Interview avec Philippe Charlot

Le scénariste Philippe Charlot a accepté notre demande d’interview à l’occasion de sa tournée, le Delta Blues Tour qu’il propose en parallèle de son album Delta Tour Café. L’occasion pour nous de discuter de son travail de scénariste, de son œuvre et de son actualité.

Emmanuelle Desseigne et Philippe Charlot Delta Blues Tour

©Emmanuelle Desseigne

Les amis de la BD : Bonjour Philippe. Merci d’avoir accepté cet entretien pour Les Amis de la BD.

Pour commencer, pourrais-tu nous parler un peu de toi, de ton parcours ? Comment es-tu devenu scénariste de BD ?

Philippe Charlot : Il y a une douzaine d’années de cela, j’ai retrouvé par hasard un musicien que j’avais rencontré bien des années auparavant, qui entre temps avait fait deux ou trois albums de BD. Il n’a pas continué dans cette voie, mais lors de cette conversation il m’a avoué qu’il avait toujours pensé que je devrais écrire des scénarios de BD. J’aurai dû oublier cette conversation, mais quand je me suis réveillé le lendemain matin, j’y pensais sérieusement ! Alors j’ai pris contact avec quelques auteurs de BD habitant comme moi à Pau. Ils m’ont accueilli très gentiment et m’ont donné quelques conseils.

Philippe Charlot photo Emmanuelle Desseigne

©Emmanuelle Desseigne

Trois mois plus tard, je me suis rendu au Festival d’Angoulême avec une jeune dessinatrice (qui n’a pas poursuivi dans cette voie). On a été reçu par trois éditeurs que j’avais contactés en amont par mail au dernier moment. Tout cela s’est fait tellement simplement que parfois, quand j’y repense je suis un peu gêné pour les jeunes auteurs qui galèrent pendant des années. Ce premier projet qui s’appelait Casa Francessa n’a pas été retenu mais ces rencontres avec les éditeurs ont été très riches. J’ai peaufiné mon écriture de scénario tout d’abord en lisant beaucoup et ensuite en faisant des recherches sur les forums de BD pour bien intégrer les codes de ce milieu que je connaissais mal.

Six mois après mon passage à Angoulême, j’avais signé 3 projets. J’ai eu beaucoup de chance de me présenter avec des projets qui ont plu. Le premier, c’était Bourbon Street, une BD qui se passe dans le milieu du jazz, un monde que je connais bien. J’ai signé pratiquement en même temps une série en 3 tomes chez Dargaud qui s’appelait Karma Salsa et un projet chez BDmusic. C’est à cette époque aussi que Midam cherchait des scénaristes sur la série Game Over et j’ai écrit quelques gags en une planche. 

Bourbon Street Philippe Charlot et Alexis Chabert couverture

© Bourbon Street – Philippe Charlot – Alexis Chabert – Bamboo / Grand angle – 2018

Les amis de la BD : Quand on regarde ta bibliographie, deux thèmes ressortent assez nettement : la musique et l’Amérique. D’où te vient cette appétence pour ces sujets ?

Philippe Charlot : Pour moi, les deux sont intrinsèquement liés : les musiques que je pratique le plus sont celles du Sud des États-Unis. Je me suis rendu compte qu’en parlant de choses que je connaissais bien, j’étais plus crédible auprès des éditeurs. Quant à l’Amérique, le thème revient tout seul sans même que j’y réfléchisse. Je tiens à souligner que la moitié des albums que j’ai écrit ne se passe pas aux États-Unis ! (rires) Mais c’est vrai que la série Le train des orphelins a bien marché et a eu plus d’impact que, par exemple, Phare Ouest mon one-shot qui se déroule en Bretagne et qui est passé assez inaperçu. J’aime beaucoup les États-Unis pour ses grands espaces, son peuplement, l’immigration. L’histoire de ce pays et ce qu’elle symbolise me touche beaucoup.

Philippe Charlot

©Emmanuelle Desseigne

Quand j’ai présenté mon projet Casa Francessa, je me disais que si j’arrivais à devenir scénariste de BD, j’écrirais sur l’Amérique du Sud… et finalement j’écris sur l’Amérique du Nord ! (rires) J’ai réussi à faire un projet qui se passe en Amérique du sud à Buenos aires : Gran Café Tortoni. Il faut aussi avouer que les éditeurs sont moins frileux quand je leur propose une histoire d’orphelins envoyés au Far West qu’avec une histoire qui se situerait en Patagonie, par exemple.

Les amis de la BD : La BD Delta Blues Café lie ces deux thèmes. Comment t’es venue l’idée du scénario ?

Philippe Charlot : J’avais pris beaucoup de plaisir à écrire Bourbon Street et à parler musique, de pouvoir évoquer mes références, à parler de choses qui me passionnent. Ça m’avait beaucoup plu ! Cependant, je ne voulais pas être enfermé dans une image de scénariste qui ne parle que de musique, alors je me suis diversifié et j’ai mis du temps à revenir à ce thème. Pour moi Delta Blues Café est dans la filiation directe de Bourbon Street au même titre qu’Ellis Island est dans la veine du Train des Orphelins.

Le train des orphelins Philippe Charlot et Xavier Fourquemin couverture

© Le Train des orphelins – Philippe Charlot – Xavier Fourquemin – Bamboo / Grand Angle – 2012

J’ai eu la chance de jouer de temps en temps avec un fantastique duo de musiciens de blues. En discutant avec eux des trajectoires de vie incroyables des pionniers du blues, j’ai eu envie d’en apprendre plus, je me suis documenté et c’est comme ça qu’est née l’idée et l’envie d’écrire Delta blues Café.

