Hild : Les femmes des Nibelungen

Hild, c’est le suffixe des noms de deux femmes : la blonde burgonde Kriemhild (grim « masque » + hilt(j)a « héros », en langue germanique) et la brune islandaise Brunehilde (bryn « broigne », une armure souple protégeant le torse + hildr « combat », en norrois). Deux personnages issus de l’épopée allemande La Chanson de Nibelungen, écrite au XIIIe siècle, dont s’inspire Veerle Hildebrandt pour son one shot Hild paru en février 2025 chez Anspach.

A Weltz, la capitale du royaume Burgonde, la petite Kriemhild trépigne. Princesse et donc tenue de respecter les contraignants protocoles diplomatiques, elle comprend vite que son avenir sera loin du vent de liberté qu’elle aimerait sentir dans ses longs cheveux blonds. Sa vie est et sera dédiée à la grandeur burgonde. A la mort de son père, c’est son frère Gunther, influençable et faible, qui monte sur le trône, gardant comme conseiller celui du défunt roi, Hagen. Quand Siegfried, guerrier légendaire, arrive à Weltz et gagne rapidement la confiance de Gunther, Hagen est méfiant. Le jeune roi et son nouvel ami se font alors une promesse qui scellera dans les larmes le destin de Kriemhild, mais aussi de la reine d’Islande, Brunehilde, convoitée par Gunther.

Hild Les femmes des Nibelungen Anspach planche 5

Hild : Le jeu de la dame

La Chanson de Nibelungen est une épopée allemande écrite au XIIIe siècle. On y suit Siegfried, prince nordique, héros légendaire qui terrassa un dragon. Désirant épouser la princesse burgonde Kriemhild, il se rapproche du frère de celle-ci, le roi Gunther. Par malice, Siegfried aide Gunther à conquérir Brunehilde, princesse islandaise d’une grande beauté et à la force prodigieuse. En échange Gunther donne la main de sa sœur à Siegfried. S’en suivront conflits personnels et diplomatiques, meurtres, trahisons, vengeances, jusqu’à la fin de la famille de Kriemhild, les Nibelungen. Après un premier arc sur l’enfance de Kriemhild, absente du texte germanique, l’album de Veerle Hildebrandt reprend la trame principale de la Chanson de Nibelungen et choisit principalement le point de vue de ses deux protagonistes féminines principales : Kriemhild et Brunehilde. Une vision plus féminine que féministe puisque l’auteure ne tait pas la soumission des femmes au Moyen-Âge.

Hild Les femmes des Nibelungen Anspach planche 6

Brunehilde et Kriemhild n’en sont pas, pour autant, complètement effacées. Éprises de liberté, avec des caractères forts et une grande indépendance, les deux femmes sont pourtant bien différentes l’une de l’autre, à l’image de leur représentation graphique : la burgonde pale et blonde, l’islandaise brune à la peau tannée. Kriemhild est curieuse, ouverte, dynamique et relativement effrontée. Elle est à la recherche de la liberté, dont elle a été privée toute son existence, du fait de l’importance de son statut social, diplomatique comme protocolaire. Brunehilde, quant à elle, connaît la liberté, puisqu’elle l’a obtenue grâce à sa grande force et ses prouesses guerrières. Elle en sera toutefois privée et se renfermera sur elle, allant même jusqu’à presque disparaître du reste du récit, en même temps que Kriemhild s’épanouira. Deux personnages que Veerle Hildebrandt développe parfaitement, donnant à son récit une profondeur humaine et tragique indéniable et passionnante.

Hild Les femmes des Nibelungen Anspach planche 7

Classicisme et modernité

On retrouve, dans Hild, les événements marquants de l’épopée germanique originelle : du duel entre Siegfried au final, épique et tragique, en passant par le viol de Brunehilde ou les manigances de Hagen. Veerle Hildebrandt, bien que modifiant le point de vue narratif, lui reste fidèle, notamment dans ses éléments fantastiques, bien qu’ils soient moins déterminants pour l’intrigue. Ainsi, le cheminement des deux Hild est au centre de la narration et sera marqué par les drames, les désillusions, les menant vers une tragédie dont l’auteure belge a parfaitement saisi l’intensité pour ses protagonistes. Laissant quelque peu le côté épique du texte médiéval, avec ses nombreuses batailles et ses retournements de situations, Veerle Hildebrandt offre un récit émouvant, puissant et résolument actuel.

Hild Les femmes des Nibelungen Anspach planche

Cette modernité, on la retrouve dans les dessins de l’auteure. Avec son trait rugueux, vif et gras, Veerle Hildebrandt parvient à transmettre au mieux les émotions de ses personnages. Si certains mouvements paraissent assez statiques, les planches sont toujours parfaitement lisibles et l’intensité qui se dégage de chaque case est indéniable. L’illustratrice montre également un grand talent à présenter des héros et héroïnes très charismatiques, rendant encore plus puissante la trame de sa tragédie. La mise en scène est à la fois classique dans ses cadrages mais originale dans ses mises en page dynamiques avec des personnages sortant régulièrement des vignettes pour empiéter sur celles adjacentes. La dessinatrice n’est également pas avare en pleines pages, voire doubles pages, qui viennent souligner des moments clés du récit. Étonnamment, la première rencontre entre Kriemhild et Brunehilde n’en fait pas partie mais compte parmi les nombreuses cases sans fonds qui isolent les acteurs. Enfin, avec ses couleurs chatoyantes, Veerle Hildebrandt crée des ambiances tantôt poétiques, tantôt agressives, qui collent parfaitement à son trait.

Hild Les femmes des Nibelungen Anspach planche 25

Pour sa seconde publication, après Black Paradiseen 2018, inédit en France, la belge Veerle Hildebrandt propose un one shot captivant et poignant. Une belle réinterprétation de la célèbre Chanson de Nibelungen, loin de ses habituelles adaptations épiques. En adoptant le point de vue des femmes du récit originel, en leur donnant plus de profondeur, l’auteure parvient à enrichir la sensibilité et l’humanité du texte originel. Une grande réussite qui tient toutes les promesses de sa magnifique couverture.