De pierre et d’os
En adaptant le roman éponyme de Bérangère Cournut, De pierre et d’os, Jean-Pierre Krassinski propose une véritable immersion dans la culture inuite. Soumise aux forces de la marée, la banquise se brise, séparant Uqsuralik du reste de sa famille. La jeune fille débute alors un long voyage solitaire pour survivre dans un univers hostile.

Les conditions de vie sur la banquise sont dures. Uqsuralik y vit avec ses parents, son frère et sa sœur. Elle souffre des premiers tourments de l’adolescence, ses premières règles se manifestent. La jeune fille sort de l’igloo familial. « L’air glacé apaise la brûlure de mes entrailles. » Elle effectue quelques pas salvateurs quand soudain, la banquise cède, Uqsuralik se retrouve séparé du dôme qui l’abritait, avec les siens. Dans un réflexe désespéré, son père a tout juste le temps de lui expédier un harpon entouré d’une peau d’ours. Deux objets précieux, symbole de survie.
Le morceau de glace s’éloigne, emportant, au gré des courants, la famille de l’adolescente. Elle se retrouve livrée à elle-même sur la banquise. Seule ? Pas vraiment, Ikasuk, la meilleure chienne de son père, et ses 4 chiots, étaient enfouis sous une épaisse couche de neige, situés du même côté de la glace au moment de la rupture. Avec pour seule arme ses chiens, un morceau de harpon, un petit couteau et sa culture, Uqsuralik va devoir apprendre à survivre dans un milieu où les hommes sont plus dangereux que le plus redoutable des ours.

Hila, une fille à protéger
Passé ces premières mésaventures, Krassinki convie ses lectrices et ses lecteurs à découvrir le parcours initiatique d’Uqsuralik. Il débute par un chant guttural, celui du père qui vient de perdre sa fille. De nombreux autres cantiques parsèment ce récit, ils content les légendes de cette communauté des régions arctiques. Au cours de son périple, la jeune fille se livre et dévoile les us et coutumes de son peuple : les chamanes, les esprits farceurs, la chasse à l’ours, l’organisation familiale autour des camps d’été ou d’hiver et surtout, la violence des hommes, à commencer par le viol. La plus redoutable des armes pour soumettre une femme telle qu’Uqsuralik. De ce drame naît Hila, une fillette à protéger.

L’Arctique est une contrée rude, la vie y est difficile. Pourtant, il existe une certaine solidarité entre les nomades. Elle permet de surmonter les conditions climatiques extrêmes ou de survivre aux famines lorsque la chasse est mauvaise et l’hiver particulièrement long. Ainsi, saison après saison, on embrasse le destin d’Uqsuralik et de sa fille Hila. L’adolescente mûrit, devient une femme puis une épouse. Le temps d’un clin d’œil, c’est une vieille sur le point de mourir.
Le bleu glacial de la mer
L’histoire est principalement construite autour de cadres narratifs qui racontent cette aventure à la première personne. Ils supplantent les dialogues entre les différents protagonistes de l’histoire. Côté dessin, Krassinki étale son talent d’aquarelliste sur plus de 200 pages. Il restitue à merveille l’intensité de cette vie sur la banquise. Le trait est parfois dur, à l’image des conditions d’existence sur la glace, mais, ça et là, quelques touches de couleurs, pleines de douceurs apaisent un tant soi peu la rudesse du récit. À chaque pan de la vie des Inuits décrit, une palette de couleur adéquate émerge des pinceaux de l’auteur : Le bleu glacial lors des sorties en mer, l’étincelante blancheur de la neige ou encore la chaleur du jaune lors d’événements joyeux qui se déroulent dans la maison de fêtes. Les aventures d’Uqsuralik sont divisées en 5 chapitres dont les titres sont magnifiés par des aquarelles pleine page tout simplement envoûtantes !

Rarement un récit n’aura décrit aussi précisément le mode de vie des Inuits. C’est une histoire difficile, très dure même, mais également empreinte de poésie et d’une forme de vision écologique. Jean-Paul Krassinski décrit une communauté terriblement romanesque aux yeux des occidentaux que nous sommes. La survie au quotidien de ce peuple passe par un apprentissage aussi bien spirituel que technique. La maîtrise des armes n’est rien sans le respect des animaux tués lors d’une chasse. Il convient de leur rendre hommage de s’être ainsi sacrifiés. Comme tant de peuples isolés, la modernité influe négativement, et très largement, sur des modes de vie ancestraux. La tradition orale, ancrée dans le réel, sera toujours plus forte que le son d’un chant restitué par voix numérique. Ainsi, la continuité des chants gutturaux comme mode de transmission est d’une importance fondamentale pour que les jeunes générations d’Inuits ne se coupent pas totalement de leurs ancêtres. Ces derniers veillent et les protègent.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Jean-Paul Krassinski (adaptation du roman de Bérangère Cournut)
- Dessin : Jean-Paul Krassinski
- Couleur : Jean-Paul Krassinski
- Éditeur : Dupuis, Aire Libre
- Date de sortie : 11 avril 2025
- Pagination : 208 pages en couleurs
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