Bon voyage ?

À la vue de l’illustration de la couverture et du titre «Bon Voyage ?» en forme de question, nous imaginons suivre les passagers d’un avion dans une histoire digne de «Robinson Crusoé» en raison de leur amerrissage forcé par une panne face à une île supposée déserte. Cependant, les douces nuances bleues et beiges des couleurs du dessin et le titre de la teinte vive orangée d’un soleil couchant sèment le doute sur la rudesse de l’aventure qui les attend.

Couverture de l'album Bon voyage ? — © Bon voyage ? – Jack Manini et Michel Chevereau – Bamboo

5 avril 1948, les gagnants d’un concours au questionnaire, aussi original qu’inattendu, se retrouvent esplanade des Invalides pour le départ d’un voyage de luxe en Martinique. Munis de leurs billets, ils se rendent, dans un premier temps en train, puis en autocar, jusqu’à la base des Hourtiquets de Biscarosse. De là, ils embarquent dans le mythique hydravion transatlantique Latecoere 631 pour un vol de vingt-six heures à destination de Fort-de-France.

Page 12 de l'album Bon voyage ? — © Bon voyage ? – Jack Manini et Michel Chevereau – Bamboo

L’équipage et la quarantaine de passagers ont des personnalités très différentes. Nous découvrons entre autres une prostituée, un militant du parti communiste, deux sœurs très unies ou encore un gentil vieux monsieur. Et pourtant, mis à part le fait d’avoir gagné le concours, ils ont tous trois points en commun : ils sont pauvres, rien ni personne ne les retient à leur vie parisienne et ils vont être, malgré eux, les pions d’un double jeu de dupes qui va changer leur vie à jamais.

Page 13 de l'album Bon voyage ? — © Bon voyage ? – Jack Manini et Michel Chevereau – Bamboo

Une histoire en hommage au Latecoere 631

Ce récit est un tel hommage au Latecoere 631 qu’il en fait le personnage principal. Jack Manini rivalise de superlatifs et de métaphores pour nous rappeler les heures de gloire de cet Hydravion transatlantique de la société Latecoere qui fit naître l’Aéropostale et qui est l’ancêtre d’Air France. De son essor pendant la première guerre mondiale jusqu’à l’accident de 1948 ici romancé, l’auteur a intégré beaucoup de marqueurs liés à la légende de ce paquebot volant sans oublier d’en mentionner les défauts de confort qui occasionnent quelques turbulences auditives et secousses digestives à ses passagers.

Nous pouvons regretter que ce plaidoyer soit fait au détriment de l’histoire et de la personnalité des passagers qui sont rapidement survolés comme les cinq premiers mois sur l’île expédiés en huit cases. C’est probablement un parti pris du scénariste pour laisser libre cours à notre imagination et ainsi inventer le rêve de nos Robinson d’un nouveau genre.

Page 14 de l'album Bon voyage ? — © Bon voyage ? – Jack Manini et Michel Chevereau – Bamboo

Le dessin réaliste de Michel Chevereau ancré dans les 40’s

Le dessin réaliste de Michel Chevereau rend également un bel hommage à l’appareil et il nous permet de visualiser chacun de ses recoins en le dessinant totalement ou partiellement dans plus de 170 cases. Les vignettes célèbrent aussi les années 40 en restituant avec précision les véhicules, vêtements, et chapeaux d’époque. Il reproduit pour certains personnages les traits des stars alors en vogue. Ainsi, Colette est la copie d’Edith Piaf, Marceau ressemble à Clark Gable avec sa façon de fumer, son emblématique moustache ou sa mèche de cheveux en accroche-cœur et le visage de l’un des passagers apparaissant brièvement emprunte le sourire gingival de Fernandel.

Jack Manini réalise une belle harmonie des couleurs qui, au départ d’un bleu et d’un gris sombres finissent, en glissant vers les couleurs orangées d’un coucher de soleil, en toute beauté sur les tons bleus du ciel et de la mer des Antilles.

Page 15 par Jack Manini et Michel Chevereau — © Bon voyage ? – Jack Manini et Michel Chevereau – Bamboo

Enfin, l’introduction de chaque chapitre marquée par une page blanche dessinée en bleue, à la façon d’une affiche publicitaire ancienne de compagnie aérienne, est un plaisir pour les yeux.

Jack Manini et Michel Chevereau nous proposent un conte social plaisant à lire sur les bases de l’histoire méconnue et très intéressante de l’Hydraviation en France. Le dossier de fin nous apprend beaucoup sur le sujet et satisfait notre besoin d’en savoir plus avec la présentation du musée qui lui est dédié à Biscarosse. Nous pouvons regretter le choix du scénariste de passer rapidement sur certains passages et qui du fait ne répond pas totalement aux attentes données par la couverture, mais cela ne gâche en rien le plaisir.