Cati Baur : « Le domaine de l’intime me motive »

C’est à Angoulême, sur le stand de Dargaud, que la joviale Cati Baur a accepté de répondre aux questions des Amis de la BD. Lorsque deux quinquagénaires se rencontrent, ils abordent les problèmes de leur âge à travers Marcie, la nouvelle héroïne de l’autrice.

©Mathilde Rennes – Interview de Cati Baur
©Mathilde Rennes – Interview de Cati Baur

Les Amis de la BD : Bonjour Cati, pouvez-vous nous dévoiler la genèse de Marcie ?

Cati Baur : Alors, ce qui est rigolo, c’est que je réponds à des interviews sur ce sujet depuis quelques semaines et je n’arrive pas à me souvenir la manière dont Marcie est arrivée. Je me rappelle que j’étais à un festival de polar. Je m’étais dit que je devais écrire une enquête, car j’ai toujours eu envie de le faire. En revanche, je ne sais pas du tout comment Marcie a débarqué. C’est même perturbant car je n’ai aucun souvenir. J’en suis arrivée à la conclusion qu’elle s’est simplement imposée à moi. Comme si elle avait sa propre volonté

LABD : Cette femme invisibilisée par la société qui s’est révélée à vous. Est-ce le genre de sujet qui est complexe à vendre à un éditeur ?

CB : Je me souviens avoir tout de suite évoqué une enquête, et surtout une enquêtrice… Et plus particulièrement d’une enquêtrice qui subirait les affres de l’après-ménopause. C’était important pour moi. C’est aussi lié à mon âge, bien évidemment. Je découvrais beaucoup de changements et de bouleversements. Surtout mentaux en fait… On ne rend pas compte de l’état de passivité que nous avons tout un coup face aux hormones. Tout ce déluge qu’on subit. À Marcie, ça lui donne paradoxalement une force et j’avais envie qu’elle se débatte aussi bien avec cette force qu’avec la vulnérabilité que créait son état.

LABD : Dans son caractère, on y retrouve sans doute les caractéristiques de différentes femmes…. Y a-t-il une partie autobiographique ?

CB : Oui, c’est tout à fait ça, j’ai d’abord observé ce qu’il se passait autour de moi. Puis, il y a de moi, bien évidemment. J’ai aussi eu des moments où je pensais que j’étais en pleine dépression alors que non. Ce sont juste mes hormones qui dégringolaient. Cette partie-là est totalement autobiographique.

LABD : Dans l’histoire, il y a d’autres thématiques importantes. On y découvre un « Happy Chief happiness officer » peu courtois avec Marcie…

CB : Là, c’est totalement imaginaire, mais c’est également à force d’observer, même de loin, le monde de l’entreprise. Et ça m’amusait que ce soit justement un type avec un titre plutôt ronflant de « Chief happyness officer » qui la vire comme ça… de façon malpropre. D’un côté, on parle beaucoup de bien-être au travail et on idéalise le monde du travail avec une vitrine « ripolinisé ». On ajoute des babyfoots pour le fun alors que dans la réalité, on reste tout de même dans cette même arène aux lions.

Marcie Dargaud planche 9
©Dargaud – Cati Baur

LABD : Marcie est-elle une héroïne ou une anti-héroïne ?

CB : Pour moi, c’est vraiment une héroïne ordinaire. Elle appartient aux gens anonymes et ordinaires. Cela étant, ce n’est pas une héroïne dans le sens où elle fait du bien aux autres. Elle essaie déjà juste de se faire un minimum de bien à elle-même. Elle surnage surtout. Pour moi, c’était important de transformer cette femme. Qu’elle se débatte avec sa vie, puis qu’elle parvienne à s’en sortir. Avec brio, d’ailleurs. Malgré les difficultés, elle garde cette confiance en elle. C’est l’un des thèmes de mon récit : « Comment surmonte-t-on les obstacles en ayant l’air de surnager et tout en restant soi-même, et maladroite »

LABD : Toutefois, lorsqu’elle part pour New-York, elle se révèle à elle-même. Ce déplacement sert vraiment l’histoire… et surtout la vie de Marcie, non ?

CB : Oui. Pour moi, c’était important de la faire se déplacer et plus particulièrement dans cette ville. New-York a été longtemps été une vraie terre d’accueil, c’est peut-être un peu moins le cas aujourd’hui. Toutefois, ça reste la ville de tous les possibles… Elle est encore présentée comme telle en tout cas. Là-bas, Marcie a l’occasion de se réinventer et donc de couper avec sa personnalité d’avant. Elle accepte sa mue, elle sort de sa chrysalide de femme ordinaire.

LABD : Ce choix de New-York est-il simplement lié à ce « ville de tous les possibles » ?

CB : En fait, j’y suis allée récemment et j’avais tellement envie d’y retourner. Mais, ce n’était pas possible. Alors j’ai passé beaucoup de temps sur Google Street Wiew. Ensuite, d’une manière plus raisonnée, c’était important que l’aventure de Marcie se poursuive dans un autre pays. Comme beaucoup de Françaises de plus de 50 ans, elle parle très mal l’anglais. C’était chouette qu’elle puisse effectuer ce voyage en compagnie de sa fille. C’est cette dernière qui lui servira d’interprète.

