Alchithémie de roses des temps

Depuis sa création en 2019, la maison d’édition Drakoo, dirigée par Christophe Arleston, sillonne les chemins de l’imaginaire, de la fantasy à la science-fiction, en passant par le fantastique, jeunesse ou adulte. Si l’éditeur a souvent privilégié des récits efficaces dans des univers assez classiques, quelques titres sont sortis des sentiers battus, comme Arcana* ou La Vieille Anglaise et le Continent**. Alchithémie de Roses des Temps fait clairement partie de cette famille d’albums bizarres et uniques. 

Alchithémie de roses des temps Drakoo couverture

© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

Le petit Will a perdu son grand-père. Le garçon s’était endormi après une histoire racontée par le vieil homme puis, au réveil, aucun souvenir de ce qui s’est passé, mais plus de grand-père et une soudaine allergie aux mots qui se terminent par le son « ik ». Will part à la recherche de son papy dans tous les bureaux des objets trouvés des villes du coin, comme ceux d’Evaporhette, d’Houbliette, ou encore de Perdhud’vueh. En chemin, il rencontre de Mamëh Ghrenier, inventrice philanthrope qui va l’accompagner vers la Théière Magique des jumeaux Herbalté. Ces derniers sont les  ancêtres du créateur des roses des temps, outils de mesure du temps qui passe, et personnages principaux de nombreuses histoires du grand-père disparu.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

Joyeux bordel

Vous n’avez pas tout compris au résumé ? C’est normal ! L’univers d’Alchithémie de roses des temps est fou, complètement fou, que ce soit dans son contexte, sa narration ou son graphisme. L’inconvénient de cette folie réside dans le nombre important d’informations farfelues qui sont données à chaque page. Comment on compte le temps, et pourquoi cette méthode, les noms de lieux et de personnages farfelus, ou encore les fréquents jeux de mots et les dialogues absurdes à rallonge sont quelques exemples de la complexité du récit. L’intrigue n’est pas compliquée dans son déroulé global mais elle le devient dans tous les détours burlesques qu’elle prend. Et pourtant, cela fonctionne à merveille.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

En effet, dans la folie ambiante, se détache une réelle cohérence narrative. Tout se tient dans le récit, tout est logique dans l’illogisme ambiant, tout est limpide au-delà du flou apparent. Certes, l’intrigue est menée tambour battant, et le rythme effréné de l’action et de l’enchaînement des situations et des révélations entre en contradiction avec le besoin, parfois, de relire certaines bulles pour en saisir toutes les implications sur le déroulé du scénario. Mais lorsque le lecteur trouve l’équilibre entre suivre le tempo intense du récit et prendre le temps d’en saisir toutes les subtilités, alors la lecture est totalement jouissive, largement aidée par un humour radicalement absurde qui ravira les amateurs des Monty Pythons ou, en général, des bons mots.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

Un jour de fou sans fin

L’autre facteur qui rend ce one shot réellement attachant, ce sont ses personnages qui le sont tout autant, attachants. Le petit Will est une boule d’énergie et de naïveté, toujours prêt à foncer dans le tas et curieux de tout : le parfait héros de ce genre de quête ! Mais c’est surtout la fabuleuse inventrice Mamëh Ghrenier (que les habitués de YouTube pourraient rapprocher de Papy Grenier du Joueur du Grenier) qui sort d’un lot déjà haut en couleurs, avec sa bonhommie naturelle et sa grande gentillesse : « (…) en plus de mon palpitant métier, j’ai comme passe-temps de rendre du baume au cœur des gens. » Si les « méchants » de l’album sont plus anecdotiques, ils n’en restent pas moins pittoresques, à l’inverse d’un grand-père, plus classique mais tellement touchant par son côté réaliste, telle une ancre pour le petit garçon, tout en étant amateur d’histoires farfelues à raconter à son petit-fils.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

L’album se découpe en quatre actes, dont les trois derniers sont une boucle temporelle, renvoyant les personnages au même point, perdant les souvenirs de ce qui leur était arrivé dans les boucles précédentes mais trouvant quelques indices laissés par leur version d’un futur passé. Si le procédé aurait pu paraître trop facile et évident dans un récit classique, il se marie parfaitement à la bizarrerie ambiante. Benoît Boursoit, malgré la complexité de son récit, parvient à rendre ces retours vers un passé différent totalement compréhensibles, en faisant de ceux-ci, non seulement des sources de gags, mais également un véritable nœud narratif qui fait progresser l’intrigue jusqu’à un dénouement très émouvant. La révélation sur la disparition du grand-père donne une scène touchante qui se conclut sur l’épilogue de l’album, poignant. 

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

Dessine -moi… plein de trucs partout !

La folie ne se résume pas à son scénario. Le dessin de Benoît Boursoit suit la même pas-de-logique apparente tout en gardant une grande cohérence, prouvant que l’album a été pensé avec une grande intelligence. En fait, le dessin possède les mêmes qualités et handicaps que le scénario. Parfois l’action va trop vite et certaines cases manquent de lisibilité, notamment dans les scènes de mouvements brusques. En plus des nombreux éléments inondant d’informations les scènes, l’auteur choisit souvent un cadrage désaxé, parfois penché, et régulièrement sur plusieurs plans tous aussi chargés les uns que les autres. Toutefois, ici encore, une fois que le lecteur se fait au style graphique et à la mise en scène de Benoît Boursoit, il est indéniable que cette esthétique participe pleinement à l’intrigue. Le fond sert la forme, et réciproquement.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

Ce travail visuel se retrouve non seulement dans les décors mais également sur les personnages dont les corps semblent désarticulés ou élastiques. Ce monde est tordu, alors ses habitants le seront tout autant. Ce côté « jouet » du graphisme des protagonistes ne les rend qu’encore plus attachants, et c’est encore plus frappant avec les créatures, vivantes ou mécaniques, que Benoît Boursoit glisse dans ses planches, comme la peluche idéale que serait le Volapin ou le mini robot Hector. Toute la folie du dessin est contrastée par la douceur d’un travail des couleurs à l’aquarelle, conférant à l’album un côté conte merveilleux qui lui va à ravir.

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© Alchithémie de roses des temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

La superbe couverture de cet Alchithémie de roses des temps ne ment pas sur le contenu de l’album : une scène d’action étrange avec des informations à la pelle. Le one shot de Benoît Boursoit est absurde, complexe, riche, que ce soit dans son graphisme ou son scénario. Mais si l’ensemble, narratif comme graphique, peut paraître brouillon, ce serait mal comprendre l’album car, pour peu qu’on se laisse porter par le récit tout en faisant attention à toutes ses subtilités, la lecture est réellement plaisante, à la fois très drôle et vraiment touchante. Un album assez unique chez son éditeur mais aussi dans le paysage actuel du neuvième art. La première œuvre d’un auteur belge qu’il faudra très certainement surveiller de près.

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© Alchithémie de Roses des Temps – Benoît Boursoit – Drakoo, 2025

* Série complète en 3 tomes. Scénario et dessin : Serena Blasco

** One shot. Scénario : Valérie Mangin, d’après Jeanne A. Debats. Dessin : Stefano Martino

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

Informations sur l’album :

  • Scénario : Benoît Boursoit
  • Dessin : Benoît Boursoit
  • Couleurs : Benoît Boursoit
  • Éditeur : Drakoo
  • Date de sortie : Le 8 janvier 2025
  • Pagination : 56 pages en couleurs

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