Alison : À coups de pinceau
Jamais un ouvrage n’a aussi bien incarné la définition du roman graphique. En alternant pages rédactionnelles et planches dessinées, l’illustratrice anglaise Lizzy Stewart retrace le destin d’Alison Porter et, à travers cette artiste-peintre, l’histoire de la scène artistique londonienne de la fin du XXe siècle.
Alison Porter est une jeune femme originaire de Bridport, une petite ville du Sud de l’Angleterre. Sa voie est toute tracée : à 17 ans, elle rencontre son futur mari, Andrew, de 3 ans son aîné. Ils se marient 4 mois après leur premier rendez-vous et achètent une petite maison confortable. Le destin de la bonne épouse, et probablement future mère de famille, se dessine. Bien que les courses et la tenue d’un ménage soient des activités qui prennent beaucoup d’énergie et de temps, cela n’empêche pas à Andrew de suggérer à son épouse de se trouver une occupation pour passer ses journées. Docilement, Alison se rend donc à la bibliothèque de sa localité.
En ce lieu culturel, elle y fait la rencontre d’un homme plutôt mystérieux. Il s’agit du célèbre peintre Patrick Kerr ! Bien qu’il ait 30 ans de plus qu’Alison, il ne manque pas de la draguer ouvertement. Avec succès ! La jeune femme s’inscrit au cours de peinture de l’artiste et, progressivement, succombe à son charme. Elle finit par quitter son mari afin de s’installer à Londres et tenter de percer dans le milieu artistique.
Émancipation de deux femmes
Cette bande dessinée est un savant mélange entre un rédactionnel rédigé à la première personne, celui d’Alison Porter, et des pages magnifiquement illustrées par Lizzy Stewart. Le réalisme du récit est tel qu’il est souvent permis aux lectrices ou aux lecteurs de douter. On y croit à l’existence des différents protagonistes de ce récit ! Qu’il s’agisse du « célèbre » Patrick Kerr ou bien de Tessa Effiong, meilleure amie d’Alison et sculptrice de talent dont les œuvres furent exposées au Camden Arts Centre, à Londres.
Au fil de l’histoire, on assiste à l’émancipation petit à petit de Tessa et d’Alison. La première tente d’affirmer son art et son talent dans un milieu difficile, souvent hostile à la parole des femmes ; la seconde, progressivement, cherche à s’affranchir de la domination de son narcissique mentor. Les deux amies se soutiennent ainsi dans les moments difficiles et rêvent de reconnaissance artistique, dans un milieu dominé par les hommes.
L’illusion d’une biographie authentique
Hormis la couverture, véritable explosion de couleurs, et quelques pages à l’intérieur, l’ouvrage est composé de magnifiques dessins en noir et blanc. Ils entretiennent une forme de douceur propre à l’héroïne principale. Le trait n’est pas précis, mais il reste séduisant et participe à cette forme d’illusion, donnant l’impression de lire une véritable biographie. C’est là tout le talent de l’illustratrice, celui de transformer ses personnages en personnalités connues et reconnues de la scène artistique britannique des années 80. Une gentille duperie savamment entretenue par les illustrations représentant des photos des différentes phases de la vie de la jeune femme, ou encore par des extraits de correspondances.
Sur plus de 160 pages, on suit ainsi 45 ans de la vie professionnelle d’Alison Porter, de jeune muse à conférencière. L’ouvrage agit à la fois comme une (auto)biographie et un récit de fiction. Entre roman et bande dessinée, Lizzy Stewart propose en quelque sorte le meilleur des deux mondes avec une histoire émouvante qui transporte les lectrices et les lecteurs dans l’intimité d’Alison grâce à un dessin séduisant.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Lizzy Stewart (Traduction : Nadia Aeberli)
- Dessin : Lizzy Stewart
- Couleurs : Lizzy Stewart
- Éditeur : Helvetiq
- Date de sortie : Le 24 avril 2024
- Pagination : 168, couleur / Noir et blanc