Delta Blues Café Bamboo Grand Angle planche 12

© Delta Blues Café – Philippe Charlot – Miras – Bamboo / Grand Angle – 2024

Les amis de la BD : La colorisation donne beaucoup de chaleur à la BD. Est-ce une proposition de Miras, le dessinateur ou une demande de ta part ?

Philippe Charlot : Miras a un trait fantastique, il suffit de voir ses story-boards et ses rushs, mais la couleur, c’est vraiment son truc, son point fort. Il adore faire de la BD mais je pense qu’il aurait pu être peintre ! Je savais que ce projet j’allais le faire avec lui : je lui en avais parlé en amont et il était intéressé. Je savais aussi qu’il allait mettre beaucoup de chaleur dans ses couleurs alors je m’en suis servi pour en faire un petit ressort scénaristique où le vieux professeur grincheux regrette que tous ceux qui sortent des films, des livres, des BD sur le blues se sentent obligé de le faire en noir et blanc. Et bien nous, on a fait ça en couleur ! (rires)

Delta Blues Café Bamboo Grand Angle planche 26

© Delta Blues Café – Philippe Charlot – Miras – Bamboo / Grand Angle – 2024

Les amis de la BD : En complément de cette BD tu proposes une conférence musicale : Le Delta Blues Tour. Tu as eu envie de lier tes deux passions ?

Philippe Charlot : Je n’ai pas écrit Delta Blues Café en me disant que j’allais monter en parallèle une conférence musicale, mais l’envie d’allier les deux m’est venue assez vite. Je sais que les festivals, les bibliothèques et les médiathèques sont assez preneurs de ce genre de projets transversaux qui lient le livre, la musique, la narration et la représentation publique. A travers cette « causerie musicale » je réunis quelques-unes de mes petites compétences. En additionnant ces petites compétences les unes aux autres, cela finit par faire une bonne moyenne de mes expériences qui me permet de proposer ce spectacle aux endroits dédiés à ce type d’actions.

Philippe Charlot et le Delta Blues Tour

©Emmanuelle Desseigne

Les amis de la BD : Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?

Philippe Charlot : Tout d’abord, j’ai travaillé sur une BD intitulée La chandelle du bon roi Henri qui sortira au printemps 2025 chez Grand Angle. Elle est dessinée par Eric Hubsch, avec qui j’avais déjà collaboré pour Le royal fondement. Comme sur notre précédent album, ce sera une BD historique, toujours un peu dans le thème médical. C’est une farce avec un jeune ingénu amoureux d’une jolie fille et un roi dans l’embarras. Cet album fait référence aux films de cape et d’épée de mon enfance.

Le royal fondement Bamboo Grand Angle couverture

© Le Royal fondement – Philippe Charlot – Eric Hubsch – Bamboo / Grand Angle – 2023

J’ai travaillé aussi sur un deuxième album, toujours chez Grand Angle, avec Marko au dessin. Marko est du Pays Basque et j’habite dans le Béarn : on voit les même montagnes des Pyrénées depuis nos fenêtres. Notre BD, La formidable aventure des frères Flanchinsera en couleur directe, à l’aquarelle. Marko a fait un travail formidable ! L’histoire se passe à la fin de l’Ancien Régime. C’est un récit initiatique de jeunes frères qui vont quitter la maison de leur père qui a une vision très noire du monde suite à ce qu’il a vécu à la guerre. Ils vont partir à l’aventure tous les deux et vont croiser la route d’un ours et d’un Indien de Nouvelle France perdus là, dans les Pyrénées. Tout ce petit monde va partir en file indienne : un gendarme qui poursuit un père qui est sur les traces de ses deux fils qui suivent un indien qui protège un ours.

L’année prochaine va sortir, également chez Grand angle, Alaska le dernier Far-West avec TieKo au dessin. Je me suis cassé un bras il y a deux ans et j’ai passé des après-midis coincé chez moi à regarder des documentaires sur la vie en Alaska… et j’ai trouvé ça fascinant ! J’en ai fait une histoire, plutôt féminine. Il y a beaucoup d’hommes au début, mais ils meurent tous avant la fin.

Et enfin, chez Dargaud Bénélux cette fois, j’ai un projet qui va certainement s’appeler Le vieil homme, la jeune fille et la mer. C’est une digression sur la vie d’Ernest Hemingway. J’ai choisi un petit moment de sa vie où il était un peu en recul sur sa carrière quand il vivait à Key West, dans le sud de la Floride. La vie de famille ne lui réussit pas trop et il va rencontrer une jeune fille qui va l’entraîner dans une histoire qui va le dépasser. Ce sera dessiné par Laurent Zimny, un nouveau venu dans la BD. Ce sera son deuxième album.

Delta Blues Café Bamboo Grand Angle couverture

© Delta Blues Café – Philippe Charlot – Miras – Bamboo / Grand Angle – 2024

Les amis de la BD : Pour conclure, aurais-tu un petit mot à adresser aux Amis de la BD ?

Philippe Charlot : Un petit mot pour les amis de la BD ? Et bien, dans amis, il y a « aimer », alors continuez à aimer la BD ! Vous avez beaucoup de chance d’aimer ce medium en ce moment : il y a énormément de propositions, beaucoup de sorties et de style différents. Chacun peut trouver quelque chose qui va l’intéresser, l’enthousiasmer.

N’hésitez à rencontrer les auteurs, à venir nous voir dans les salons et les festivals de BD. On en trouve maintenant dans presque toutes les villes de France. Et n’hésitez pas à venir discuter avec nous en médiathèque, en plus petit comité, où vous serez toujours bien accueilli car les bibliothécaires sont des gens merveilleux ! Et je les embrasse tous très fort !

Merci beaucoup Philippe pour ta disponibilité et pour toutes ces infos.

Propos recueillis par : Emmanuelle Desseigne

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