Interview avec Sylvain Ferret, auteur de Mémoires de Gris
Après avoir chroniqué « Mémoires de Gris » édité chez Delcourt en octobre 2024, nous souhaitions échanger avec l’auteur, afin de comprendre tous les dessous de cette histoire. Ainsi, nous avons pu interviewer Sylvain Ferret.

©Chloé Vollmer – Photo de Sylvain Ferret
Les amis de la BD : Bonjour, merci d’avoir accepté cette interview. Pourriez-vous nous raconter comment en êtes-vous arrivé à la publication de cet album, en nous partageant votre parcours et vos études ?
Sylvain Ferret : J’ai commencé la bande dessinée assez tard. J’ai eu un parcours scolaire plutôt chaotique avec un échec en seconde. Par la suite, je suis allé en apprentissage dans la production graphique. J’ai un peu travaillé dans ce domaine pour des entreprises de marquage publicitaire, sur des chantiers… J’étais principalement dans l’aspect technique, durant une dizaine d’années en comptant mon apprentissage.
Néanmoins, le dessin a toujours fait partie de ma vie. Je dessine depuis gamin, j’ai toujours eu cette envie de faire de la bande dessinée. C’est pourquoi, dès que j’en avais le temps, les soirs, les week-ends, je dessinais sans cesse. C’est vers mes 16-17 ans que j’ai commencé à monter des projets pour la BD.
Lorsque je suis arrivé à Toulouse vers mes 15 ans, j’ai rencontré des auteurs, qui m’ont aidé, conseillé, soutenu. Ils me faisaient des retours. Cela m’a permis de gagner un peu en légitimité et de créer des projets.
En 2017, je rencontre Alexie Durand par l’intermédiaire de mon ex-femme. Elle avait fait des études de lettres et souhaitait écrire des histoires. C’est ainsi que je lui propose d’écrire un scénario de BD. Elle réalise un premier scénario qui s’appelle « Les Métamorphoses de 1858 », on monte alors un projet de bande dessinée. C’est avec cet album que je deviens auteur pour la première fois. La BD parait en 2019, ce sera une trilogie.
Ensuite, je me lance en tant qu’auteur complet avec la série « Talion » éditée chez Glénat. En même temps j’ai écrit un scénario de manga que j’ai fait avec un coauteur chez Delcourt, « L’ombre de moon » (écrit et storyboardé). De fil en aiguille je continue d’écrire et je propose ce projet chez Delcourt « Mémoires de Gris », 7 ans après avoir commencé la bande dessinée. Et en ce moment, je suis sur une nouvelle série.
Les amis de la BD : On peut constater qu’en quelques années vous avez pu développer un certain nombre de projets !Pour Mémoire de Gris, pourquoi vous êtes vous inspiré du Moyen Age avec les croisades et l’obscurantisme religieux dans un univers qui fait penser à un Robin des Bois macabre ?
Sylvain Ferret : Oui en effet, c’est l’idée de base. Initialement, c’était une adolescente admirative de Robin des bois, je ne sais pas vraiment pourquoi. Je souhaitais déconstruire un personnage, casser un mythe, casser une légende. Je voulais montrer ce que nous faisions de nos légendes, comment étaient-elles transmises, réadaptées, en fonction de la morale de l’époque. J’ai choisi Robin des Bois pour cela. La première essence du projet s’appelait Robin des Bois. Le projet avançant, je m’éloignais de plus en plus de Robin des Bois, le sujet changeait, devenait plus profond. Le premier but, était vraiment de parler de lutte de classes puis après je me suis rendu compte que je parlais plus de la notion de liberté et de violence, de la relation entre les deux. Avec mon éditeur, on a réfléchi aux personnages de Robin des Bois, nous nous sommes dit que ce serait bien de s’en éloigner encore plus et de n’en laisser que des petites traces et de créer un monde original. Mais il s’agit clairement d’une adaptation éloignée de Robin des Bois. C’est pourquoi j’ai choisi l’époque médiévale. Même si dans « Mémoires de Gris » je n’évoque pas le terme de croisades. Je parle de guerres à l’étranger. Tout est plus mystique parce qu’il y a eu la surcouche fantastique qui s’est ajoutée. Le fait de choisir des lieus inconnus, cela permettait de créer un lexique qui allait bien avec le fantastique.

