Angoulême vue de Suède
Notre correspondante en Suède a passé quelques jours à Angoulême lors du festival, une occasion d’y faire de belles rencontres et de partager quelques moments avec des compatriotes suédois également présents sur place. Thomas Olsson, auteur de bande dessinée (La Congrégation, L’agrume éditions) et éditeur rencontré sur place a publié un article sur son expérience personnelle du festival. Un article que nous avons décidé de vous traduire avec son accord : découvrons Angoulême vue de Suède.
« La ville où le statut du livre est mis à l’honneur, bien plus qu’en Suède«
Je suis assis au Bar Ravaillac, en train de rattraper mon retard avec une tasse de café très chaude mais étonnamment délicieuse après les réunions de ce matin au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. J’attends Fredrik Strömberg, auteur et chercheur en bande dessinée, nous allons déjeuner au marché de la Place des Halles.

200 000 visiteurs
À bien des égards, la France est la nation leader de la bande dessinée dans le monde. Chaque année, environ 5 000 bandes dessinées sont publiées ici (contre 140 en Suède). Le festival d’Angoulême est considéré comme le troisième plus grand festival mondial consacré à la bande dessinée et on assiste cette année à sa 51ème édition. Plus de 200 000 visiteurs du monde entier sont attendus dans cette petite ville du sud de la France pour acheter des livres, voir des expositions et assister à des conférences.
Je suis venu ici pour la première fois en 2000 et suis depuis revenu autant que possible, plus d’une dizaine de fois à vrai dire, et le festival s’est développé et est devenu plus important chaque année. Je suis ici pour vendre et acheter des droits. Et l’intérêt pour les bandes dessinées suédoises est grand. Beaucoup de nos dessinateurs suédois ont déjà été publiés ici.
Sur la place du Bar Ravaillac se trouve une grande tente (bulle) où sont vendus des albums anciens, des dessins originaux et des lithographies. Sur la place principale, à cinq minutes à pied d’ici, se trouve la bulle principale avec les bandes dessinées grand public et les BD franco-belges, à côté se trouve le marché international des droits et un peu plus loin, le pavillon thématique de cette année, l’Espagne. À la gare, vous trouvez Manga City, deux énormes bâtiments consacrés à la culture de la bande dessinée japonaise. La bulle le Nouveau Monde rassemble des bandes dessinées plus artistiques et alternatives, et inclut également les éditeurs français qui publient des dessinateurs suédois.

Des expositions sur le thème de la bande dessinée sont organisées partout en ville, dans des musées, des galeries et dans divers lieux loués. Des dessinateurs avec leurs présentoirs de livres sont installés un peu partout ; dans les épiceries, les kiosques, les magasins de chaussures, les librairies et dans les restaurants et cafés. Les mannequins dans les magasins de vêtements sont remplacés par des personnages de dessins animés comme Lucky Luke et Corto Maltese.
C’est un sentiment génial d’être dans un contexte où le nerd de la BD est la norme. Le festival d’Angoulême est l’une des sources d’inspiration du Stockholm Book Weekend que Martin Kaunitz [éditeur suédois] et moi avons initié en 2020. Nous voulions recréer l’atmosphère qui règne ici dans la ville où le statut du livre, et notamment des bandes dessinées, est nettement supérieur au statut dont il jouit en Suède.


Le livre comme médiateur de l’art
L’industrie de la bande dessinée est dans de nombreux cas conservatrice, mais beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Le développement des applications mobiles et de livres électroniques progresse rapidement. Les bandes dessinées avec des images animées et du texte interactif connaissent une phase de développement passionnante. Mais à Angoulême, le livre physique est mis en avant comme objet et médiateur de l’art et de la littérature. Jeunes et moins jeunes font la queue durant des heures pour obtenir un dessin ou une peinture originale de leur dessinateur préféré. Beaucoup d’efforts et de temps sont consacrés aux dédicaces, et ceux qui sortent de la file d’attente sont souvent vus marchant avec le livre ouvert bien au-dessus de leur tête pour le protéger afin que la peinture ait le temps de sécher avant qu’il ne soit refermé.
Parlons de l’industrie conservatrice. La grande distinction du festival, le Grand Prix, est décernée chaque année à un dessinateur pour l’ensemble de sa carrière de dessinateur de bandes dessinées. Parmi les cinquante lauréats à ce jour, seules trois sont des femmes, la dernière en date étant celle de la Britannique Posy Simmonds, l’année dernière.
Fredrik est l’un des Suédois qui a proposé un nom pour le prix. Au cours d’un déjeuner-baguette, il explique comment fonctionne le processus de nomination et se dit heureux que la gagnante de cette année, la Française Anouk Ricard, soit la quatrième femme à recevoir le prix : « Je ne nomme que des femmes depuis plus d’une décennie maintenant, en signe de protestation contre ce qui était autrefois un événement entièrement dominé par les hommes. » Le gagnant sera célébré comme le veut la tradition, mais deviendra également président du festival de l’année à venir, l’opportunité d’influence et de changement est donc grande.
Après le déjeuner, une rencontre avec la délégation finlandaise est au programme, organisée par le collectif d’artistes Kuti Kuti, basé à Helsinki, connu pour le magazine Kuti Magazin, qui rassemble des bandes dessinées finlandaises. Ensuite, une exposition avec Posy Simmonds, avec, espérons-le, des originaux du roman graphique acclamé Tamara Drewe.
Le soir, un dîner nous attend avec le groupe de Suédois présents. Nous finirons probablement par revenir au Bar Ravaillac dans quelques heures…

Article de Thomas Olsson, publié sur svb.se traduit du suédois vers le français par Oda Lajoy. Lien vers l’article original : https://www.svb.se/asikter/staden-dar-bokens-status-ar-betydligt-hogre-an-i-sverige/4329289
Un article traduit par : Oda Lajoy
Vous pouvez discuter de l’article sur notre groupe Facebook des Amis de la bande dessinée.