Ce que les corbeaux nous laissent

Avec un titre poétique et intrigant et une couverture pleine d’émotion et de magie, le one-shot Ce que les corbeaux nous laissent, première œuvre de Sophie Leullier, a de quoi attirer le lecteur curieux qui croisera le regard mystérieux de sa protagoniste. En ouvrant le livre, il s’apprêtera à vivre un voyage vers la Normandie du IXe siècle, un voyage plein de colère et de violence mais aussi un voyage dans l’amour d’une mère, dans le cheminement du deuil, un voyage dans l’émotion pure.

Galwinthe vit au cœur de la forêt avec ses deux fils Aldarik et le petit Tarik. Lorsque l’aîné est tué devant les yeux de son petit frère par des bandits, la douleur est insurmontable pour la mère et le fils. Des années après ce drame, alors qu’Aldarik est encore très présent à leurs côtés, Galwinthe et Tarik ne parviennent plus à communiquer et s’enfoncent de plus en plus dans la tristesse ou la colère. Le retour d’un des bandits, ne semblant pas être étranger au passé de Galwinthe, va rapidement venir redistribuer les cartes.

Ce que les corbeaux nous laissent planche 13

Ce que ces corbeaux nous offrent

Puisque c’est généralement la couverture qui provoque la rencontre entre le lecteur et l’œuvre, celle de Ce que les corbeaux nous laissent est une indéniable réussite. Clairement, Dupuis et Sophie Leullier ont mis le paquet pour que leur one-shot se remarque dans les rayons des librairies. Si la première de couverture, au vernis sélectif cachant en partie les yeux de Galwinthe, a déjà un côté mystérieux et émouvant, c’est en ouvrant complètement le livre que toute la magie opère. La quatrième continue en effet le dessin de couverture et présente un troisième personnage qu’on devine aisément être un fantôme. De profil, il cherche à rejoindre la mère et son fils, dont il est séparé par le dos du livre, et c’est de sa bouche que sont issus les entrelacs. Superbe et parfaitement adapté au récit qui va suivre.

Ce que les corbeaux nous laissent planche 21

Les planches de Sophie Leullier seront largement à la hauteur des promesses de la couverture. Une certaine difficulté à deviner l’âge des frères lors des nombreux flashbacks, rendant parfois la chronologie difficile à suivre, est peut-être le seul (petit) reproche à faire à l’illustratrice. Chaque case semble pensée pour susciter une émotion, que ce soit par ses cadrages originaux ou les expressions faciales et corporelles de ses protagonistes qui sont tous aussi charismatiques les uns que les autres. Niveau couleurs, rien à redire, Sophie Leullier maîtrise à la perfection sa palette et ses ambiances, passant d’un réalisme cru à des scènes plus magiques ou mystiques, suivant ainsi à la perfection les différentes atmosphères et toute la poésie de son récit.

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Deux salles, deux vengeances

Poétique, le scénario de Sophie Leullier l’est sans conteste. Sur le thème difficile du deuil d’un fils et d’un frère, une famille, déjà privée d’un père, se brise encore un peu plus. La communication entre la mère et son fils est coupée, les tensions sont permanentes et chacun recherche à dépasser le deuil à sa manière : Galswinthe par le mysticisme afin d’aider Aldarik à passer définitivement dans l’autre monde grâce à un rituel issu de parchemins magiques, Tarik dans la recherche des assassins de son frère afin de le venger dans le sang. Deux visions contradictoires qui se confronteront dans l’incompréhension mutuelle, dans les reproches, dans la colère ou la tristesse.

Mais ce qui rapproche indéniablement la mère et son fils, sans qu’ils parviennent à s’en rendre compte, c’est la difficulté à vivre et vaincre le deuil seul. Tous deux sont dépassés devant ce qu’ils doivent accomplir : les parchemins compliqués de la mère, la fragilité physique et mentale du fils. Plus le récit avance, plus le duo gagne en profondeur, et plus il suscite l’empathie du lecteur. Ajoutées à cela, les apparitions régulières d’Aldarik, parfois en présence fantomatique, parfois dans les souvenirs de ses proches, parfois dans l’imagination de Tarik, apportent des moments assez bouleversants.

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Véritable petit bijou, Ce que les corbeaux nous laissent est un livre de colère et de chagrin, de doutes et de croyances, de violence et d’amour. Cette première œuvre de Sophie Leullier est bluffante et laisse apparaître un immense potentiel chez la jeune illustratrice. Si son récit manque parfois de clarté ou de finesse, les émotions qu’il crache littéralement à la face du lecteur sont emplies d’une sincérité indéniable et puissante. Avec un dessin riche et des couleurs très agréables, ce que les corbeaux de Sophie Leullier nous laissent, c’est un moment de lecture intense, originale et d’une très grande beauté.

Chronique écrite par Cédric « Sedh » Sicard