Ayant initialement entrepris des études scientifiques et techniques, Chacma a pu s’immiscer dans le milieu de la bande dessinée. Malgré les quelques soucis de communication, il s’est montré très généreusement volubile sur son parcours et son travail lors de cette interview réalisée à l’occasion de la sortie de son dernier album intitulé« Deuxième Bureau ».
Chacma portrait

©Kennes – Chacma

Les Amis de la bande dessinée : Bonjour Chacma, dans un premier temps, pourriez-vous vous présenter, s’il vous plaît?

Chacma : Bonjour, je suis Chacma, je suis scénariste de bande dessinée. J’ai à mon actif une demi-douzaine d’albums publiés. Les premiers sont issus de ma collaboration avec Bertrand Escaich des BeKa, qui ont réalisé entre autres les Studio Danse, Les Rugbymen, Champignac et près d’une centaine d’autres albums. J’ai coscénarisé avec Bertrand des BeKa la série Science Infuse en trois tomes qui a été publiée chez Bamboo, avec Julien Mariolle au dessin et Laurence Croix aux couleurs.

J’ai également participé au tome 3 de L’École des petits montres avec les Beka, paru chez Dupuis, avec Bob au dessin et Maëla Cosson aux couleurs. En scénario « solo », je viens de sortir deux albums, à quelques jours d’intervalle au mois de juin 2024 : MP aux Éditions du Lombard avec Marko au storyboard, notre ami Holgado au dessin ainsi que Léa Chrétien aux couleurs ; et puis le premier tome de Deuxième bureau, une série également historique avec Brice Goepfert au dessin et Fabien Blanchot aux couleurs chez Kennes / Les 3 AS.

Les Amis de la bande dessinée : Au vu de votre parcours, vous avez fait au départ des études scientifiques, qu’est-ce qui vous a amené à devenir scénariste de bande dessinée ?

Chacma : J’ai toujours voulu raconter des histoires depuis mon enfance et mon adolescence. Avant d’être un lecteur de bande dessinée, je suis un grand lecteur de littérature. Ça m’a toujours intéressé d’utiliser des histoires pour faire passer des choses à d’autres personnes, qu’il s’agisse d’émotions ou potentiellement d’expériences.

J’ai opté pour la bande dessinée parce que je trouve que c’est un médium qui détient énormément de possibilités différentes. Il a une forme d’immédiateté au niveau de l’émotion, grâce à la magie du dessin. Je me suis dit que si c’était possible, scénariser des bandes dessinées serait un souhait que je voudrais voir exaucé.

Les Amis de la bande dessinée : On peut dire que le souhait a été en grande partie exaucé ! Comment êtes-vous parvenu à entrer dans le milieu de la bande dessinée et à devenir scénariste ?

Chacma : C’est un peu long peut-être à expliquer mais ça fait maintenant une dizaine d’années que je scénarise. J’avais déjà un scénario qui avait été accepté par une grande maison d’édition en 2010 ou 2011… La bande dessinée est un milieu riche, un magnifique microcosme, mais il faut que beaucoup d’éléments s’enchaînent pour qu’on puisse parvenir à une publication. En tant que scénariste, lorsqu’on écrit une histoire, il faut d’abord trouver quelqu’un pour l’illustrer ainsi qu’un éditeur intéressé. Il faut également revoir sa copie parce que, que ce soit au niveau de l’éditeur ou du dessinateur potentiel, il y a souvent des éléments à modifier ou alors il faut parfois s’adapter au style de la personne avec laquelle on a envie de travailler.

J’ai eu quelques éditeurs qui ont choisi de me faire confiance mais pour différentes raisons, les projets n’ont pas abouti par exemple lorsque Glénat Bénélux a été arrêté. Et les projets entamés n’ont finalement jamais été concrétisés, dommage car il y avait je pense de bonnes idées.

Et puis, j’ai rencontré Bertrand des BeKa à Angoulême et nous avons discuté du scénario du tome 1 de Champignac et surtout du décryptage de la machine Enigma par les scientifiques anglais. Bertrand a directement compris que j’avais des connaissances dans le domaine scientifique et celui de la narration en bande dessinée. Comme il caressait depuis longtemps l’envie de traiter de vulgarisation en bande dessinée (il est lui-même diplômé en physique), il m’a proposé une collaboration, ce que j’ai été ravi d’accepter !

Les Amis de la bande dessinée : Justement, vous avez commencé par la vulgarisation et par la suite, vous avez accompli votre grand rêve qui était de faire des récits de fiction.  Que ce soit dans votre dernier album Deuxième bureau ainsi que MP, il y a toujours un peu un rapport avec la Seconde Guerre mondiale. Est-ce une période qui vous intéresse particulièrement?

