre quand je vais à Beyrouth pendant un salon du livre qui est annulé parce qu’il y a une révolution en cours. Au même moment on retrouve des soulèvements populaires dans plein de pays. Et ça m’interroge. Je me demande, ce qui est en train de se passer pour que dans tout un tas de pays il y ait des soulèvements populaires. Qu’est-ce qui rapproche tous ces soulèvements ? Est-ce qu’il y a un lien ? Le contexte local de chaque pays est tellement différent ! Et la deuxième chose qui m’interroge plus, c’est, qu’est-ce qui fait qu’on s’engage dans une lutte ? Être militant, c’est prendre de son temps, de son énergie, voire de sa vie, parce qu’il y a des pays où se soulever, c’est risqué. Tout ça pour un bien commun. Et avec une grande incertitude de résultats.
Concernant le tome 2 qui traite du rapport au travail, c’est un peu ce qui découle de ma trajectoire. Pourquoi je suis devenu ingénieur ? Pourquoi ça n’aurait pas été plus simple de faire directement ce que j’avais envie de faire ? Qu’est ce qui fait que finalement le travail c’est si important ? Pourquoi, quand on rencontre quelqu’un, l’une des premières questions qu’on pose c’est «  Et toi, qu’est-ce que tu fais comme travail ? » C’est, à la fois source d’épanouissement, de plaisir et source de souffrance.

Les AmBD : Comment choisissez- vous les gens que vous allez rencontrer?

Fabien Toulmé : J’ai en tête un sujet. Je me demande dans quel pays je peux aller explorer ce sujet. Par exemple sur le tome 2, celui sur le travail, je sais que j’ai envie de parler du travail pour les plateformes numériques. Je commence par chercher les pays où le développement de cette activité avec les plateformes numériques est le plus important, et éventuellement, les effets sur la vie des gens. J’ai identifié la Corée et j’essaie de définir les profils qui vont venir illustrer le sujet, par rapport à l’histoire que j’ai envie de raconter. Je savais qu’un des corps de métier le plus touché était les livreurs qui travaillent pour Coupang, l’Amazon coréen. Pour la Corée, j’avais fait appel à un fixeur. C’est quelqu’un qui est sur place et qui m’aide à monter mes sujets. C’est lui qui va aller à la recherche des profils que j’ai identifiés, ou alors ça peut être des gens que je croise au hasard, dans la rue. Et quand je parle avec eux, je me dis que leur histoire correspond à ce que je fais. Je pense à un exemple, toujours sur la question du travail. Je voulais interviewer des gens qui travaillaient dans le domaine de la santé aux États-Unis. Mais depuis la France ce n’est pas forcément évident de cibler tel ou tel profil. Donc je suis allé devant un hôpital et j’ai attendu qu’un médecin passe et accepte de répondre à mes questions. Je me suis un peu fait virer du service des urgences d’ailleurs, parce que j’étais rentré dans l’hôpital avec mon micro !

Les reflets du monde Delcourt planche 3

© Les reflets du monde Tome 2 : Et travailler et vivre – Fabien Toulmé – Delcourt – 2024

Les AmBD: Combien de temps restez-vous sur place ? 

Fabien Toulmé : En général, une semaine. Une semaine, c’est bien parce qu’il y a toujours de l’imprévu. Je sais à peu près le nombre de profils et le nombre d’heures d’interviews que je dois faire, mais parfois les gens ne se présentent pas au rendez-vous, d’autres les décalent. Je dois me prévoir quelques jours supplémentaires si jamais ça se passe mal. Et puis si ça se passe bien, j’ai un ou 2 jours pour faire du tourisme ! J’essaye de faire de mes BD un croisement entre le journalisme, le recueil de témoignages et le carnet de voyage. Et j’ai aussi envie dans mes reportages, pas simplement d’aller sur le sujet que j’explore, mais aussi de restituer les ambiances du pays où je suis.  Ça me paraît important quand on lit un sujet, qu’on se sente immergé dans un contexte.

Les AmBD : Commencez-vous le dessin à chaud ou attendez-vous d’être rentré pour mettre des images sur les témoignages ?

Fabien Toulmé : Je fais ce que j’appelle « la technique du chalutier ». C’est à dire que je pars avec un appareil photo, un micro et je prends en photo et j’enregistre tout ce que je peux quand je suis sur place. Au contact direct des gens, c’est difficile d’avoir du recul pour savoir quel passage je vais garder ou quelle situation je vais illustrer. Une fois que j’ai cette matière d’interviews, de vidéos et de photos, je ramène tout à la maison. Je vais ensuite commencer l’écriture du sujet. Je vais déjà retranscrire toutes les interviews. En fait, je fais presque un travail de montage documentaire. Une fois mes passages d’interview sélectionnés, je fais le lien entre tout ça.

Les AmBD : Restez-vous strictement fidèle aux témoignages ou vous permettez-vous de légers ajustement ?

Fabien Toulmé : Sur ce travail de témoignages,  l’idée est de reprendre à la lettre quasiment ce qui m’est raconté. Il y a d’ailleurs un reportage pour la télévision qui avait été fait quand j’étais au Bénin, pour le premier tome des Reflets du monde. Un reporter de TV5 Monde m’avait suivi et avait filmé la façon dont je dont je travaillais. Vous pouvez d’ailleurs retrouver ce reportage sur Internet. Au moment du montage du sujet, il avait fait coïncider la capture son de sa caméra avec le texte de mes bulles et on voyait vraiment la concordance entre les deux.

Les AmBD : Vous avez fait une incursion dans la bande-dessinée jeunesse avec Marilou. Sous ses airs de BD humoristique, Marilou sensibilise les enfants à l’environnement, la différence, le harcèlement, etc… Pourquoi cette envie de s’adresser à la jeunesse ?

Fabien Toulmé : Je pense que chez beaucoup d’auteurs et d’autrices de BD, on retrouve un peu l’idée, quand on a un enfant, de faire des BD pour ses enfants. Bon, il se trouve que le temps je me décide, mes enfants étaient grands et ils n’étaient plus la cible. Mais j’avais en tête de faire une BD pour mes filles depuis longtemps. C’est un peu le fruit d’une rencontre avec Olivier Dutto qui écrit Les petits diables. Ma plus jeune fille, Julia est une fan inconditionnelle de cette série. Je l’ai croisé en festival à Angoulême parce qu’on bosse tous les deux chez Delcourt et je suis allé le voir en disant que ma fille adorait Les petits diables et on est devenus copains. Quand j’ai commencé à réfléchir sur une série jeunesse, je lui ai proposé de travailler avec moi et il a accepté. J’avais envie de faire une série jeunesse parce qu’en dédicace, j’ai souvent rencontré des jeunes lecteurs qui avaient lu L’Odyssée d’Hakim ou ou Ce n’est pas toi que j’attendais. Et je pense que des fois, on a tendance à éviter des thématiques qui peuvent être un peu dures dès lors qu’on passe sur un registre « jeunesse ». Alors que les enfants ont la capacité de les lire et de les comprendre. C’est un peu ce que j’avais en tête quand j’ai commencé à travailler sur Marilou : aborder des thématiques qui peuvent être des sujets sérieux et faire en sorte de proposer des histoires à la fois sympas à lire mais qui abordent quand même des questions importantes.

Marilou tome 2 Delcourt couverture

© Marilou tome 2 : Le voleur d’amis – Fabien Toulmé – Delcourt – 2023


Les AmBD : Quels sont vos projets en cours ?

Fabien Toulmé : On parlait de Marilou et justement le tome 3 est prévu pour fin août et tournera autour de la question de l’environnement. Je viens aussi de terminer une bande dessinée qui s’appelle Ulis et qui raconte la vie d’une classe ULIS. Les Ulis, ce sont des Unités Locales d’Inclusion Scolaire, des dispositifs dans lesquelles des jeunes porteurs de handicap vont pour des temps de d’enseignement adaptés dans des lycées, des collèges ou dans des écoles. Cette BD est un récit choral, avec la trajectoire de chacun des personnages qui sont scolarisés ou qui travaillent dans cette classe. La BD sortira en septembre.
Et je vais également attaquer le tome 3 des Reflets du monde sur un autre sujet.

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

© Emmanuelle DESSEIGNE – 2025

Les AmBD: Est-ce que pour conclure vous auriez un petit mot à dire pour Les Amis de la BD ?

Fabien Toulmé : C’est très touchant de voir que mes BD sont lues, qu’elles plaisent et surtout qu’il y a une espèce de connexion avec les gens. Qu’ après avoir lu une de mes BD, ils vont continuer vers d’autres. D’autres tomes de la même série ou d’autres BD One shot que j’aurais pu faire. C’est assez précieux, quand on construit sa carrière, de voir qu’un certain nombre de lecteurs nous suivent. J’en profite donc pour remercier tous ceux qui m’accompagnent dans mes publications.

Propos recueillis par : Emmanuelle DESSEIGNE

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