Eilin du fond de l’eau
Initialement paru en 2017 aux éditions Makaka sous le nom Naïade, le conte des auteures roumaines Maria Surducan et Anna J. Benczédi, très inspiré du folklore de leur pays, se voit enrichi d’une suite dans ce volumineux one shot proposé par l’éditeur Aventuriers d’Ailleurs, avec un nouveau titre : Eilin du fond de l’eau.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Lorsque le pas très honnête Vlad, accompagné de son frère, s’installe comme chercheur d’or dans les montagnes roumaines, il est loin de s’imaginer qu’une rencontre changera sa vie. Lorsqu’il aperçoit la naïade Belle prenant son bain, l’homme tombe sous le charme. Le coup de foudre est réciproque et les deux s’installent ensemble, Belle renonçant à ses pouvoir et s’éloignant de ses sœurs et du monde magique de la forêt. Toutefois, la vanité galopante de son mari viendra mettre en danger leur idylle, ainsi que la vie de leur communauté. Dix ans plus tard, la fille de Belle et Vlad, Eilin, est tiraillée entre son double héritage, l’enrichissement des hommes ou le respect de la nature et des traditions. Une folle aventure commence pour elle.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Deux salles, deux ambiances
Dix ans séparent les deux récits, dans leur narration comme dans leur réalisation. Et cela se voit. Les deux auteures ont évolué et leur travail se révèle bien différent entre la première et la seconde partie, créant ainsi une certaine rupture de ton et de forme qui pourra déstabiliser plus d’un lecteur. En effet, si Naïade propose un conte assez traditionnel dans son déroulé, assez intime avec de l’action plutôt rare et une prédominance de l’intime et du psychologique, sa suite est plus folle dans sa narration. Si les amateurs de contes pourraient beaucoup moins apprécier les aventures d’Eilin que celles de sa mère, il est toutefois indéniable que les deux histoires ont de grandes qualités.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Les planches sur la naïade Belle proposent un récit assez classique dans lequel se mêlent la magie, la quête de soi, l’ascension d’un personnage audacieux et sa chute inévitable lorsque l’audace se change en vanité. Dans cette première partie, les personnages sont attachants, la scénariste prenant le temps de poser sa tragédie. Lorsque Eilin passe sur le devant de la scène, la narration s’emballe au rythme, plus soutenu, de la jeunesse de son héroïne. Sont au rendez-vous des batailles, une quête fantastique, un humour plus présent. Malgré l’enchaînement efficace des aventures et mésaventures de la jeune fille et de ses amis, il est toutefois plus difficile pour le lecteur de s’attacher aux protagonistes que dans l’histoire de Belle et de s’impliquer dans l’intrigue et ses enjeux.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Eilin au Pays des Merveilles menacées
Sur la forme, la rupture est également de mise entre les deux époques du récit. Aux gaufriers classiques de la première partie, la seconde propose une mise en page plus libre, certaines planches ayant même un contour graphique. A la mise en scène simple répondent des plans plus originaux, collant moins au thème du conte mais d’une grande richesse, parfois trop même, compliquant la lisibilité de plusieurs cases, notamment dans les scènes d’action. Aux traits nets et fins, contraste un graphisme plus agressif avec un encrage parfois un poil chaotique, se calant sur le ton plus mouvementé du récit. Et aux couleurs sobres suivent des teintes très vives magnifiques et pleines de folie.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Ces importantes différences de traitement donnent l’impression que, plus qu’une histoire familiale en deux parties, Eilin du fond de l’eau serait en réalité une compilation de deux histoires distinctes ayant le même cadre. Plus que la marque d’une évolution créative de ses auteures, la rupture serait un choix délibéré mûrement réfléchi et travaillé. Cela pourrait également être un signe de l’avancée du temps : il y a un changement de génération entre les deux parties, le premier rôle passant de la mère à la fille. Un choc générationnel qui trouverait son écho dans l’accélération du rythme du récit et la plus grande liberté du graphisme.

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Si Naïade était, en 2017, une œuvre intéressante, sa version 2025 lui donne une toute autre ampleur, avec ses deux récits, ses deux générations, ses deux visions presque inversées. Comme si tout le monde de la première partie traversait le miroir d’Alice vers un Pays des Merveilles fait de folie, d’exubérance, de dangers, de batailles à mener. Cette rupture, qui pourrait déstabiliser certains lecteurs, se révèle une grande force de l’album de Maria Surducan et Anna Julia Benczédi, lui offrant une originalité rarement atteinte dans le neuvième art.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : Maria Surducan
- Dessin : Anna Julia Benczédi
- Couleurs : Anna Julia Benczédi
- Éditeur : Aventuriers d’Ailleurs
- Date de sortie : Le 20 août 2025
- Pagination : 208 pages en couleurs

© Eilin du fond de l’eau – Surducan/Benczédi – Aventuriers d’Ailleurs, 2025
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