Chacma : MP et Deuxième Bureau parlent effectivement de la Seconde Guerre mondiale, mais à des moments très différents. Plus globalement, j’ai un goût pour l’Histoire parce ce qu’elle nous permet, à partir du moment où on l’étudie un tout petit peu, d’éviter de refaire parfois des erreurs qui ont été commises par le passé. L’Histoire n’est pas uniquement remplie que de mauvaises expériences bien entendu, il y a des choses magnifiques qui se sont produites, mais je trouve que c’est un domaine où on a encore beaucoup à apprendre. Puis l’avantage de la bande dessinée par rapport à d’autres médiums, comme les séries ou les films, c’est que grâce au talent d’un dessinateur, on peut faire revivre de magnifiques scènes historiques qui demanderaient des budgets colossaux sur les écrans. Bravo aux artistes !

Deuxième Bureau Kennes Chacma couverture

© Kennes – Deuxième Bureau tome 1 : Le Magnétron – Chacma et Goepfert

Pour ma part, j’ai abordé la Seconde Guerre mondiale car j’avais un projet avec Olivier Speltens. Voyant son talent pour cette période, je me suis mis à travailler cette thématique historique mais en cherchant un angle nouveau et qui me passionne, tout en espérant transmettre cette passion aux lecteurs, plutôt que d’aborder un sujet que tout le monde connaît. Après pas mal de recherches, j’ai donc bâti le scénario de MP tout en sachant qu’Olivier Speltens prospectait de son côté avec son récit de L’Armée de l’ombre. Comme il l’a signé chez Paquet et qu’il n’avait pas besoin de moi vu qu’il faisait un superbe travail en solo, j’ai gardé mon idée de MP tout en continuant à la peaufiner avant de trouver de nouveaux partenaires.

Deuxième Bureau Kennes Chacma planche 3

© Kennes – Deuxième Bureau tome 1 : Le Magnétron – Chacma et Goepfert

Deuxième bureau a connu une trajectoire semblable. Le sujet m’a été proposé il y a huit ans par Bruno di Sano : il voulait prolonger la série L’aviatrice qu’il avait réalisée avec François Walthéry et Etienne Borges. Il n’était pas question pour moi de spolier Etienne ni François non plus, je suis donc reparti de l’ambiance de l’album, tout en accentuant l’espionnage avec de nouveaux personnages. Pour les lecteurs que cela amusera, ils pourront se rendre compte que Deuxième bureau peut être lu comme une forme de prolongation de ce qui se déroule à la fin des deux tomes de L’Aviatrice, mais en restant dans un giron beaucoup plus français, ou en tout cas franco-allemand. Je voulais ramener cette partie de l’Histoire sur une période qui m’a toujours intrigué, à savoir la seconde moitié des années 30. Une période que je trouve passionnante et à la fois méconnue alors qu’on y trouve les ferments de la Seconde Guerre mondiale. Partant de la demande de Bruno di Sano, j’ai rapidement écrit les premières pages, mais pour différentes raisons, ça n’a pas pris. Comme d’habitude, je garde les histoires que j’ai débutées et j’essaie de continuer à les travailler afin de les proposer à d’autres personnes. Un récit à la base imaginé pour un dessinateur au trait plutôt humoristique, a été transposé ici dans une atmosphère beaucoup plus réaliste avec Brice Goepfert mais en soi, les scénarios et dialogues des 4 premières pages n’ont pas changé.

Deuxième Bureau Kennes Chacma planche 4

© Kennes – Deuxième Bureau tome 1 : Le Magnétron – Chacma et Goepfert

Les Amis de la bande dessinée : Vous parliez de l’aspect historique de Deuxième bureau, sans oublier tout l’aspect technique aussi, ça demande un travail de recherche en amont ?

Chacma : Il n’y a pas un peu de travail en amont.. Il y en a énormément ! (rires) C’est peut-être la difficulté de raconter quelque chose qui a trait à l’Histoire et d’essayer en tout cas d’être innovant par rapport à tout ce qui s’est déjà fait en bande dessinée ou ailleurs. J’ai lu des ouvrages techniques de l’époque concernant l’aviation, les radars et l’astronavigation des années 1930, à mille lieues de notre technologie actuelle. Puis j’ai avalé des dizaines de témoignages pour comprendre comment se déroulait la vie des espions, quels étaient la réalité de l’époque, les dangers, les gadgets, les forces en présence, etc. Ce sont des choses que l’on ne peut pas inventer, en tout cas pas dans une série que l’on voulait historique.