©Delcourt, 2024 – Mémoires de Gris – Sylvain Ferret
Les amis de la BD : Robin des Bois est un indémodable ! A présent, pourriez–vous nous expliquer comment s’est déroulée la création de l’album ? Y a-t-il eu des complications ou difficultés particulières ? Comme le fait d’avoir jonglé entre le passé et le présent tout au long de la BD.
Sylvain Ferret : Dans l’album, il y a à peu près un tiers qui est du flash-back. Tous les flash-backs sont dessinés en dessins traditionnels, alors que tout le reste, c’est du numérique. Il y a une différence de traits entre les deux. C’était un parti prix esthétique, mais cela n’a pas vraiment était une difficulté. Je n’ai pas vraiment vécu de moments compliqués dans le processus de réalisation. Sur l’écriture, il y a eu un peu de retravail des dialogues avec un bon accompagnement de mon éditeur parce que je manquais un peu d’expérience là-dessus. Mais le scénario a été accepté très vite, c’était un coup de cœur de mon éditeur.
Niveau création ce qui a été compliqué, c’était de changer de format parce que je souhaitais sortir du grand format traditionnel 24-32 et je voulais travailler avec une grande pagination et une histoire complète en un seul volume. Il faut savoir que dans l’édition, on nous donne à peu près la même chose pour faire 60 pages que pour en faire 230. Il faut donc trouver un modèle technique qui permette de réaliser les 230 pages dans le même temps que ce qu’on met pour en faire 60. J’ai fait des compromis sur les dessins, les détails que je pouvais y mettre, la manière dont j’allais aborder la couleur. Il y a eu une réflexion là-dessus, mais cela n’a pas été une grande difficulté, avec quelques essais j’avais fait mes choix. J’admets que j’ai eu un petit coup de stress pour l’écriture, je craignais de ne pas respecter les délais, mais finalement j’ai mis moins de temps que prévu.
Les amis de la BD : D’accord, donc surtout des questions techniques à prendre en compte.A travers « Mémoires de gris » quel était votre objectif, que souhaitiez-vous transmettre aux lecteurs/lectrices ? Quelle morale aimeriez-vous que l’on retienne après cette lecture ?
Sylvain Ferret : L’album parle d’un sujet frontal : le rapport entre la liberté et la violence. J’ai écrit cette intrigue durant la période des gilets jaunes, en regard de la manière dont on exposait la violence dans la rue et qu’on n’opposait pas à une violence politique ou morale ou à une violence de l’ordre, ce qui m’avait beaucoup interpellé. C’est ainsi que j’ai décidé d’explorer cette thématique avec la volonté de créer des personnages ambivalents, et non manichéens. J’ai vraiment essayé de créer des contradictions morales, chez chacun des personnages surtout celui de Marion qui est le personnage principal de la BD. C’est une femme seule à cette époque, abandonnée par son compagnon pour des raisons tragiques et qui va devoir le ramener à la vie parce qu’il revient mort de la guerre, c’est ainsi que commence l’histoire. Marion devra surmonter plein d’épreuves et de difficultés tout au long de sa vie, notamment la violence des hommes. D’ailleurs pour s’en défaire elle va devoir elle-même choisir la violence. Tout cela va la mettre dans de grandes contradictions. L’idée est de faire ressentir aux lecteurs et aux lectrices, ces contradictions et ces ambivalences avec cette lutte morale intérieure pour amener de l’émotion. Ce qui m’émeut dans ce personnage, c’est le fait d’arriver à ressentir de l’empathie pour sa violence, et je pense que c’est ce que raconte un peu la morale de l’histoire en tout cas de son sujet. J’ai surtout souhaité relever des questions plutôt que de donner des réponses : est-ce que la violence peut être légitime pour obtenir sa liberté ? Quelles violences sont moralement compliquées à comprendre a contrario de celles qui sont soutenues et entendues ?

©Delcourt, 2024 – Mémoires de Gris – Sylvain Ferret
Les amis de la BD : Si cela peut vous rassurer l’intrigue amène beaucoup d’émotions et de questionnements. J’admets personnellement qu’à la fin de cette lecture, j’étais dans une espèce de mélancolie.
Sylvain Ferret : (Rire) Je ne sais s’il faut que je dise merci, mais oui c’était un peu le but de l’intrigue, c’est une tragédie. C’est un concept qui nous amène vers cette forme de mélancolie que moi j’apprécie tout particulièrement avec un côté un peu crépusculaire, angoissant et oppressant. Donc j’espère que cela apporte un peu d’émotions.
Les amis de la BD : (Rire) Il y en a eu je peux vous l’assurer. Avant de se dire au revoir pourriez dire un petit mot pour les amis de la BD.
Sylvain Ferret : J’avoue que je ne sais pas quoi dire directement. Mais en tout cas, cela fait toujours plaisir d’être lu et d’être chroniqué. De plus, la plupart des retours sur « Mémoires de Gris » sont très bons donc moi je suis juste content que le livre existe, qu’il continue de vivre en librairies, donc merci beaucoup.
Les amis de la BD : Merci d’avoir permis cet échange, merci pour votre temps.
Sylvain Ferret : Pas de soucis et merci beaucoup.
Propos recueillis par : Manonn’ des Sources
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