La flèche ardente – Avant Blake et Mortimer – Tome 2

Des habitués du monde de Jacobs, Jean Van Hamme et Etienne Schréder, s’attaquent avec La Flèche ardente à la suite du Rayon U, épisode « pilote » annonciateur d’un univers entier devenu incontournable dans le monde du 9ème art. La tâche est aussi risquée que monumentale si l’on considère le matériel d’origine, expérimental, atypique, mythique, et qui a l’âge de ses artères.

Couverture de La flèche ardente
Couverture de La flèche ardente

Au début était Jacobs. Sans aucun doute le plus illustre des collaborateurs d’Hergé, Edgard Félix Pierre Jacobs allait passer à la postérité pour son œuvre majeure : Blake et Mortimer, série tour-à-tour policière, d’aventure, d’espionnage, d’heroic fantasy ou de science-fiction qui allait faire les belles heures du journal Tintin.

Mais au début de Jacobs était le Rayon U, album si atypique qu’on hésite à le classer dans la liste des « péchés de jeunesse », des « coups d’essai » ou des « WTF, c’est quoi ce truc ? ». Ayant contracté très tôt le virus du récitatif redondant, Jacobs, dès son premier ouvrage en tant qu’auteur complet, use et abuse déjà de cette méthode narrative. L’espace inter-iconique s’en retrouvant élargi, les péripéties des personnages sont denses, nombreuses et concentrées dans très peu d’espace. Dans un style ligne claire extrêmement académique, Jacobs présente aux lecteurs un récit d’aventure abracadabrant préfigurant les classiques Piège diabolique et Enigme de l’Atlantide, entre extrapolation technologique, mondes perdus et civilisations disparues. Le résultat, se voulant, semble-t-il, une reprise ou un pastiche de l’univers de Flash Gordon (dont l’auteur avait achevé un épisode dans le magazine Bravo ! avant la censure allemande), a très mal vieilli : les personnages monolithiques ont moins d’expression et d’émotions que les statues du musée Grévin, l’humour et le second degré y sont totalement absents, le fameux rayon ‘U’ du titre est oublié dans les trois quarts de l’histoire, la quête des protagonistes étant reléguée au second plan au profit de péripéties sans grand rapport avec l’intrigue principale et donnant une impression de prétexte artificiel ou de gratuité. Pour ces raisons précisément, il n’était pas idiot de penser que ce coup d’essai – à défaut d’être un coup de maître – méritait peut-être une suite…

Couverture de Le Rayon U
Couverture de Le Rayon U

Jean Van Hamme, créateur de XIII, Largo Winch et Thorgal, et premier repreneur avec Ted Benoit de Blake et Mortimer, se fait donc plaisir en imaginant la suite de cet album (de son propre aveu) kitchissime. Le conflit entre Norlandiens et Austradiens se poursuit pour la conquête des Îles Noires, archipel volcanique recelant un riche gisement d’Uradium nécessaire au développement du fameux rayon ‘U’ dont nous n’avions plus de nouvelles.

La première vignette, assez ironiquement, nous présente l’empereur d’Austradie Babylos III en tant que porte parole du lecteur : « Par tous les dieux de l’enfer, nous ignorons toujours en quoi consiste ce fameux rayon ‘U’ ! ». La réponse gisant avec l’uradium dans les Îles Noire, les Austradiens s’apprêtent à donner l’assaut à l’archipel volcanique, alors que de son côté, le professeur norlandien Marduk, héros de l’épisode précédent, est sur le point d’utiliser la pierre sacrée offerte par le Prince Nazca – en fait fragment d’uradium – pour la touche finale de ce fameux rayon dont les effets ne sont pas connus. Sous réserve, évidemment, que le dieu du feu Puncha Taloc le laisse faire.

Page 5 de La flèche ardente
Page 5 de La flèche ardente

Van Hamme, pour enrichir laborieusement une intrigue jusque-là de l’épaisseur d’un papier à cigarette, met en scène le Professeur Hollis, le père de Sylvia, assistante de Marduk. Nous apprenons ainsi qu’une première expédition a eu lieu et s’est terminée de façon funeste. Ou pas… car certains morts de l’épisode précédent vont s’entêter à revenir. Au demeurant, les ingrédients de l’album original sont recyclés avec plus ou moins de bonheur, les péripéties bouche-trou à base de créatures préhistoriques à la sauce Conan Doyle s’enchaînant comme un passage obligé. Les intrigues amoureuses, totalement absentes du « tome 1 », se font et se défont dans le même esprit. On peut aussi s’amuser à repérer des vignettes, ou tout au moins des postures et attitudes de personnages presque calquées sur des épisodes clés de l’album de Jacobs, que la bienveillance nous forcera à considérer comme des hommages.

L’hommage est bien réel en revanche, dans le traitement graphique de cet album : Cailleaux et Schréder font un travail remarquable de mimétisme, restituent l’univers et le style Jacobs avec un respect faramineux (défauts inclus), notamment dans les architectures et les machines volantes qui, à la sortie du Rayon ‘U’, étaient l’œuvre d’un grand visionnaire. Les couleurs de Bruno Tatti également, associées au grain d’un papier mat soigneusement choisi, sont épatantes, cohérentes et n’essaient pas de moderniser artificiellement un univers qui reste ancré dans son époque.

Page 6 de La flèche ardente
Page 6 de La flèche ardente

En prenant un peu de recul, le principal défaut de cet album est la lenteur à l’allumage. Il faut une dizaine de planches avant que Van Hamme prenne un peu d’aise avec cet univers qui, il faut bien l’admettre, est assez hermétique. Et même alors, l’impression d’ensemble est celle d’un album sans grand enjeu, maladroit, poussif, aux ficelles grosses comme des câbles et où le scénariste avance avec de gros sabots bruyants. Tout juste peut-on dire que considérant le matériel d’origine et la gageure que représente cette entreprise, Van Hamme limite la casse. À 16,50€ pour 46 planches, pas certain que le jeu en vaille la chandelle.

Chronique écrite par Philippe BARRE

Informations sur l’album

  • Scénario : Jean Van Hamme
  • Dessin : Christian Cailleaux et Etienne Schréder
  • Couleurs : Bruno Tatti
  • Éditeur : Dargaud « Tous publics »
  • Date de sortie : 24 mars 2023
  • Pagination : 48 en couleurs
  • Format : 237 x 310 mm

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Page 7 de La flèche ardente
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Page 8 de La flèche ardente
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