Deuxième Bureau Kennes Chacma planche 5

© Kennes – Deuxième Bureau tome 1 : Le Magnétron – Chacma et Goepfert

Je souhaitais vraiment apporter une forme de témoignage par le biais des deux héroïnes à l’avant-plan de Deuxième bureau, même si je maintiens une partie fictive. Le diptyque de Deuxième bureau se déroule en 1936. Le premier tome qui est paru en juin traite de la première partie de l’année. Je ne commence pas par le 1er janvier, parce que c’était complètement inintéressant narrativement parlant, mais je débute avec ce que je considère comme la première action militaire d’Hitler, à savoir le remilitarisation de la Rhénanie et je déroule ensuite les faits historiques jusqu’en juin 1936. Le tome 2 va commencer très précisément le 1er août 36 et se dérouler jusqu’à la fin de l’année environ. Je désire montrer au lecteur qu’il s’est passé plein de choses durant cette année, en termes historique, militaire, mais aussi de société, avec les bouleversements politiques qui ont eu lieu en France et en Espagne, puis leurs conséquences.

Deuxième Bureau Kennes Chacma planche 6

© Kennes – Deuxième Bureau tome 1 : Le Magnétron – Chacma et Goepfert

Les Amis de la bande dessinée : Un scénario qui est historiquement fondé et très riche ! Quand vous parlez de toute cette documentation, je suppose qu’elle ne sert pas uniquement à vous, qu’elle sert également au dessinateur, pour qu’il puisse mettre en image tout ce contexte ?

Chacma : Je me base énormément sur des livres, soit ceux que je possède dans ma propre bibliothèque bien achalandée, soit ceux provenant d’autres bibliothèques que j’ai trouvées ou encore ceux que j’achète. De là, je vais extraire des photos d’époque, soit des schémas techniques. Deuxième bureauresteune série d’aviation mais je ne voulais pas marcher sur les plates-bandes de Yann plus expert que moi dans ce domaine. Je me suis alors plus intéressé aux radars, une invention qui a bouleversé le cours de la Seconde Guerre mondiale.

Pour donner les bonnes informations visuelles au dessinateur Brice Goepfert, j’ai travaillé de deux façons : d’une part j’ai été sur place pour photographier les lieux et les bâtiments nécessaires, ce que j’ai fait pour toutes les séquences qui se déroulent à Metz ou à Paris ; et de l’autre, je me base sur des photos d’époque, ce qui demande aussi un gros travail de recherche. Par exemple, la première planche du tome 2 de Deuxième bureau se déroule sur la Place Saint-Louis de Metz et j’ai recomposé la totalité de la place avec le nom de chaque commerce au mois d’août 1936. Au total, il y a dix pages de scénario avec des photos et des références pour expliquer à Brice qui est très pointilleux quels sont les angles de vue et les bâtiments qui ont bougé, l’ancienne ligne de tram, etc. Tout ce travail ne sera pas visible du premier coup d’œil pour le profane, mais nous voulions commencer notre histoire du bon pied, c’est-à-dire avec une documentation très solide pour montrer qu’on n’allait pas inventer n’importe quoi.

Les Amis de la bande dessinée : La reconstitution est fondamentale pour favoriser l’immersion dans l’époque. Ici, en parlant d’immersion visuelle, avec votre dessinateur, lui donnez-vous des instructions très précises sur la composition des images, les angles de vue, ou bien lui laissez-vous une certaine liberté pour agir ?

Chacma : Je laisse toujours la liberté au dessinateur, parce que je ne suis que le script-boy d’un film qu’il tourne et réalise. C’est lui qui fait le casting, anime et dirige les acteurs, il va s’occuper de la photographie et des lumières. Pour faire la comparaison entre la bande dessinée et le cinéma, l’album est un film qui se déroule dans la tête du dessinateur : il en prend “des clichés” pour pouvoir animer et réaliser la bande dessinée. Faire naitre ces images dans leurs têtes dépend d’un dessinateur à l’autre. Certains vont demander à disposer d’informations plus précises, d’autres ne vont pas du tout aimer ça. Le plus important, c’est que le dessinateur puisse s’amuser et mettre un maximum de passion dans sa page parce que cette passion va se transmettre au lecteur. Je dois donc proposer tout en laissant le dessinateur disposer. Ici, pour Brice, je fais parfois des schémas d’une pièce, une découpe case par case et de temps en temps une proposition de cadrage, tout en sachant qu’au final, il fera ce qu’il voudra, ce qui sera très bien. Je ne fais donc que fournir les matériaux de départ pour qu’il puisse disposer de cette liberté artistiquement parlant.

