Bienvenue à Pandemonia
Pour leur sixième collaboration*, les Argentins Diego Agrimbau, au scénario, et Gabriel Ippóliti, au dessin, débarquent chez Dargaud avec tous leurs bagages thématiques : luttes sociales, contexte fantastique et situations absurdes. Le résultat : Bienvenue à Pandemonia, un one shot burlesque et diablement intelligent.

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
Ismaël Posta est un chic type. Businessman et conférencier à succès dans le domaine du développement personnel, il est toujours prêt à aider son prochain ; pour quelques deniers, cela va de soi. Bon, d’accord, il a (un peu) péché auparavant : escroqueries diverses, abus de confiance ou autres manipulations… Des broutilles, de la bagatelle, pas de quoi finir en enfer, hein ? Pourtant, lorsqu’il décède d’une olive dans le gosier, Ismaël se retrouve dans le train pour Pandemonia, une grande cité infernale en proie à des troubles sociaux. Sa fameuse éloquence lui permettra-t-elle de se sortir de ce bourbier ?

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
« La plus belle ruse du diable est…
Bienvenue à Pandemonia propose un univers absurde en normalisant l’enfer. Quoi de plus bizarre, en effet, que d’imaginer le royaume du Diable en société très humanisée, avec ses administrations complexes, ses transports en commun, ses inégalités sociales, ses cols blancs tout puissants ? Mais au lieu de se perdre dans des idées saugrenues gratuites, toute l’intelligence de Diego Agrimbau est de sérieusement ne pas se prendre au sérieux. La ville de Pandemonia rappelle les grandes cités américaines et le scénariste la décrit avec un premier degré qui crédibilise son univers. Les employés de bureau démoniaques mangent même des hot dogs, achetés à des vendeurs ambulants, lors de leur pause déjeuner. Créer un monde cohérent permet de faire accepter toute son absurdité, et le lecteur peut ainsi entrer pleinement dans le récit sans passer son temps à faire des ponts entre notre monde et celui de l’album.

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
L’intrigue de Bienvenue à Pandemonia propose également son lot d’absurdité. La ville démoniaque vit des heures troubles. Par suite des nouveaux péchés « inventés » par Dieu, notamment en rapport avec les réseaux sociaux, l’enfer est submergé de nouveaux arrivants. Lucifer, le DG d’en bas, est au bord du burn-out et la colère gronde parmi les couches prolétaires, alors que certains démons majeurs se verraient bien prendre la place du boss d’un conseil d’administration qui n’est pas sans rappeler celui de Zombillénium. Alors, quand arrive un beau parleur, comme Ismaël Posta, situations comiques et punchlines vont s’enchaîner à un rythme dingue tout au long des soixante-dix planches de l’album. Des pages qui défilent vite, parfois trop, tant on aimerait explorer un peu plus en profondeur la ville imaginée par Diego Agrimbau.

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
… de vous persuader qu’il n’existe pas » **
Le personnage d’Ismaël Posta est une grande réussite et porte le récit sur ses larges épaules, évitant à Bienvenue à Pandemonia de n’être qu’une énième transposition de notre monde dans un univers décalé où tout le récit repose sur la confrontation entre un héros et un contexte qui vise à l’aliéner. Ici, le « héros » n’en est pas un, il n’est même pas un anti-héros, mais plutôt une sacrée ordure qui n’assume pas ses actes, ne voyant peut-être même pas en quoi ils ont été mauvais. Quel chemin s’ouvre devant lui en enfer ? Refusant de plaider coupable, il est condamné à la torture éternelle et peu d’avenirs possibles se dessinent : rédemption ou souffrance éternelle ?

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
Les personnages secondaires ne sont pas en reste et offrent une belle galerie de rôles souvent très drôles et attachants, notamment un Lucifer suscitant facilement l’empathie. Le dessin de Gabriel Ippóliti aide grandement à la réussite des protagonistes. Bien construits, ils bénéficient en effet de tout le talent de l’illustrateur à proposer des tronches, dans un style graphique rappelant celui de la dernière œuvre du duo, Planeta Extra, plus caricatural, et donc plus expressif, que leurs albums antérieurs, comme La Bulle de Berthold ou Guarani. Ismaël, avec son sourire de façade permanent des plus agaçants, est aussi détestable visuellement que narrativement. Les décors sont, eux, superbes, et les cases fourmillent de détails, notamment un nombre important de figurants, servies également par des couleurs immersives dans une gamme chaude comme l’enfer.

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
Si une certaine frustration peut se ressentir en fermant Bienvenue à Pandemonia, c’est que l’univers et les personnages créés par Diego Agrimbau et Gabriel Ippóliti sont captivants au point qu’on voudrait passer plus de temps avec eux, surtout après un final détonnant qui appelle, espérons-le, une suite. Récit absurde diablement efficace et intelligemment construit, l’album aurait certes mérité une plus forte pagination, mais impossible ne nier le plaisir de lecture qu’il suscite. Un superbe tour de force, aussi bien narrativement que graphiquement.
* après La Grande Toile (Albin Michel, 2006), Eden Hôtel (Casterman, 2012), La Bulle de Bertold (Albin Michel, 2015), Guarani, les enfants soldats du Paraguay (Steinkis, 2018) et Planeta Extra (Sarbacane, 2020)
** Charles Baudelaire, dans Le Spleen de Paris, petits poèmes en prose, publication posthume en 1869
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Bienvenue à Pandemonia – Diego Agrimbau & Gabriel Ippóliti – Dargaud, 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : Diego Agrimbau
- Dessin : Gabriel Ippóliti
- Couleurs : Gabriel Ippóliti
- Éditeur : Dargaud
- Date de sortie : Le 7 février 2025
- Pagination : 72 pages en couleurs
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