LABD : Cet océan qui sépare les deux vies et les deux tempéraments de Marcie agit comme un symbole…

CB : Oui, j’aurais pu l’envoyer à Londres par exemple, mais New-York avait davantage de côté « Terre d’accueil » que j’ai évoqué tout à l’heure.

LABD : Comment travaillez-vous votre dessin ?

CB : Depuis quelques années, je ne travaille que sur IPad, cependant, je dessine d’une manière très artisanale. Par exemple, je ne vais jamais coloriser de grandes plages par un simple remplissage. J’utilise l’outil crayon. Ce sont des couches de crayon qui se superposent les unes sur les autres. Ça donne vraiment cet aspect artisanal. C’est juste le support qui change.

Marcie Dargaud planche 10
©Dargaud – Cati Baur

LABD : Les thématiques abordées dans Marcie sont-elles en cohérence avec vos précédentes œuvres ?

CB : Je pense que cet album est dans la lignée de mon travail. Simplement, à la différence de mes autres publications, c’est un sujet qui peut attirer des lecteurs hommes. Jusqu’à présent, j’ai surtout eu des lectrices car j’étais principalement connue pour ma série 4 sœurs. Elle ciblait surtout les adolescentes. En dédicace, je rencontrais ces jeunes filles et leur maman. C’est un public fidèle. Mais pour en revenir à Marcie, je pense que cela va également fédérer les hommes. Ça fait plaisir.

LABD : Justement, quels sont les retours de vos lectrices et de vos lecteurs sur cet album lorsque vous êtes en dédicace ?

CB : Pour l’instant, j’ai beaucoup de compliments. Ça me fait hyper plaisir. Il y a eu des comparaisons flatteuses avec Posy Simmonds, par exemple. C’est effectivement une de mes grosses influences, et visiblement ça ressort beaucoup. C’est peut-être parce que c’est aussi une enquête et que, jusqu’à présent, j’avais pris soin de me rester loin de ce genre d’histoire.

LABD : Et les hommes, quel retour vous ont-ils fait ?

CB : Je ne peux pas dire que j’ai eu des retours particuliers. Mais, en intéressant ce lectorat masculin, cela permet de l’éduquer un petit peu, mine de rien. Et c’est vrai que certaines personnes que je connais, qui sont habituellement agacées par le féminisme, ne m’ont rien dit de négatif.

LABD : Habituellement, quels sont vos thèmes de prédilection ?

CB : La sororité est clairement un thème important de mon œuvre. Et plus largement, les relations familiales. C’est une thématique intéressante avec plein de développements à étudier, aussi bien lorsqu’elles sont catastrophiques que lorsqu’elles sont idylliques. Je trouve que c’est très intéressant à creuser. En vrai, c’est vraiment le domaine de l’intime qui me motive.

LABD : Dans ce premier tome, c’est une histoire qui s’impose à Marcie puisqu’elle assiste, malgré elle à une défénestration. L’album s’appelle “Le point de bascule” cela laisse présager d’une suite des aventures de Marcie ?

CB : Oui, effectivement l’histoire s’impose à elle. Il y aura une suite. Pour l’instant, j’imagine une trilogie. Actuellement, je réfléchis au tome 2 qui sortira dans 2 ans normalement. Elle sera toujours enquêtrice privée. Dans les autres volumes, je vais privilégier des histoires dont la base seront des enquêtes qui lui seront confiées par son patron. On verra ce que ça va donner.

©Mathilde Rennes – Interview de Cati Baur

LABD : Quel est le défi dans la scénarisation de cette suite ?

CB : L’enjeu, c’est ce qui était déjà difficile dans le premier album. C’est une enquêtrice privée. En France, les enquêtrices privées ne peuvent pas seconder la police pour des histoires de meurtres. Donc là, il fallait que la police soit dégagée de cette affaire en ne s’intéressant pas du tout à cette histoire. C’est un fil conducteur à suivre pour les prochains tomes. Il va être important de se « débarrasser » de la police, de manière que Marcie puisse enquêter librement.

LABD : Est-ce que cela sera l’occasion d’explorer des facettes que l’on ne connaît pas encore de Marcie ?

CB : Alors oui, très probablement. Là, je l’ai montrée surtout dans son rôle mère. J’aimerais bien explorer l’espace amical de Marcie. Puis, j’ai aussi encore envie de la faire voyager ailleurs. Je me suis posé la question de lui faire vivre des affaires de de cœur, mais en fait cela ne m’intéresse pas de la mettre en scène dans une histoire d’amour.

LABD : En tout cas, on se réjouit de la retrouver dans de nouvelles aventures, un grand merci pour cet échange.

CB : Merci également, avec plaisir.

Propos recueillis par : Bruce Rennes

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