Les Amis de la bande dessinée : Avez-vous déjà eu des dessinateurs que vous deviez plus orienter ou est-ce toujours le même contrat de travail, vous êtes le scénariste et eux, ils mettent en image comme un réalisateur ?

Chacma : Chaque dessinateur est différent comme chaque personne est différente et en même temps, ça dépend aussi de la carrière du dessinateur. Je pense qu’on apprend à se connaître en tant que personne comme on apprend à se connaître en tant qu’auteur et comment on travaille dans de bonnes conditions.

Personnellement, je crois que la magie et l’efficacité proviennent toujours du dialogue lorsque plusieurs auteurs sont réunis. Je ne me contente pas d’envoyer une page scénarisée et lui de son côté de se dire : « Bon, je dois dessiner ça ». Ce qui est vraiment intéressant, naît à partir du moment où il y a eu réception, qu’on puisse discuter et dire : « Ça c’est une fausse bonne idée, parce que ça ne fonctionne pas par rapport à la façon dont je vais le dessiner » ou « Ceci, on va laisser tomber ». Ou encore, quand une information écrite dans un dialogue est reprise dans le dessin, je vais l’enlever du dialogue pour éviter que le lecteur ait une double information redondante qui va casser le rythme. Ou, au contraire, il y avait une information qui était pertinente dans le dessin et que pour finir, cela n’apparaît pas pour une question de cadrage, de place ou de composition de page, je vais alors la rajouter dans le dialogue. Pour finir, c’est en discutant avec le dessinateur, qu’on produit plus d’effet dans chaque page plutôt qu’uniquement dessiner quelque chose qui a été scénarisé.

Les Amis de la bande dessinée : Dans votre travail et dans vos différents projets, choisissez-vous vos dessinateurs ou vous sont-ils recommandés par une connaissance ou par un éditeur ? Comment procédez-vous ?

Chacma : Je pense qu’un scénariste qui a une excellente réputation va pouvoir profiter de pas mal de demandes de dessinateurs ou d’éditeurs. Moi, je suis encore un tout jeune scénariste donc il s’agit à chaque fois de rencontres ou de personnes qui m’ont été présentées par d’autres auteurs en disant « Tiens, on sait que tu cherches des dessinateurs et en même temps, on connaît un dessinateur qui cherche un scénariste, est-ce que vous pourriez faire quelque chose ensemble ? ». Je n’ai pas encore eu d’éditeur qui m’a vraiment conseillé de travailler avec un dessinateur, c’est plutôt nous qui arrivons avec un projet.

Les Amis de la bande dessinée : Vous dites être un grand lecteur de bande dessinée, y a-t-il un genre de prédilection qui vous a marqué et influencé dans votre carrière ?

Chacma : Très honnêtement, non. Je pense que je suis quelqu’un de très éclectique dans tout ce que je lis, en tout cas en bande dessinée. Je suis un grand lecteur mais je ne m’inspire jamais de ce que les autres ont fait. J’essaie au contraire de profiter de ces références pour proposer quelque chose de différent aux lecteurs. Il y a des choses que je n’arriverais pas à scénariser alors qu’elles vont paraître évidentes pour d’autres. J’ai des envies, par exemple, de romans graphiques, avec des histoires très autobiographiques, mais je ne sais pas si je vais les concrétiser un jour ou l’autre. Pour l’instant, je suis plutôt dans un mode franco-belge qui me convient bien, en tout cas avec les personnes avec lesquelles je travaille, même si on a évoqué un moment des formats plus petits avec des paginations plus denses.

Les Amis de la bande dessinée : En dehors de la bande dessinée, pratiquez-vous un hobby, un sport, une activité créative ? 

Chacma : Non, j’aime m’investir dans ce que je fais, et je m’y consacre pleinement, presque compulsivement. (rires)

Les Amis de la bande dessinée : La bande dessinée, c’est vraiment votre cœur d’activité.

Chacma : J’ai un « véritable » travail en plus de ma passion de scénariste, ainsi que d’autres activités également liée à la bande dessinée. J’ai surtout une famille, plusieurs enfants dont un  handicapé qui me prend énormément de temps. Il ne me reste donc plus beaucoup de temps libre.

Les Amis de la bande dessinée : Pour conclure, un petit mot pour les Amis de la BD?

Chacma : J’espère que ces quelques éléments sur mon travail ont intéressé le groupe des Amis de la BD et qu’ils leur ont donné envie de découvrir les albums par eux-mêmes si ce n’est pas déjà fait.

Propos recueillis par : Stéphane Triquoit

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