Automnal

Un visage apeuré, des feuilles oranges plein la bouche, le reflet d’un feu dans des yeux paniqués, un filtre sombre et un titre doré : dire que la couverture d’Automnal est une invitation au danger et au mystère serait un euphémisme. Scénarisé par l’écrivain Daniel Kraus, collaborateur de Guillermo Del Toro sur la novélisation de La Forme de l’eau, et dessiné par Chris Shehan, dont c’est la première publication en France, ce superbe album présente l’intégrale des huit chapitres originellement sortis aux Etats-Unis en 2021. Bienvenue à Comfort Notch, une ville apparemment charmante mais qui porte définitivement bien son nom *

A la mort de sa mère dont elle n’avait plus de nouvelle depuis de nombreuses années, Kat, maman célibataire un peu paumée, retourne dans la petite ville de Comfort Notch, là où elle est née et a passé ses neuf premières années. Accompagnée par sa fille Sybil, elle va découvrir une ambiance à la fois tranquille et malaisante où les choses ne sont pas aussi sereines qu’elles n’y paraissent. Alors, à l’approche de l’équinoxe, et avec lui des morts étranges, les vies de Kat et Sybil vont basculer pour le pire et le encore pire.

Orange is the new black

Ce qui frappe dès les premières planche d’Automnal, derrière sa couverture impressionnante, c’est le style graphique tranchant utilisé par Chris Shehan. Des tracés gras, des courbes irrégulières et saccadées, de nombreux coups de crayon qui salissent l’image, tout dans le travail de l’Américain transmet l’angoisse, le glauque, le danger à la fois permanent et abstrait. Ces passages agressifs contrastent particulièrement avec les quelques scènes qui montrent la bienveillance de façade des habitants de Comfort Notch dans lesquelles le trait se fait plus serein, plus doux, moins riche.

Couleurs vives, contrastes très forts, la palette de Jason Wordie ne cherche pas le réalisme, mais bel et bien d’expliciter l’ambiance de chaque scène. L’Américain, dont on a dernièrement pu admirer le travail toujours impeccable dans Kaya ou Cyberpunk 2077, développe ici une gamme majoritairement chaude dont l’orange est la teinte principale, à l’image de ces feuilles d’automne centrales dans le récit. Dessin et couleurs se marient de superbe façon également dans les décors de l’album, et surtout ceux de Comfort Notch. Si les quelques passages à Chicago ou hors de la dangereuse bourgade tendent vers le froid et le sombre, la lumière et l’intensité des couleurs sont à la hauteur de la précision du trait de Chris Shehan, rendant chaque case complètement immersive.

L’automne meurtrier

Les personnages sont une autre grande réussite visuelle de l’album. Kat dégage un vrai charisme alors que Sybil est très attachante. Leurs émotions sont parfaitement rendues, de même que leur gestuelle qui raconte beaucoup sur leur état d’esprit : les bras ballants d’incompréhension ou, au contraire, des mouvements brusques toujours parfaitement lisibles… Les personnages secondaires ne sont pas en reste, chacun possédant une vraie « gueule de l’emploi » très cinématographique. Le rapport au septième art est constant dans Automnal, et pas seulement au niveau graphique : le scénario de Daniel Kraus est tout aussi percutant que le dessin de Chris Shehan et les couleurs de Jason Wordie.

Dans la pure tradition des légendes urbaines qui ont fait le bonheur des fans de films d’horreur et autres « slashers movies » des années 1990 et 2000, tout le récit de l’album est un crescendo dans lequel la protagoniste doit identifier et comprendre une menace fantastique pendant que les morts mystérieuses et glauques se multiplient. A l’image de ce genre de métrages, la narration d’Automnal alterne les scènes contemplatives d’ambiance, les dialogues qui construisent son univers tout en faisant avancer l’enquête, et de grands moments d’action et d’horreur pures jusqu’à un final sous forme d’apothéose malaisante.

Le traitement des personnages est simple mais efficace : Daniel Kraus joue la carte du classicisme du genre et n’a aucun besoin de creuser ses protagonistes pour faire comprendre leurs enjeux ni susciter l’empathie du lecteur. Autre apport du septième art dans Automnal, impossible de ne pas évoquer la menace de l’album. Sans trop en révéler, celle-ci est une trouvaille à la fois très habituelle de ce genre de récit mais pourtant d’une efficacité implacable, superbe terrain de jeu pour le scénariste, le dessinateur et le coloriste. Au-delà des feuilles d’automne, la comptine traditionnelle locale forme un fil rouge bien trouvé et captivant tout au long de l’enquête de Kat.

Récit horrifique oppressant et très cinématographique, Automnal se révèle autant captivant narrativement que somptueux visuellement. Une plongée dans le nord des Etats-Unis où la nature est encore très présente et sauvage, laissant la part belle à l’imagination des contes modernes et effrayants. Avec sa narration et son graphisme mêlant adroitement oppression et contemplation, le titre de Kraus, Shehan et Wordie est une grande réussite, totalement immersive. Jamais plus vous ne verrez de la même façon une feuille d’automne voler au vent et se poser à vos pieds…

* Comfort : réconfort / Notch : entaille

Chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard